Code du travail : changements XXL pour entreprises de petite taille

Revue de Presse

A l’instar des réalisateurs de Game of Thrones, le gouvernement a particulièrement soigné la saison 2 de la réforme du code du Travail : moins de fuites, une communication très verrouillée, un final jalousement gardé secret jusqu’au jeudi 31 août à midi. Le contenu des ordonnances, dont les partenaires sociaux ont pu avoir connaissance au cours de l’été sous forme de patchwork, est désormais révélé. Les grandes lignes étaient connues : facilitation des licenciements, décentralisation de la négociation collective, fusion des instances représentatives du personnel, possibilité de négocier sans délégués syndicaux… Mais les détails, eux, ne l’étaient pas. A commencer par les seuils à partir desquels ces nouvelles règles s’appliquent.

Une méthode efficace

La première rupture avec les précédentes réformes du travail concerne la méthode. Nicolas Sarkozy était maître du calendrier des négociations. Au pas de course, il avait initié avec les partenaires sociaux un train de réformes qui ont plus ou moins abouti. En rupture avec son prédécesseur, François Hollande avait davantage joué le jeu de la concertation, au moins en début de mandat, avec des sommets sociaux suivis de négociations. Puis il a rompu avec cette méthode au moment de l’annonce du pacte de responsabilité, sans avoir préalablement consulté les syndicats. Le mandat s’est terminé dans la douleur avec une contestation forte de sa majorité parlementaire, de la rue et d’une partie des syndicats contre la loi El Khomri.

Le gouvernement va créer une vraie rupture entre les salariés des petites entreprises et ceux des plus grandes, en instituant un dialogue social à deux vitesses

Emmanuel Macron tire les leçons de ces modus operandi. Il a annoncé la couleur des réformes dès la campagne et précisé très vite qu’il procéderait par ordonnances. Le calendrier est serré, les ordonnances rédigées dans le plus grand secret. Sans parler de « négociation » avec les organisations syndicales, la consultation est réelle – ce qu’ont salué la plupart des acteurs – mais maîtrisée. Les détails ont été livrés au compte-goutte aux partenaires sociaux sans vision d’ensemble. Et comme dans toute négociation avec un DRH et des élus du personnel, des mesures ont été proposées puis retirées. Mais in fine, Emmanuel Macron demeure le maître de ballet. Les dispositions essentielles sont maintenues. Les ordonnances seront présentées en conseil des ministres le 22 septembre, publiées au Journal officiel avant la loi de ratification qui rendra leur contenu effectif. Sans préjuger des batailles juridiques et syndicales à venir, la méthode a montré son efficacité.

Un droit du travail pour les PME

La deuxième, mais véritable rupture, concerne la volonté du gouvernement d’adapter le droit social aux TPE/PME. Edouard Philippe l’a rappelé lors de la conférence de presse, le code du travail était jusqu’à présent conçu pour les grandes entreprises, les plus petites étant « les oubliées » des réformes. Or le Premier ministre et Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, n’ont pas manqué de souligner que plus de la moitié des salariés travaillaient dans des entreprises de moins de 50 salariés. Mais l’orientation retenue n’est pas de gommer ces réelles disparités. Le gouvernement entreprend plutôt de créer une vraie rupture entre les salariés des petites entreprises et ceux des plus grandes, en instituant un dialogue social à deux vitesses.

Le changement le plus radical concerne la possibilité pour les entreprises de moins de 50 salariés de négocier des accords sans syndicat

Le changement le plus radical concerne la possibilité pour les entreprises de moins de 50 salariés de négocier des accords avec des délégués du personnel qui ne soient pas obligatoirement mandatés par un syndicat. Or jusqu’à présent, seuls les délégués syndicaux et les élus sans étiquette mais mandatés par une organisation syndicale pouvaient signer des accords. Révolution supplémentaire, dans les entreprises de moins de onze salariés, un chef d’entreprise pourra réunir ses salariés autour d’une table pour conclure un accord sur le temps de travail, la rémunération, les conditions de travail… Si ces derniers votent majoritairement (aux deux tiers) pour le contenu du texte, il sera adopté. A ce jour, la loi El Khomri autorisait cette consultation directe uniquement sur le travail dominical. Le champ est désormais élargi.

Un dialogue social sans syndicat

Et en l’absence d’élus du personnel dans les entreprises de moins de 20 salariés, cette disposition qui ressemble à s’y méprendre à un référendum, pourra aussi s’appliquer. Depuis la création des sections syndicales dans les murs de l’entreprise en 1968, le dialogue social se concevait avec des délégués issus et soutenus par leurs organisations respectives. Une page se tourne. Et un coin de l’histoire du syndicalisme est sérieusement enfoncé. La vieille revendication patronale qui vante les mérites d’un dialogue social en famille, entre gens de confiance, mais sans syndicat, est en passe de se réaliser. Pour quel résultat ? Il n’est pas acquis que des salariés non mandatés se tournent a posteriori vers des organisations syndicales pour y adhérer en masse. Il est encore moins certain que ces salariés non rompus à la négociation, ni conseillés par une organisation syndicale, paraphent des accords équilibrés.

De nombreuses TPE et PME pourront désormais changer plus facilement les règles du jeu

Dans la foulée de la loi El Khomri, l’inversion de la hiérarchie des normes se poursuit avec une plus grande liberté laissée aux entreprises pour négocier et déroger aux accords de branche. De nombreuses TPE et PME pourront désormais changer plus facilement les règles du jeu sur une prime d’ancienneté par exemple. Auparavant, ces entreprises devaient se contenter des règles établies par leur branche d’activité ou à défaut par la loi.

« There is no alternative »

Pragmatique, le gouvernement a pris appui sur le très faible taux de syndicalisation et le manque criant de candidats pour occuper des mandats d’élus du personnel. Faute de délégués syndicaux pour négocier – ils ne sont que 4 % dans les entreprises de moins de 50 salariés – on passe directement par les salariés, voire des délégués du personnel non mandatés. Il existait pourtant d’autres pistes que le gouvernement n’a pas choisi d’emprunter pour favoriser le dialogue social. Pourquoi ne pas avoir opté pour l’obligation de se syndiquer pour bénéficier des modalités d’un accord collectif, ce qui existe dans les pays scandinaves ? La possibilité de créer, comme en Allemagne, un conseil d’entreprise dès 5 salariés n’a pas non plus été choisie. Pourquoi ne pas avoir renforcé la présence, aujourd’hui très faible, des salariés dans les conseils d’administration ?

Les dispositifs actuels ne sont assurément pas tous efficaces. Le mandatement (*) – qui a connu un certain succès lors des accords qu’il fallait négocier dans les entreprises sur les 35 heures – ne fonctionne plus par exemple. Mais évaluer les raisons de cet échec aurait peut-être permis de trouver une solution pour attirer des candidats. Tout comme se pencher sur les parcours professionnels des élus du personnel pour éviter qu’ils ne se détournent de cette voie. Autre option : laisser une chance aux toutes nouvelles commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI) d’exister. Créées par la loi Rebsamen et opérationnelles depuis le 1er juillet 2017, elles visent à mieux représenter les salariés des TPE.

Licenciements sécurisés pour l’employeur

Autre mesure phare des ordonnances qui concerne toutes les entreprises mais rassure particulièrement les plus petites, la barémisation des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif devient obligatoire. Avec l’instauration d’un plancher et d’un plafond, l’employeur sait désormais combien il devra provisionner s’il veut se séparer d’un salarié qui pourrait contester son licenciement en justice. Et cela devrait lui coûter moins cher.

Avec l’instauration d’un plancher et d’un plafond, l’employeur sait désormais combien il devra provisionner s’il veut se séparer d’un salarié

Jusqu’alors, lorsqu’un juge estimait que le licenciement d’un salarié de plus de deux ans d’ancienneté était sans cause réelle et sérieuse, donc abusif, l’employeur devait verser un plancher minimal de dommages et intérêts de 6 mois de salaire. Aujourd’hui ce seuil minimal passe à 3 mois de salaire. En dessous de 2 ans de maison, cette somme minimale est d’un mois de salaire. Dans les TPE (moins de 11 salariés) il pourra même descendre à 15 jours de salaire.

Concernant le plafond maximal, il est moins généreux que le barème indicatif qui prévaut depuis la loi El Khomri. Un salarié qui cumule 30 ans de maison, voire plus, ne pourra prétendre à plus de 20 mois de salaire, contre 21,5 dans le barème actuel. Les autres plafonds sont un peu plus avantageux que le barème actuel : un salarié qui a travaillé par exemple 10 ans dans une entreprise pourra toucher 10 mois de salaire brut (contre 8,5 aujourd’hui dans le plafonnement indicatif).

Ce plafonnement pourrait, dans le scénario le plus pessimiste, inciter des employeurs à se séparer plus facilement de salariés, sans garantie qu’ils embauchent plus facilement ensuite. Cette mesure à laquelle Emmanuel Macron tient beaucoup est en contradiction avec la réalité des recours devant les conseils de Prud’hommes (CPH) qui ne cessent de baisser. Les salariés sont loin de se précipiter devant les tribunaux. D’abord parce qu’il faut un intérêt à agir. Un jeune qui cumule les CDD et peu d’ancienneté sait qu’il n’obtiendra pas une grande réparation.

En réalité les recours devant les conseils de Prud’hommes ne cessent de baisser

Ensuite, d’autres facteurs ont contribué à cette tendance baissière, à commencer par les ruptures conventionnelles : plus de 30 000 sont homologuées tous les mois. Enfin, depuis la loi Macron de 2015 qui a réformé les prud’hommes, les CPH enregistrent une chute brutale des nouvelles affaires, jusqu’ à 40 % de moins devant certaines juridictions (les nouveaux recours avoisinaient les 200 000 par an en moyenne). Le formalisme des nouvelles procédures, le demandeur devant remplir un formulaire d’une dizaine de pages et fournir des pièces justificatives, explique en partie ce recul des saisines. Qui risque encore de baisser : le délai pour saisir les CPH est réduit de 24 à 12 mois.

Contrepartie obtenue par les organisations syndicales, les indemnités légales qu’un employeur doit verser lors d’un licenciement augmentent de 25 %. Elles étaient, dans le code du travail, d’un cinquième de mois de salaire par année d’ancienneté. Elles passent à un quart de mois de salaire, sachant que des conventions collectives prévoient des montants plus avantageux.

Enfin, dans le vaste arsenal proposé pour simplifier le quotidien des employeurs qui ne sont pas appuyés par des armadas de juristes, la lettre de licenciement sera simplifiée. Et un droit à l’erreur institué pour les employeurs qui commettront des impairs sur la forme. Le gouvernement entend aussi instituer un code du travail numérique, sorte de vaste FAQ, foire aux questions techniques du droit du travail que peuvent légitimement se poser des petits patrons.

Les plus grosses entreprises ne sont pas oubliées

Les ordonnances ne favorisent pas seulement les petites entreprises. Les plus grandes y trouvent également leur compte, même si, sur la question du dialogue social, le patronat aurait souhaité que les nouvelles mesures s’appliquent jusqu’au seuil de 300 salariés et non pas jusqu’à celui de 50 salariés.

Mais les grandes entreprises, essentiellement celles qui travaillent à l’international ou qui sont filiales de groupes étrangers, ont désormais l’assurance que le périmètre pour apprécier leurs difficultés économiques sera réduit au niveau national et non pas international, comme c’était le cas aujourd’hui. La mesure déjà présente dans le projet de loi El Khomri avait été retoquée. Le signal est désormais envoyé aux investisseurs étrangers. Même si la santé du groupe est florissante à l’étranger, la filiale pourra licencier – ce qu’elle faisait déjà – mais sans le soutien financier et les possibilités de reclassement du groupe dans son ensemble.

Certes, les organisations syndicales ont obtenu que les seuils à partir desquels une entreprise est obligée d’ouvrir un plan social (suppression de 10 postes sur une période de 30 jours) n’évoluent pas à la hausse. Pour autant, la sécurisation des départs collectifs, via le nouveau dispositif de rupture conventionnelle collective – surprise de dernière minute pour les syndicats – permet en quelque sorte d’éviter des plans de sauvegarde de l’emploi déjà largement contournés depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui, une rupture conventionnelle est une rupture à l’amiable entre un salarié et sa direction.

Demain, il sera donc possible de permettre à plusieurs personnes de partir en même temps sans avoir à mettre en place un plan social

Demain, il sera donc possible de permettre à plusieurs personnes de partir en même temps – au-delà de 10 salariés – sans ouvrir de PSE et son cortège de mesures de reclassement et d’accompagnement qui lui est lié. La rupture conventionnelle collective est aussi une façon de sécuriser les guichets de plans de départs volontaires qui existent déjà. Plusieurs salariés pourront quitter l’entreprise en même temps, bénéficier de l’assurance chômage mais pas des mesures d’accompagnement. Pour tout viatique, ils auront une centaine d’heures créditées sur leur compte personnel de formation. L’entreprise est ainsi déchargée du souci de devoir accompagner le partant vers une reconversion. C’est à lui de prendre sa formation en main.

Dans cette logique de sécurisation des licenciements, qui concerne d’ailleurs les entreprises de toutes tailles, les salariés qui refuseront un avenant à leur contrat de travail seront licenciés non plus pour motif économique mais « sui generis ». Cette revendication ancienne du juriste Jacques Barthélémy et de l’économiste Gilbert Cette, qui avait également nourri les débats lors de la précédente réforme du travail, trouve enfin sa concrétisation. Appliquée lors des négociations sur les 35 heures, le licenciement sui generis implique que le fait même de refuser les modalités d’un accord vaut rupture. Concrètement, le salarié qui refuse a droit au chômage mais plus aux mesures d’aides au reclassement prévues lors d’un licenciement économique classique.

L’inversion de la hiérarchie des normes se poursuit sur d’autres champs que la durée du travail

Les plus grandes entreprises vont également bénéficier de la plus grande latitude qui leur est accordée pour négocier « au plus près des réalités du terrain ». Même si les syndicats ont décroché un renforcement du rôle des branches qui doivent négocier sur 11 thèmes réservés, Edouard Philippe a réaffirmé que le niveau privilégié devait être celui de l’entreprise. L’inversion de la hiérarchie des normes renforcée depuis la loi El Khomri sur le champ de la durée du travail se poursuit, mais sur d’autres champs. Les entreprises pourront aussi sur négocier la rémunération (primes, 13e mois, indemnités de départ en retraite…). Elles pourront également, si la branche les y autorise, négocier sur des questions de santé au travail, comme la pénibilité. Elles n’auront pas la possibilité en revanche de négocier sur la durée ou les conditions de renouvellement d’un CDD. Ces prérogatives qui dépendaient de la loi échoient désormais aux branches. Tout comme la possibilité d’adopter le CDI de chantier. Il faudra un accord de la branche professionnelle.

L’objectif de la nouvelle réforme est de multiplier les accords majoritaires. Mais alors que la loi El Khomri autorisait uniquement les syndicats signataires d’un accord minoritaire (représentant 30 % des salariés) à demander l’avis des salariés pour valider, ou non l’accord, les employeurs pourront eux aussi, à leur initiative, consulter les salariés.

Fusion des IRP

Enfin, toutes les entreprises sont concernées par la fusion des instances représentatives du personnel (comités d’entreprise, délégués du personnel et CHSCT, mais pas les délégués syndicaux) au sein d’un nouveau comité social et économique . Mais les plus grandes entreprises qui comptent le plus d’instances et d’élus devraient bénéficier de cette simplification sans que l’on sache aujourd’hui quels seront les moyens alloués à ces représentants qui devront traiter aussi bien des questions d’œuvres sociales et culturelles, que des problématiques économiques lors des réorganisations et de sujets comme la santé et la sécurité.

Les ordonnances présentées par Edouard Philippe et Muriel Pénicaud sont-elles un ensemble « équilibré » comme ils l’ont affirmé ? Pour l’heure, c’est surtout un modèle de flexibilité et de souplesse supplémentaire demandée aux salariés qui est mis en avant. Le volet sécurité – accès plus facile à la formation professionnelle, droit élargi à l’assurance chômage pour tous – doit suivre. Le risque, et l’expérience le montre bien souvent dans l’Hexagone, est que les mesures de flexibilité soient mises en œuvre rapidement – un allongement de la durée de cotisation pour toucher sa retraite par exemple – mais que les contreparties proposées – un compte pénibilité pour éventuellement partir plus tôt – soient remises à plus tard et considérablement affadies.

Source : alternatives-economiques.fr (1 septembre 2017)