Code du travail : des féministes s’inquiètent des effets des ordonnances pour les victimes de harcèlement sexuel

Revue de Presse

Un collectif de personnalités et d’associations féministes dénonce une disposition des ordonnances réformant le Code du travail  : en cas de rupture à l’origine de la personne salariée, elle sera soumise au plafond des indemnisations prud’homales. Y compris en cas de harcèlement.

Un collectif féministe dénonce la fragilisation des victimes de harcèlement au travail dans les ordonnances réformant le Code du travail.

Elles dénoncent un ‘coup de poignard dans le dos’. Un collectif d’associations et de personnalités féministes alerte, mardi 26 septembre, sur l’une des conséquences des ordonnances réformant le Code du travail  : le plafond d’indemnisation aux prud’hommes en cas de licenciement abusif pourra bel et bien concerner les victimes de harcèlement moral ou sexuel. Une situation dénoncée par le collectif féministe #OrdonnancesNonMerci, qui lance une campagne d’information et interpelle Emmanuel Macron, selon nos informations. 

‘Ce qui est sûr, c’est que nous ne plafonnerons pas les dommages et intérêts dans les cas de discrimination et de harcèlement, car il y a dans ce cas atteinte à l’intégrité de la personne’, avait promis Muriel Pénicaud, dans une interview aux Echos publiée le 7 juin. Pourtant, les ordonnances ne sont pas aussi catégoriques que la ministre du Travail.

Lorsqu’un salarié estime qu’il a été licencié ‘sans cause réelle et sérieuse’, il peut faire reconnaître ce licenciement abusif aux prud’hommes et obtenir réparation. En cas de faute de l’employeur, le conseil fixait librement l’indemnité que celui-ci devait verser au salarié, en fonction de sa situation et de la gravité des faits. Désormais, cette liberté n’existe plus qu’en cas de ‘harcèlement’ ou de ‘violation d’une liberté fondamentale’. Mais il y a un ‘trou dans la raquette’, dénonce le collectif de féministes.

‘Une procédure pour extraire en urgence une victime de son lieu de travail’

Lorsqu’une salariée a été victime de harcèlement, moral ou sexuel, elle peut faire reconnaître sa situation devant un médecin du travail, qui la déclare ‘inapte’, ce qui entraîne une procédure de licenciement. Mais lorsque le médecin du travail refuse de se prononcer sur ce genre de litige, une salariée victime de harcèlement sexuel peut rompre son contrat de travail unilatéralement. Cette rupture est appelée ‘prise d’acte’. ‘C’est une procédure rapide, préconisée pour extraire en urgence une victime du contexte de son harcèlement. Après l’envoi de la lettre, elle ne met plus les pieds au travail’, explique à franceinfo Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). 

Concrètement, la salariée envoie un courrier avec accusé de réception à son employeur, pour lui notifier qu’elle prend acte de la rupture de son contrat car son patron n’est pas en mesure de la protéger. Cette prise d’acte est ensuite requalifiée en ‘licenciement nul’ (illégal ou illicite car une liberté fondamentale a été violée) par un conseil des prud’hommes, qui ouvre le droit à des dommages et intérêts. Or, les ordonnances prévoient que les prises d’actes (c’est-à-dire lorsque le salarié est à l’origine de la rupture du contrat de travail) seront soumises au plafonnement des indemnisations.

‘Un recul considérable’

Le collectif féministe #OrdonnancesNonMerci s’indigne de la situation dans sa campagne d’information. Alors que le plafond fixé par les ordonnances prévoit un maximum de 20 mois de salaires lorsqu’on a au moins 29 ans d’ancienneté, l’AVFT indique que des victimes de harcèlement ont pu obtenir jusqu’à 24 mois de salaires d’indemnités, sans pour autant avoir une ancienneté conséquente au sein de leur entreprise.


Le visuel de la campagne #OrdonnancesNonMerci, lancée mardi 26 septembre.  (DR)

Pour Marilyn Baldeck, l’enjeu est double, alors qu’une femme sur cinq est confrontée à une situation de harcèlement sexuel au cours de sa vie professionnelle*. ‘Individuellement, il est normal que les victimes soient bien indemnisées, car leur préjudice est gigantesque’, souligne-t-elle. Mais ‘l’enjeu est aussi politique’. 

Si on n’a pas le levier de la sanction financière pour les employeurs, ils n’ont aucune raison de s’engager dans la prévention des cas de harcèlement. Le message envoyé est très mauvais pour les victimes.

Rester plus longtemps par crainte

Autre risque soulevé par Caroline De Haas, militante féministe à l’origine de la mobilisation contre les ordonnances  : une femme victime de harcèlement au travail pourrait rester au sein de son entreprise afin d’obtenir les dommages et intérêts auxquels elle a droit. ‘Pour ne pas s’asseoir sur leurs indemnités, elles endureront leur calvaire plus longtemps’, redoute-t-elle, interrogée par franceinfo.

Caroline De Haas dénonce aussi la suppression du rappel de salaires prévu auparavant par la loi pour les victimes de harcèlement sexuel ayant rompu unilatéralement leur contrat de travail. Ce rappel ne sera possible qu’en cas de discrimination. Décidée à faire pression sur le gouvernement afin qu’il revoie sa copie, elle s’indigne  : ‘C’est un recul considérable. Emmanuel Macron envoie un message clair aux femmes victimes de harcèlement sexuel  : débrouillez-vous !’ Contactés par franceinfo, ni le ministère du Travail ni le secrétariat d’Etat en charge de l’Egalité entre les femmes et les hommes n’ont répondu à nos sollicitations.

* Enquête Ifop réalisée pour le Défenseur des droits, en janvier 2014, auprès d’un échantillon représentatif de 1 005 personnes, avec la méthodes des quotas.

Source : francetvinfo.fr (26 septembre 2017)