Lentement mais sûrement, la France prend la route du télétravail

Revue de Presse

Source : slate.fr (3 janvier 2019)

Toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour une accélération de la pratique du travail à distance dans les entreprises.

À l’heure actuelle, le taux de télétravailleurs et télétravailleuses avoisinerait 25% dans les entreprises françaises, selon une étude de Malakoff Médéric conduite en janvier 2018. Néanmoins, seuls 6% des salariées et salariés le pratiquent de manière contractuelle. Mais ce taux devrait augmenter rapidement : d’une part, la hausse des prix à la pompe devrait inciter à ce mode d’organisation. D’autre part, le cadre juridique est devenu plus favorable depuis l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 qui assouplit les règles régissant le travail à distance.

Ce contexte pourrait donc bien contribuer à ancrer définitivement le télétravail dans les habitudes des salariés et des entreprises, et mettre ainsi fin à vingt-cinq années de va-et-vient sur le sujet.

En 1993, le début de l’histoire

L’histoire du télétravail en France commence en 1993 lorsque le Premier ministre de l’époque, Édouard Balladur, confie une mission sur le sujet à Thierry Breton, alors dirigeant de la société informatique Bull. On trouve dans son rapport intitulé « Le télétravail en France, situation actuelle, perspectives de développement et aspects juridiques», une première définition : « Le télétravail est une modalité d’organisation et/ou d’exécution d’un travail exercé à titre habituel par une personne physique dans les conditions cumulatives suivantes : le travail s’effectue à distance, c’est-à-dire hors des abords immédiats de l’endroit où le résultat du travail est attendu, en dehors de toute possibilité physique pour le donneur d’ordre de surveiller l’exécution de la prestation par le télétravailleur».

En février 1995, la France inscrit le sujet à l’ordre du jour du G7 de Bruxelles. Le télétravail est alors présenté comme un atout économique (les entreprises se rapprochent du consommateur, innovent et réorganisent le travail) et social (gain de temps de transport, moins de pollution, diminution du coût des locaux, meilleure productivité et bien-être au travail) dans un contexte de déploiement de la société de l’information. Puis le mouvement s’essouffle. Le télétravail présenté comme un double atout économique et social passe alors au second rang des préoccupations politiques. Certains projets sont abandonnés comme celui des télécentres porté à l’époque par le Catral (Comité pour l’aménagement des temps de travail et de loisirs en région Île-de-France).

Le législateur s’en mêle

En 2002, un accord cadre européen encourage le télétravail salarié et prévoit la garantie de l’égalité des droits entre les télétravailleurs et les autres employées. En 2005, le législateur français intervient dans le même sens avec la signature d’un Accord national interprofessionnel (ANI), qui sera conforté en 2012 par la loi Warsmann. Malgré ces avancées, entreprises et salariés continuent de bouder le télétravail, au point où certains se demandent s’il n’est pas « démodé».

Aujourd’hui, la législation est encore plus favorable grâce à l’ordonnance n°2017-1387. Désormais, le télétravail est en effet mis en place par accord collectif ou, à défaut, au moyen d’une charte après avis des représentants du personnel. En l’absence d’accord collectif ou de charte, lorsque la ou le salarié et l’employeur conviennent de recourir au télétravail, ils formalisent leur accord par tout moyen. Il n’est plus nécessaire de modifier le contrat de travail.

Des personnels plus productifs en télétravail

Mais le retour du télétravail que l’on observe depuis quelques années n’a sans doute que peu à voir avec cet assouplissement du cadre législatif. Les entreprises commencent surtout à y voir de nombreux effets bénéfiques sur leur activité.

Une étude réalisée par Polycom (spécialiste de la visioconférence) en 2017 auprès de 25.000 personnes dans douze pays (dont 2.300 interrogées en France) montre ainsi que la confiance et l’autonomie laissées par la ou le manager participent à une meilleure productivité du collaborateur ou de la collaboratrice en télétravail. Une autre enquête, menée par l’Observatoire du télétravail et de l’ergostressie (Obergo) en 2018, abonde dans le même sens : 86% des sondés constatent une augmentation de la productivité (77% en 2012), et 84% une augmentation de la qualité du travail produit (70% en 2012).

Une nouvelle relation de travail à envisager

Cependant, les personnes interrogées dans cette dernière étude soulignent également des impacts négatifs : 57% constatent une augmentation de leur temps de travail) (64% en 2012), 28% une augmentation des coûts personnels liés à l’activité professionnelle (35% en 2012), et 15% une augmentation de la charge de travail ressentie (22% en 2012).

Ces résultats nous interrogent sur la relation managériale et l’éventuel contrôle ou autonomie des télétravailleurs et télétravailleuses. En effet, lors d’une situation de télétravail, le rapport autonomie/contrôle de la personne questionne : la hiérarchie est moins présente physiquement, les relations sont supposées être fondées sur la confiance et non le contrôle. Le degré d’autonomie du collaborateur ou de la collaboratrice va avant tout dépendre de son management et de l’organisation qui l’emploie.

Par ailleurs, la ou le salarié étant pour une partie du temps au moins en dehors des locaux de l’entreprise, la question de l’évaluation, du reporting et de la performance se pose. Parfois, l’intervention de l’employeur n’est pas nécessaire car les collaborateurs développent d’eux-mêmes une forme d’autocontrôle.

De nombreuses problématiques restent donc à traiter avant que le télétravail se généralise, mais les différents aspects du contexte actuel ainsi que les preuves de sa contribution à la performance des entreprises rend tout retour en arrière désormais très difficile à envisager.