La frontière entre blagues de bureau et harcèlement sexuel

Revue de Presse

Une avocate nous a expliqué quand les blagues de bureau basculent dans le harcèlement

VIE DE BUREAU – Quelle est la frontière entre humour gras et harcèlement, voire agression sexuelle? Alors que les comportements déplacés, comme le harcèlement de rue, sont pointés du doigt, la vie d’entreprise n’est pas à l’abri de ces questions, au contraire.

Mains aux fesses, avances sexuelles explicites repoussées et répétées… tout cela est clairement répréhensible. La difficulté est plus dans la zone grise. Comment savoir exactement quand les plaisanteries entre collègues au quotidien dérapent dans le scabreux et l’illégalité?

 

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Comme le montrent les innombrables témoignages du mot-clé ‘#balancetonporc’, le bureau est un lieu inquiétant pour beaucoup de femmes. ‘Dans l’entreprise, une femme sur cinq a été victime de harcèlement’, dénonce au HuffPost Laure Ignace, de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT).

De manière générale, s’il convient de s’assurer du consentement de la cible des plaisanteries, être attentif à sa réaction, à l’effet de répétition sur son moral, il y a aussi des choses qu’il faut tout simplement bannir, quel que soit le lien hiérarchique entre les protagonistes.

L’avocate Valérie Duez-Ruff, spécialiste des cas de harcèlement, a décrypté pour nous ces situations du quotidien, moins anodines qu’on ne le croit.

·         Transformer une amourette fictive entre collègues en running gag

C’est le genre de blague de récré qui a la vie dure. Prétexter d’un quelconque lien privilégié entre deux collègues pour leur inventer de toutes pièces une histoire d’amour secrète.

Sauf quand cela tourne au harcèlement moral, s’il y a un impact physique ou mental. ‘Si tout le monde en fait la blague, cela peut devenir déstabilisant. Si les deux salariés se mettent à s’éviter pour couper court à la plaisanterie, c’est encore pire. Cela veut dire que la manoeuvre a modifié leurs comportements’, détaille l’avocate Valérie Duez-Ruff.

·         Le mail piégé avec une photo pas du tout convenable

Le mail ou le lien piégé pour faire enrager les collègues est un classique. Il y a RickRoll, mais il y a aussi parfois la photo crado qui fait pousser un cri d’effroi à l’autre bout de l’open space. Une rigolade assurée… qui peut tourner court.

Car imposer la vue d’attributs sexuels, d’une image donnant une vision dégradante de l’homme ou de la femme, sur le lieu de travail est considéré comme du harcèlement sexuel par le code du travail.

S’agit-il d’une blague reprise par l’ensemble des salariés? Cela ne change pas grand chose. ‘Est-ce que ça vient atténuer le caractère sexuel de l’image? Non, avertit l’avocate Valérie Duez-Ruff. Les témoignages de collègues pourront prouver qu’il ne s’agissait pas d’avances, mais cela peut mettre mal à l’aise quoi qu’il en soit.’

L’absence de réponse, ou de plainte, du salarié ne change rien. Sous le choc, il peut n’avoir pas pu, ou osé parler, de peur de passer pour le rabat-joie de service, d’être exclu des prochaines plaisanteries.

Répétée, la mauvaise blague peut donc passer pour du harcèlement. Isolée, l’acte n’en restera pas moins un propos sexiste aux yeux de la loi.

·         Montrer ses fesses, ses seins, ou pire, à la fin d’une soirée entre collègues

Game over. Comme la ‘blague’ précédente, il est interdit d’imposer la vue d’attributs sexuels sur le lieu de travail. Il en va de la responsabilité de l’employeur d’assurer des conditions de travail saines. Il pourra donc être attaqué aux prud’ommes, si tant est que le salarié puisse démontrer le préjudice.

Quant à l’exhibitionniste d’un soir, sa performance relève du pénal, catégorie agression sexuelle, passible d’un an d’emprisonnement et 15.000 euros d’amende.

·         Le montage scabreux à partir de la photo d’un(e) collègue

Qu’est-ce que Photoshop ne sait pas faire? A l’heure où les réseaux sociaux regorgent de détournements de photos d’actualité, le monde de l’entreprise n’est pas en reste. Une photo anodine, prise au bureau ou lors d’un événement, peut être détournée pour lui donner un sens tout différent, franchement scabreux, et circuler entre collègues.

‘Cela peut tenir du harcèlement sexuel et moral, explique Valérie Duez-Ruff. On lui prête des intentions sexuelles, et tout dépend de sa position morale personnelle, si elle est religieuse par exemple.’

Tout dépendra aussi de la réponse de la personne. Si elle participe en exprimant clairement son amusement, voire en surenchérissant avec un montage de la même veine et de sa main, pas de souci.

Attention, une réponse du genre ‘vous êtes trop cons’, ‘LOL’, peut-être considérée comme ironique.

En revanche, si elle réplique avec un nouveau montage douteux d’un autre collègue, elle peut devenir harceleuse à son tour.

·         La sale blague graveleuse faite pour choquer

Le raisonnement est le même que pour le point précédent. Dans l’absolu, cela peut tourner au harcèlement. Il faut donc bien s’assurer du consentement de la personne, qu’elle est co-actrice de la plaisanterie et non sa victime.

·         Stigmatiser le dandy du bureau pour ses tenues

Pour les femmes, la chose est entendue. Les remarques sur le physique sont à proscrire à tout prix, celles sur leur tenue doivent rester d’ordre général, éventuellement pour souligner l’élégance. Mais quid des hommes? Quid du dandy toujours tiré à quatre épingles dont les collègues en basket et t-shirt commentent chaque jour la tenue?

Là encore, s’il exprime son agacement, les remarques doivent cesser, sous peine de tourner au harcèlement. Et ce n’est pas tout. ‘On ne peut pas être discriminé en fonction de son apparence’, rappelle notre avocate.

Pour un homosexuel, cela peut devenir encore plus compliqué : ‘S’il a un côté très efféminé, cela peut être considéré comme une manifestation de son homosexualité’. Discrimination encore. Enfin, s’il finit par changer sa manière de s’habiller, c’est qu’il y a bien eu un impact psychologique. Donc harcèlement.

Source : huffingtonpost.fr (20 octobre 2017)