Pourquoi la France peine à adopter le télétravail

Revue de Presse

Atlantico : Un baromètre « Paris Workplace » réalisé par l’IFOP et la Société foncière lyonnaise (SFL) qualifie de « super-mobiles » les employés de moins de 35 ans. Une autre étude explique que 65% des employés de bureau se déclarent intéressés par le travail nomade et le télétravail, et 80% des entreprises considèrent une stratégie mobile comme un « facilitateur essentiel » pour atteindre leurs objectifs… pourtant, elles ne l’appliquent pas. Et derrière les discours, la France se situe dans les derniers pays de l’UE sur le sujet.

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Concrètement, qu’est-ce qui bloque ?

Gilles Saint-Paul : Dans une société à la fois largement tertiarisée et informatisée, les déplacements quotidiens vers le lieu de travail sont une aberration, une survivance du siècle dernier. Il n’y a donc rien d’étonnant que la plupart des salariés se disent intéressés par le télétravail. Les gains potentiels en termes de productivité et de bien-être sont considérables : accroissement du temps libre de plusieurs heures par jour, meilleure réactivité des salariés, libération d’une grosse partie du parc immobilier commercial que l’on pourrait reconvertir en logements ou en aménités urbaines, assouplissement de l’emploi du temps, réduction de la congestion et de la pollution automobile, amélioration de la vie de famille, etc.  Comme c’est le cas pour la plupart des nouvelles technologies, à court terme tout le monde n’y trouve pas son compte, et de nombreux secteurs dont l’activité gravite autour de la présence physique au travail  et des déplacements professionnels risquent de voir leur profitabilité baisser : immobilier, transports urbains (taxis, uber, sncf …), maintenance, sécurité, compagnies aériennes, hôtellerie, restauration… les services fournis par ces secteurs sont des biens intermédiaires utilisés dans la production de biens finaux, associés au fait que l’information ne pouvait pas de déplacer indépendamment des personnes physiques.  Cela n’est plus le cas, et de nombreux métiers sont menacés par la transition vers le télétravail, comme autrefois rémouleurs, tailleurs et poinçonneurs du métro.  Ces risques de court terme expliquent sans doute la réticence des autorités et des partenaires sociaux à favoriser le télétravail, en dépit de son intérêt considérable. A ceci s’ajoute le biais associé aux pays de droit romain, qui fait que toute activité a vocation à être explicitement réglementée par la loi ; lorsqu’une innovation surgit, elle est par définition entourée d’un vide légal et de plus le cadre légal existant doit être repensé : quel sens donner, par exemple, à la notion d’accident du travail lorsque travailler à domicile devient la norme ? Ces difficultés n’existent pas dans les pays de tradition légale anglo-saxonne où prévalent les dispositions contractuelles.  Ce n’est donc pas un hasard si une étude du Centre d’Analyse Stratégique en 2009 montrait que les USA, la Finlande ou la Suède se situaient en tête de peloton pour l’adoption du télétravail, avec déjà à l’époque plus de 30 % de salariés pratiquant le télétravail plus de huit heures par mois, tandis que la France et l’Italie se situaient aux dernières places, avec  9% et 5% respectivement.  Ce même rapport faisait état d’un retard particulièrement alarmant dans le secteur public, ce qui me conforte dans mon diagnostic que les pesanteurs réglementaires constituent un des premiers obstacles à la progression du télétravail. 

Source : atlantico.fr (8 juin 2018)