Retraites : décryptage de la réforme la plus explosive du quinquennat

Revue de Presse

Bascule vers un système universel, fusion des caisses, refonte de l’épargne retraite… Décryptage de la réforme la plus explosive du quinquennat, qui vient d’être lancée.

Nombre de trimestres cotisés, salaire annuel moyen, ou encore décote pour carrière incomplète… A priori, il en sera bientôt fini de ces paramètres abscons, sur lesquels s’appuyait jusqu’ici toute réforme des retraites. Comme l’a répété fin avril Emmanuel Macron, place à un système universel, où ‘chaque euro cotisé donnera les mêmes droits à tous’. A la trappe, donc, les fameux régimes spéciaux. Aux oubliettes également les bizarreries actuelles, que le haut-commissaire en charge de la réforme, Jean-Paul Delevoye, ne se prive jamais de citer.

C’est ainsi qu’un cotisant, ayant débuté au Smic et d’abord travaillé 21 ans comme salarié dans le privé, avant de passer 20,5 ans dans la fonction publique, pourra empocher 1.150 euros de pension mensuelle, quand un affilié ayant, à rémunération identique, suivi le parcours inverse pour travailler 20,5 ans comme fonctionnaire, et finir par 21 ans dans le privé, recevra 7% de moins. Autre aberration : un salarié du privé acceptant un mi-temps en fin de carrière plutôt qu’en début verra sa pension amputée de quelque 400 euros par mois. Alors qu’un fonctionnaire touchera, lui, le même chèque, quel que soit son choix… Selon certains syndicats, ce serait en plus le moment idéal pour remettre à plat le système. ‘Il n’y a plus de mur de déficits à financer, on peut poser de nouvelles bases’, explique ainsi Frédéric Sève, en charge du dossier à la CFDT.

Même si la refonte ne vise qu’à répartir avec plus d’équité un pactole identique de 310 milliards d’euros par an, il va sans dire qu’elle fera des gagnants et des perdants. Pour en savoir plus, nous avons demandé au cabinet spécialisé Optimaretraite de calculer, pour huit profils différents, l’impact des deux options de réforme envisagées. Première d’entre elles : la mise en place d’un système à points, à l’image de celui en vigueur pour l’Agirc-Arrco. Cette option, qui tient clairement la corde, notamment auprès de Jean-Paul Delevoye, a l’avantage d’être simple. Chaque cotisation permet en effet d’engranger un certain nombre de points, point auquel est associée une ‘valeur de service’, c’est-à-dire un montant de retraite. La seconde option, dite des ‘comptes notionnels’, s’inspire, elle, du modèle suédois. ‘Ce système a le mérite d’être le plus transparent’, note Frédéric Sève. Et pour cause : il s’agit là de transformer la totalité des cotisations versées durant une carrière (accumulées sur un compte virtuel) en une rente viagère, dépendant de l’espérance de vie à l’âge auquel le cotisant décide de raccrocher définitivement.

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Quelle que soit l’option choisie, comme le montrent nos simulations, les jeunes générations doivent s’attendre à un revenu de remplacement en baisse, comparé à celui de leurs aînés. Bien évidemment, ce revenu sera d’autant plus confortable que le départ sera tardif : c’est ainsi qu’un cadre empochera de 36 à 42% de son dernier salaire s’il raccroche à 62 ans, mais de 49 à 57% s’il attend ses 67 ans. La réforme à venir s’attaquera-t-elle d’ailleurs à ces seuils d’âge ? ‘Nul doute qu’elle cherchera à déterminer un nouvel âge pivot’, tranche Emmanuel Grimaud, du cabinet Maximis. En attendant, certains profils ont du souci à se faire : les employés et les cadres pourraient ainsi voir leur revenu de remplacement sensiblement fondre.

A l’inverse, les cadres supérieurs et les cadres dirigeants seraient les grands gagnants. Il faut dire que leurs cotisations produiraient pleinement des droits, alors que jusqu’ici le salaire servant de base de calcul à leur retraite était plafonné. Autre élément favorable à ces profils, dans le cas d’une réforme en points : le taux de rendement retenu dans nos simulations, similaire à celui aujourd’hui en vigueur à l’Agirc-Arrco, soit 6%. ‘On peut parier que cette rentabilité fléchira dans le futur, vers 5,5%, puis 5%’, prévient Lionel Viennois, associé chez Optimaretraite. Quant aux fonctionnaires, s’ils sortent sans trop de casse de nos simulations, calculées à cotisations inchangées, c’est que l’Etat a payé son écot à un taux élevé, de 30,65%. Enfin, pour les consultants ou les médecins, la réforme serait quasiment indolore. Nous avons en effet considéré que leurs régimes complémentaires, qui pèsent lourd dans le total de leurs pensions, seraient épargnés par la réforme.

Rien n’est toutefois acquis sur ce point, le nouveau système ayant vocation à tout remplacer. ‘On peut cependant imaginer qu’il ne s’applique qu’aux premières tranches de salaire, dans une limite de trois fois le plafond annuel de la Sécu, soit 120.000 euros environ, suggère Pierre Burban, secrétaire général du syndicat patronal U2P. Ce qui permettra de toucher 92% de la masse salariale.’ Au-delà, un régime complémentaire pourrait prendre le relais. Bien évidemment, il faudra aussi décider du sort des ‘droits non contributifs’, c’est-à-dire des mécanismes de solidarité, prévus en cas de chômage, de maternité ou d’arrêt maladie.

Dernière incertitude, qui pourrait affecter le niveau des pensions : le mode de bascule entre l’ancien et le nouveau système. A priori, une franchise de cinq ans devrait s’appliquer : si la loi est votée, comme prévu, en 2019, seuls les départs à compter de 2025 seraient donc concernés. Pour nos simulations, nous avons considéré que les cotisants garderaient tels quels les droits acquis dans le système actuel. Un scénario plus rapide qu’une réforme qui ne s’appliquerait qu’aux nouveaux cotisants, mais moins brutal que la conversion instantanée des anciens en nouveaux droits.

Ce big bang annoncé ne concernera pas que le calcul des pensions. Il devrait aussi permettre de réduire le millefeuille de régimes, estimé à 42 organismes. De quoi économiser, selon l’économiste Jacques Bichot, de 2 à 3 milliards d’euros de frais de gestion par an. Et peut-être améliorer la qualité de service qui laisse toujours à désirer. C’est ainsi que la proportion de pensions aux montants erronés varie de seulement 1% à l’Ircantec à… 11% à la Cnav. La réforme pourrait aussi s’attaquer aux réserves financières, constituées au fil des ans par plusieurs caisses. Les gérants de ces dizaines de milliards d’euros ne sont pas tous aussi performants.

Dernière réforme à signaler : celle de l’épargne retraite, que le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a lancée début mai, et qui devrait faciliter le transfert de votre capital d’un contrat à l’autre, tout en préservant les principaux avantages fiscaux. Bref, encourager la constitution d’un bas de laine. Une précaution, on l’aura compris, plus que conseillée…

Source :   Extrait de capital.fr (20  juillet 2018)