Salariés, cadres : comment prouver et vous faire payer vos heures supplémentaires aux prud’hommes ?

Revue de Presse

Selon une étude du Ministère du Travail publiée le 26 janvier 2018 en France, les salariés des entreprises de 10 salariés et plus ont effectué, entre janvier et septembre 2017, en moyenne 10,2 heures supplémentaires par trimestre.

Néanmoins, ces chiffres ne prennent en considération que les heures supplémentaires effectuées, déclarées et payées par l’employeur.

En pratique, de nombreuses heures supplémentaires sont effectuées par les salariés sans pour autant être payées, et encore moins déclarées. Surtout, contrairement à une légende urbaine, les cadres peuvent se voir payer leurs heures supplémentaires.

Dans le cadre d’un litige prud’homal, les heures supplémentaires sont souvent un poste important des demandes des salariés. Parfois, le montant des heures supplémentaires réclamées par un salarié peut être équivalent au montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le plafonnement des indemnités pour licenciement sans cause va parallèlement conduire les salariés à faire d’autres demandes aux prud’hommes, outre la contestation du licenciement.

I- Cadres dirigeants et cadres au forfait jours  : puis-je me faire payer mes heures supplémentaires ?

A- Cadres dirigeants et heures supplémentaires

Par principe, les cadres dirigeants ne sont pas soumis à la législation sur la durée du travail et sur les heures supplémentaires.

Néanmoins, si le salarié démontre qu’il ne remplit pas les 4 conditions cumulatives du cadre dirigeant (responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps, habilitation à prendre des décisions de façon largement autonome, rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans l’entreprise, participation à la direction de l’entreprise), il peut obtenir le paiement de ses heures supplémentaires.

A titre d’exemple, dans un arrêt du 15 novembre 2017 (Monsieur X c/ RMH & LOUVRE HOTELS GROUP), la Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement du Conseil de prud’hommes de Meaux qui avait condamné l’employeur au paiement de 72.441 euros bruts à titre de rappels d’heures supplémentaires.

Le salarié employé en qualité de Directeur, cadre dirigeant, avait démontré qu’il ne participait pas à la direction de l’entreprise, qu’il ne disposait pas de l’une des rémunérations les plus élevés et qu’il ne pouvait prendre des décisions de façon largement autonome.

Afin de démontrer les heures supplémentaires effectuées, le salarié produisait les plannings hebdomadaires du personnel, validé par l’employeur ainsi qu’un tableau récapitulatif général de ses horaires.

B- Cadres au forfait jours et heures supplémentaires

Le recours à la convention de forfait jours doit être autorisé par un accord collectif d’entreprise, d’établissement ou par une convention ou accord de branche (article L.3121-63 du Code du travail).

Cet accord doit notamment préciser les catégories de salariés concernés, le volume des forfaits et les principales caractéristiques des forfaits.

L’accord doit également impérativement contenir des dispositions assurant la protection de la santé et de la sécurité du salarié et fixer les modalités de suivi régulier de la charge de travail des salariés.

Si l’accord ne prévoit pas l’une de ces dispositions, les conventions de forfait jours conclues sont nulles.

Si l’employeur ne respecte pas les dispositions conventionnelles encadrant le forfait jours (par exemple s’il ne met pas en place un entretien annuel sur la charge de travail), les conventions de forfait jours sont privées d’effet.

Dans les deux cas, la durée de travail du salarié doit être calculée sur la base de 35 heures et il peut alors solliciter le paiement de ses heures supplémentaires, sous réserve d’étayer sa demande.

Ainsi, dans un arrêt du 21 février 2018, la Cour d’appel de Paris a condamné un employeur au paiement de 15.000 euros à titre de rappels d’heures supplémentaires, ce dernier n’ayant pas mis en place d’évaluation annuelle évoquant la charge de travail du salarié.

A l’appui de sa demande d’heures supplémentaires, le salarié produisait des courriels, plannings, attestations et tableaux d’heures supplémentaires permettant d’étayer sa demande.

II) Comment se décomptent les heures supplémentaires ?

2.1)Le principe  : 35 heures par semaine civile.

Les heures supplémentaires se décomptent par semaine civile, c’est-à-dire du lundi 0h00 au dimanche 24h00.

Dès lors, les heures effectuées au-delà de la durée quotidienne de travail ne sont pas nécessairement des heures supplémentaires car le calcul des heures supplémentaires s’effectue sur la semaine civile.

Seules les heures effectuées au-delà de 35 heures par semaine constituent des heures supplémentaires.

Exemple   :

Madame X travaille 35 heures par semaine, de 9 heures à 17 heures, avec 1 heure de pause-déjeuner (soit 7 heures de travail effectif par jour).

La semaine du 8 au 14 janvier 2018, Madame X a travaillé du lundi au vendredi, de 9 heures à 19 heures, avec 1 heure de pause déjeuner, soit 9 heures de travail effectif par jour.

Elle a donc effectué  : 9 heures x 5 jours = 45 heures.

Son employeur doit donc lui payer 10 heures supplémentaires.

La semaine du 15 au 21 janvier 2018, Madame Y a posé 2 jours de congés payés, le jeudi et le vendredi.

Elle a travaillé du lundi au mercredi, de 9 heures à 19 heures, avec 1 heure de pause-déjeuner.

Elle a donc effectué  : 9 heures x 3 jours = 27 heures.

Aucune heure supplémentaire ne lui est due.

Il est donc impératif de décompter les jours de congés payés / absences pour maladie ou autre jour d’absence afin d’avoir la durée de travail exacte.

2.2) La majoration des heures supplémentaires  : 10%, 25% ou 50% ?

En l’absence d’accord collectif, le taux de majoration des heures supplémentaires est fixé à 25% pour les 8 premières heures, puis 50% pour les heures suivantes (article L.3121-36 du Code du travail).

Un accord collectif peut cependant fixer les taux de majoration des heures supplémentaires, sans pouvoir être inférieur à 10%.

Le salaire majoré correspond au «  salaire de base », qui prend en compte l’ensemble des éléments de rémunération «  directement rattachés à l’activité professionnelle du salariée » (Cass.soc., 23 septembre 2009, n°08-40.636).

Ainsi, doivent être pris en considération dans le calcul du salaire devant être majoré les primes relatives au travail dominical, de nuit, mais également les avantages en nature ou prime de résultat.

2.3) Les exceptions.

2.3.1)L’annualisation. (Article L.3121-41 du Code du travail)

Un accord collectif peut prévoir un dispositif d’aménagement du temps de travail sur une période supérieure à la semaine et, au plus sur 3 ans.

Si le temps de travail est organisé sur une période annuelle, le seuil de déclenchement des heures supplémentaires est fixé à 1607 heures (sauf accord collectif plus favorable).

L’accord collectif peut également prévoir la possibilité d’établir un décompte hebdomadaire du temps de travail, qui déclencherait les heures supplémentaires.

En cas d’organisation du temps de travail sur une période inférieure ou supérieure à 1 an, sont considérées comme heures supplémentaires (Article D.3121-25 du Code du travail)  :

  • Les heures effectuées au-delà de 39 heures par semaine ;
  • Les heures effectuées au-delà de la durée moyenne de 35h hebdomadaires calculée sur la période de référence.
    2.3.2) Les jours de RTT.

Un salarié peut bénéficier de jours de RTT visant à compenser, par des journées de repos, une durée de travail supérieure à 35 heures par semaine.

Exemple  :

Un salarié travaillant 37 heures par semaine bénéficie de 12 jours de RTT par an.

Les 2 heures «  supplémentaires » effectuées chaque semaine ne donnent pas lieu à une compensation financière mais à une compensation en jours de repos (RTT).

3) Comment se prouve votre demande d’heures supplémentaires aux prud’hommes ?

En matière d’heures supplémentaires, le Code du travail prévoit un aménagement de la charge de la preuve.

Ainsi, l’article L.3171-4 du Code du travail dispose que «  En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. »

Tous les éléments permettant de démontrer les horaires de travail effectivement réalisés peuvent être produits dès lors qu’ils permettent de déterminer exactement les horaires effectués.

Il peut s’agir  :

  • De relevés de pointage ;
  • D’e-mails envoyés et professionnels ;
  • D’un agenda personnel (avec notamment les rendez-vous personnels et professionnels) précisant l’heure de début de travail et l’heure de fin de travail chaque jour ;
  • D’attestations de collègues ;
  • De billets de train / d’avion / de bus en cas de déplacements professionnels ;
  • D’un agenda professionnel partagé.
    4) En pratique, comment présenter les heures supplémentaires ?

Afin de simplifier et de rendre plus lisible le décompte d’heures supplémentaires, il est préférable de le présenter sous un fichier Excel ci-dessous.

Le tableau récapitulatif doit être le strict reflet des éléments produits pour démontrer les heures supplémentaires.

Seules les heures supplémentaires démontrées, preuves à l’appui, sont susceptibles d’être admises devant un Conseil de prud’hommes ou une Cour d’appel.

A défaut d’élément permettant de démontrer l’horaire effectivement réalisé, il faudra uniquement prendre en compte l’horaire applicable dans l’entreprise.

5) La prescription de 3 ans des demandes de rappel d’heures supplémentaires.

Depuis la loi n°2013-504 de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, l’article L.3245-1 du Code du travail prévoit une prescription de 3 ans pour les demandes de rappel de salaires.

Ce délai de 3 ans s’applique «  à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » ou, si le contrat de travail est rompu «  sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat ».

6)Le travail dissimulé et les heures supplémentaires.

En présence d’heures supplémentaires non payées, un salarié peut également obtenir une indemnité pour travail dissimulé correspondant à 6 mois de salaire (Article L.8223-1 du Code du travail).

En effet, aux termes de l’article L. 8221-5 du Code du Travail  : «  est réputé travail dissimulé, par dissimulation d’emploi salarié, le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité de déclaration préalable à l’embauche, de se soustraire à la délivrance de bulletins de paie ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli’.

Ainsi, est considéré comme travail dissimulé le fait pour un employeur de ne pas mentionner les heures supplémentaires sur le bulletin de paie, et donc d’indiquer un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Récemment, dans un arrêt du 13 février 2018 (Madame X c/ CRAZY ENTERTAINMENT), la Cour d’appel de Paris a condamné un employeur à payer une indemnité pour travail dissimulé pour avoir mentionné, sur les bulletins de paie, un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Les magistrats ont notamment constaté que l’employeur ne pouvait ignorer que la salariée avait effectuée des heures supplémentaires, qui n’avaient été ni rémunérées, ni mentionnées sur les bulletins de paie (et donc non déclarées et soumises à cotisations sociales).

A l’appui de sa demande d’heures supplémentaires et d’indemnité pour travail dissimulé, la salariée produisait un décompte des heures supplémentaires, les plannings mentionnant les heures prévues ainsi que des attestations de salariés.

De même, dans un arrêt du 23 janvier 2018 (Monsieur Z c/ TF1 PRODUCTION), la Cour d’appel de Versailles a condamné un employeur au paiement d’une indemnité pour travail dissimulé du fait du non-paiement de 630,74 euros d’heures supplémentaires.

De même, dans un arrêt très médiatisé du 21 février 2018, un coiffeur a obtenu la condamnation de son ancien employeur à une indemnité pour travail dissimulé de 9.000 euros du fait du non-paiement de 3,5 heures supplémentaires.

La Cour d’appel a ainsi retenu que l’employeur avait «  sciemment omis de prendre en compte les heures ainsi accomplies et de les régler lors de la remise du solde de tout compte. » A l’appui de sa demande d’heures supplémentaires, le salarié produisait les plannings manuscrits du salon de coiffure.

pdf_tableaux_heures_supp.pdf

Modèle de tableau de calcul d’heures supplémentaires

Source : village-justice.com (26 mars 2018)

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