Burn-out : « Sa reconnaissance comme maladie professionnelle est quasi impossible en l’état actuel de la législation »

Revue de Presse

1000000000000216000001644f4fa2b7d246dc17.jpgL’esplanade du quartier d’affaires de La Défense (Hauts-de-Seine).

La ministre de la santé, Agnès Buzyn, a affirmé, le 22 octobre sur LCI, que le burn-out ne serait pas, pour l’heure, reconnu comme une maladie professionnelle  : «  Aujourd’hui, il s’avère que ce n’est pas une maladie. C’est un ensemble de symptômes et, donc, c’est très difficile de décider que c’est une maladie professionnelle », a-t-elle dit.

Morane Keim-Bagot, maître de conférences en droit privé à l’Université Paris-I Panthéon Sorbonne et Me Audrey Pascal, avocate spécialiste en droit du travail et de la protection sociale, reviennent, dans un entretien au Monde, sur le syndrome d’épuisement professionnel.

Décodeurs :   Non, le burn-out n’est pas reconnu comme une maladie professionnelle

Le «  burn-out » est-il un phénomène récent ? Ou existait-il sous un autre nom jusqu’à présent ?

Morane Keim-Bagot  : La souffrance au travail n’est pas un phénomène nouveau, l’épuisement professionnel n’est qu’une de ses facettes qui émerge récemment avec la description d’un tableau clinique qui n’était peut-être pas connu. Finalement, c’est l’évolution des connaissances scientifiques qui est nouvelle, pas le mal dont sont atteints les salariés. Evidemment jusque dans les années 1990, on s’est essentiellement concentrés sur les troubles physiques des travailleurs, ce qui ne signifie pas que la souffrance mentale n’était pas là, elle n’était simplement pas documentée.

Me Audrey Pascal  : Malgré l’ancienneté du phénomène, le burn-out et plus largement la question de la santé mentale au travail n’ont pas été immédiatement «  saisis » par le droit. Ils font, encore à l’heure actuelle, l’objet d’une progressive construction juridique. En la matière, force est d’ailleurs de constater que le droit de l’Union européenne joue incontestablement le rôle de moteur, impulsant très souvent les évolutions législatives françaises.

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Qu’est-ce qui explique que le mot «  burn-out » trouve tant d’échos aujourd’hui ?

M. K.-B.  : Le fait que les cadres soient touchés par le syndrome d’épuisement au travail joue beaucoup dans la médiatisation de ces questions de santé publique.

Dans le cas de l’amiante, tant que seuls les ouvriers étaient touchés, la question était normalisée. C’est lorsque les universitaires ont commencé à développer des pathologies que la médiatisation a vraiment gagné en ampleur.

Et puis, j’ai le sentiment que concernant le burn-out, il y a un phénomène d’identification forte. On connaît tous quelqu’un à qui c’est arrivé quel que soit le milieu, quelle que soit la catégorie professionnelle (même si ce n’est pas médicalement un burn-out).

A. P.  : S’il n’est pas nouveau, le phénomène de burn-out prend de l’ampleur aujourd’hui, sans doute en raison de la dégradation des conditions de travail, de la pression économique et des objectifs de performance fixés aux salariés.

Quels sont les avantages et les inconvénients d’une reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle ?

A. P.  : Certains prédisent un accroissement du coût du travail si la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle se développait.

A contrario, le développement de la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle présente deux avantages. D’une part, il pourrait inciter les entreprises à agir préventivement pour éviter justement d’avoir à payer d’onéreuses cotisations. En effet, le taux de cotisation supporté par l’employeur pour le risque AT-MP [accidents du travail et maladies professionnelles] est modulé en fonction de la sinistralité de l’entreprise  : plus il y a d’accidents du travail et de maladies professionnelles, plus le taux de cotisation de l’entreprise est élevé.

D’autre part, il s’agirait d’appliquer la politique du «  pollueur-payeur ». En effet, le coût social du burn-out serait supporté, non par la collectivité mais par les entreprises qui en sont réellement à l’origine, sans pénaliser pour autant celles qui auront mis en œuvre une réelle politique active de prévention et de lutte contre les risques psychosociaux.

M. K.-B.  : Selon moi, la reconnaissance du burn-out, plus largement des psychopathologies comme maladie professionnelle, est quasi impossible en l’état actuel de la législation. La commission spécialisée des pathologies professionnelles ne parviendra jamais à un consensus pour établir un tableau sur la question car il s’agit d’une instance de négociation paritaire. Le patronat n’acceptera jamais de fixer par tableau les conditions d’une reconnaissance automatique d’une pathologie multifactorielle, dont beaucoup considèrent encore qu’elle est due à une fragilité personnelle.

Par ailleurs, je considère que les psychopathologies ne sont pas un risque social qui doit être indemnisé par la solidarité des employeurs. Selon moi, la souffrance psychique est la conséquence d’une faute de l’employeur, faute d’organisation, faute managériale, qui caractérise un manquement à son obligation de sécurité, et doit être réparée sur le fondement de la responsabilité civile de l’employeur.

Source : lemonde.fr (28  octobre 2017)

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