Céder Orange, un casse-tête pour l’Etat actionnaire

Revue de Presse

« La participation de l’Etat dans une entreprise comme Orange peut évoluer. […] Orange n’est ni une entreprise du secteur nucléaire ou de la défense ni une entreprise assurant un service public en monopole », avait déclaré Emmanuel Macron, au site Internet ElectronLibre, durant la campagne présidentielle.  – Dominique Boll pour ‘Les Echos’

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Dans la volonté d’Emmanuel Macron d’élaguer le portefeuille de participations de l’Etat, Orange est un candidat de choix. Mais aussi un enjeu stratégique majeur, décisif pour la consolidation du secteur des télécoms et l’aménagement numérique du territoire.

Sortie du capital d’Alstom.  Cession de 4,5 % du capital d’Engie pour 1,5 milliard d’euros… L’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée ouvre une nouvelle ère pour l’Etat actionnaire. A qui le tour dans le bal des désengagements annoncés ? Tous les regards se tournent désormais vers Orange, le numéro un français des télécoms, dont l’Etat détient indirectement 22,95 % du capital (13,39 % via la Banque publique d’investissement et 9,56 % via l’Agence des participations de l’Etat).

Même s’il est le premier actionnaire de l’opérateur télécoms, l’Etat ne considère pas cette participation comme stratégique. Emmanuel Macron l’a dit au site Internet ElectronLibre pendant sa campagne  :   «  La participation de l’Etat dans une entreprise comme Orange peut évoluer. […] Orange n’est ni une entreprise du secteur nucléaire ou de la défense ni une entreprise assurant un service public en monopole. »

Mais ce n’est pas n’importe quel type d’entreprise non plus. Et la cession de tout ou partie de la part de l’Etat dans le capital de ce fleuron français représente un enjeu tellement important que sa main tremble à chaque fois qu’il se pose la question.

Il existe plusieurs voies de sortie auxquelles l’Etat a réfléchi. Sans tabou. La cession de l’intégralité de sa participation a même été étudiée. Une hypothèse qui paraît aujourd’hui hasardeuse tant la décote serait importante. Impossible aussi de laisser Orange sans actionnaire de référence,  «  cela reviendrait à signer le début de la fin de son leadership », commente un expert des télécoms. Ou à laisser la porte ouverte à un «  rapace », voire à un acteur étranger.

Un ticket à 9 milliards d’euros

Il faut donc trouver un acheteur, un acteur industriel qui serait prêt à mettre quelque… 9 milliards d’euros sur la table pour reprendre la part de l’Etat. Mais les conséquences pourraient être lourdes pour le secteur des télécoms, suivant le profil retenu. D’abord, Orange est un actif sensible  : c’est par lui que transitent les communications. Etre présent au capital peut faciliter l’action de l’Etat en cas de nécessité de défense d’intérêts sécuritaires. En clair, l’Etat ne peut pas laisser entre n’importe quelles mains un actif aussi stratégique.

Trois industriels auraient été sondés discrètement par  Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée , pour tester leur éventuel appétit  : Bouygues, Altice, la maison mère de SFR, et Vivendi (Canal+, Universal Music, Telecom Italia).  «  L’Etat reçoit régulièrement des dirigeants de grandes entreprises. Ces entretiens ont vocation à discuter des secteurs économiques dans lesquelles les entreprises opèrent. Cela ne signifie en rien que l’Etat s’apprête à mener une opération quelconque dans le secteur des télécoms », explique-t-on à l’Elysée. 

«  Quand on sonde à ce niveau, c’est que l’on est un peu plus qu’en mode exploratoire, commente de son côté un proche du pouvoir. L’Etat est probablement prêt à vendre sa part, mais il ne trouve pas encore le bon acheteur, ni le bon schéma. »

Bouygues, Altice et Vivendi sondés

L’exercice n’est en effet pas facile. Vendre à Bouygues ou à Altice reviendrait à relancer la consolidation du secteur des télécoms. Bouygues se marierait avec Orange. Quant à Altice, s’il devait entrer au capital de l’opérateur historique, il se verrait contraint de  revendre SFR pour des questions de concurrence.

Mais cela ne serait pas un problème pour son propriétaire, Patrick Drahi, que certains ont déjà entendu dire, sans rire, qu’il pourrait très bien alors céder SFR à Bouygues. Dans ces deux cas, cela aurait pour effet de réduire le nombre d’acteurs télécoms de quatre à trois. Ce qui permettrait de renforcer le marché français pour une éventuelle consolidation européenne.

Mais Emmanuel Macron y réfléchira à deux fois, lui qui pousse aujourd’hui à une  accélération du déploiement de la fibre optique et de la 4G en France. Un autre enjeu politique majeur… Or relancer les grandes manoeuvres dans les télécoms aurait sûrement pour effet de ralentir la cadence. Et comment mieux s’assurer que ces promesses aux Français soient tenues sinon en restant actionnaire de référence d’Orange ?

Sans compter que les salariés de l’opérateur historique, qui détiennent plus de 5 % du capital, verraient d’un très mauvais oeil l’arrivée au capital d’un Altice ou d’un Vivendi, aux méthodes souvent jugées brutales.

Il y a donc fort à parier que l’Etat ne cède qu’une partie du capital d’Orange – 2 %, 3 %, 4 % ?  «  N’importe quel banquier pourrait les placer sans décote en moins de deux heures, notamment auprès d’investisseurs américains », estime un bon connaisseur.

Mais l’heure n’est sûrement pas encore venue. Le cours de l’action Orange est relativement bas. Il a un potentiel de revalorisation dans les années à venir, notamment si les acteurs télécoms parviennent à faire remonter leurs tarifs.

Au-delà donc de sa volonté supposée de vouloir conserver un rôle d’influence chez Orange, l’Etat a tout à gagner à attendre, avant de céder tout ou partie de sa participation, s’il veut, aussi, agir en investisseur avisé.

Source : Lesechos.fr (22 octobre 2017)