Congés illimités, (fausse) bonne idée ?

Revue de Presse

Ne plus avoir de limites pour poser des congés payés, c’est le choix qu’ont commencé à faire certaines entreprises. Un choix qui peut améliorer le bien-être des salariés, mais pose des questions de droit du travail.

Tout est d’abord parti d’une expérimentation au Japon, dans les années 1980 et 1990, autour d’un principe de “congé contre objectif”. L’idée a ensuite fait son chemin dans les start-up de la Silicon Valley. Aujourd’hui, en France, plusieurs entreprises ont fait le choix de s’y convertir. Le concept de congés illimités commence à faire son trou dans l’hexagone. Le principe ? Donner la possibilité au salarié de choisir combien de jours il souhaite poser chaque année, sans limitations. Est-ce pour autant une bonne idée, ou plutôt un cadeau empoisonné ?

Chez Avinim, un groupe immobilier de l’Est de la France, c’est le patron, Martial Demange, qui a lancé le mouvement. “Un jour, une collaboratrice vient me voir, un peu embarrassée, et me dit : écoutes Martial , je me suis proposée pour aider pendant la kermesse de mes enfants. Mais je ne suis pas sûr d’avoir assez de jours…”, se souvient-il. Il se trouve que cette salariée n’avait pas besoin de s’absenter longtemps, “juste une demi-journée ! Vous vous rendez compte ?”. De là, notre patron commence à réfléchir à une solution. “J’avais eu vent d’une expérimentation du congé illimité dans une entreprise tricolore. Du coup, je me suis dit, pourquoi pas nous ?”.

Alors Martial Demange s’empresse de proposer cette nouvelle organisation à ses salariés. “Je leur explique qu’au-delà des cinq semaines légales, il pourront poser autant de jours qu’ils veulent”. Selon ses dires, l’ensemble des collaborateurs accueille la nouvelle avec beaucoup d’enthousiasme. Et il l’assure, aucun des salariés ne sait combien de jours de plus a pris son voisin, “ce n’est même pas une question”. Au quotidien, la répartition et l’organisation du travail n’ont pas non plus été modifié en profondeur. “Nous réfléchissons et discutons des vacances de chacun comme nous pouvions le faire auparavant”. Seule barrière que les salariés ont eux-même fixé : il faut avoir au-moins deux ans de présence dans l’entreprise pour pouvoir en bénéficier. “Le temps d’acquérir la culture de notre société. Un parcours plutôt bien perçu par les nouveaux arrivants”.

Donc, comme ça, les congés illimités n’auraient que des avantages ? Ils posent tout de même quelques questions de droit du travail. En France, une entreprise qui choisit cette nouvelle organisation du travail est théoriquement dans l’illégalité puisque le minimum légal est fixé par le Code du travail et l’augmentation du nombre de jours de congés se décide par convention collective. “Il faut qu’il y ait une sorte d’accord tacite entre les salariés et la direction de l’entreprise. Mais s’il commence à y avoir des problèmes, par exemple un employé qui se plaindrait de ne pas avoir eu autant de jours que son collègue, mieux vaut revenir au cadre légal”, conseille Pascal Grémiaux, entrepreneur et spécialiste des questions RH.

Rassurons-nous, les États-Unis n’ont même pas de congés payés…

Martial Demange est sur la même ligne. “Quand on gratte un peu ces aspects légaux, on se rend compte qu’un salarié pourrait très bien nous attaquer aux prud’hommes s’il s’estime lésé. C’est pour ça que, chez nous, nous souhaitons vraiment être tous sur la même longueur d’onde, pour ne pas en arriver à ces extrémités”, reconnaît-il. Pour Pascal Grémiaux, les congés illimités peuvent aussi êtres sources de problèmes de management. “Avec un chef un peu trop autoritaire, on peut vite tomber dans un cercle vicieux d’objectifs toujours plus difficile à atteindre en contrepartie des congés accordés, ce qui peut à des situations de surmenage, voire de burn-out”, s’alarme-t-il. Mais, rassurons-nous, nous ne sommes pas les plus mal lotis : aux États-Unis, il n’existe pas d’obligation de congés payés pour les employeurs. Autant dire que, là-bas, les congés illimités peuvent être un bon moyen de justifier une pression accrue sur ses employés…

Source : capital.fr (30 juin 2017)