« Depuis toujours, le patronat veut la peau du CHSCT »

Revue de Presse

Les ordonnances défendues par la ministre du Travail, Muriel Pénicaud et le Premier ministre Édouard Philippe suppriment le CHSCT. Ils ne manifesteront pas ce 21 septembre, mais les professionnels de la santé s’inquiètent.

À quelques jours de la publication des ordonnances réformant le code du travail, la disparition du CHSCT inquiète les acteurs de la santé.

‘Si les ordonnances passent, on sera tous chômeurs’, plaisantent ce mardi 20 septembre les participants d’une soirée de lutte contre le texte organisée par l’Association des experts agréés et intervenants auprès des CHSCT (ADEAIC). Le syndicat regroupe une vingtaine de cabinets spécialisés dans la santé au travail. 

À deux jours de la signature des ordonnances en conseil des ministres, la réforme du code du travail agite les esprits. Celle-ci prévoient en effet la fin du CHSCT. S’ils tentent de sourire de cette mort programmée, les spécialistes des questions de santé au travail sont inquiets. 

Affaires de l’amiante respirée par les salariés, vague de suicides chez France Télécom, AVC d’une employée de La Poste sur son lieu de travail… Dans chacun de ces cas fortement médiatisés, la première alarme est toujours donnée par le CHSCT (le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) des entreprises concernées, relèvent les experts. Depuis sa création en 1982 par les lois Auroux, le CHSCT a en effet pour mission d’alerter sur les dysfonctionnements dans les conditions de travail ainsi que sur les risques pesant sur la santé des salariés. 

‘Les questions économiques prendront le pas sur la santé’

Les entreprises de plus de 50 salariés qui comptent jusqu’à présent un comité d’entreprise (CE), un CHSCT et des délégués du personnel (DP) verront ces instances se regrouper en une seule : le conseil social et économique (CSE). Seuls les groupes de plus de 300 salariés seront dotés d’une commission spécifique dédiée aux questions de santé, de sécurité et des conditions de travail. Un changement majeur qui leur fait craindre le pire.  

Première source d’inquiétude : que leurs compétences soient balayées dans cette vaste fusion. ‘La création du CSE va mécaniquement se traduire par moins de représentants et d’heures de délégation, dénonce Annabelle Chassagnieux, vice-présidente de l’ADEAIC. Cette seule instance aura dans le même temps beaucoup plus de sujets à traiter. On impose donc aux syndicalistes une sorte de cumul des mandats. Mais le risque majeur de ce mélange des genres et des rôles, c’est surtout que les questions d’emploi et d’économie prennent le pas sur celles liées à la santé.’ 

Autre sujet d’inquiétude : les futurs moyens alloués. ‘Désormais, avec le seul budget du CSE, il faudra tout faire et tout traiter, explique Judith Krivine, avocate en doit social. Avant le CE avait un budget et une subvention et avec ce budget il assurait le fonctionnement total du CE et pouvait payer un expert, par exemple. Aujourd’hui, il prendra absolument tout à sa charge, y compris 20% des frais de chaque expertise demandée sur les conditions de travail, comme le fixe l’ordonnance. Il faudra faire tout le temps des choix.’ 

Le CHSCT trop embarrassant pour les employeurs…

À leurs yeux, tout est fait pour ‘asphyxier les instances’ et ‘édulcorer l’importance des sujets abordés’. Ainsi, alors que le CHSCT devait expressément ‘contribuer à la prévention et à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des salariés’ ou de leur ‘exposition à la pénibilité’, le CSE n’y est plus tenu. Charge à lui ‘d’analyser les risques professionnels auxquels peuvent être exposés les travailleurs’. La notion de ‘qualité de vie au travail’ est également mise en avant dans le nouveau texte. Un terme vague qui ne désigne pas les choses avec la précision nécessaire, selon ces experts. 

‘Le patronat a le CHSCT dans le collimateur depuis toujours’, dénonce Frédéric, élu au CE et au CHSCT dans une grande entreprise française du secteur de l’énergie. N’oubliez pas que le CHSCT peut pointer la responsabilité des employeurs. Et ça, en général, ils n’aiment pas du tout.’ 

… Qui préfèrent des responsables du bonheur

C’est donc ce contre-pouvoir que le gouvernement tenterait d’entraver par le biais des ordonnances? ‘Il y a une véritable philosophie globale qui est à l’oeuvre dans ce texte, analyse la sociologue Danièle Linhart. C’est celle de concentrer l’ensemble du pouvoir et du savoir dans les mains de l’employeur, qui s’approprie tout y compris les questions de santé au travail, en proposant ses propres réponses, comme la mise en place d’un responsable du bonheur, par exemple. Les acteurs extérieurs ou syndicalistes sont vus comme des agents contestataires, qui produisent une autre version que celle voulue par la direction. Et c’est tout cela qui est combattu en tentant de museler les acteurs et les experts.’ 

Source :   lentreprise.lexpress .fr (21 septembre 2017)