Harcèlement au travail : « Notre société tolère trop ces agissements, c’est un problème »

Revue de Presse

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Drague lourde ou harcèlement sexuel ? Certains ont du mal à faire la différence et beaucoup d’agissements restent tolérés. Et si l’affaire Weinstein changeait la donne ?

Bruits de bouche obscènes, regards lubriques, gestes déplacés  : dans la foulée du scandale ‘Harvey Weinstein’, des milliers de femmes ont raconté ces derniers jours sous le hashtag #Balancetonporc, le harcèlement dont elles ont un jour été victimes. 

Un problème qui ne se limite pas qu’aux paillettes d’Hollywood. Car comme le révèle un sondage publié ce vendredi, plus d’une Française sur deux (53%) dit avoir subi une agression sexuelle (attouchements sexuels, main aux fesses, baiser forcé…) et/ou une forme de harcèlement sexuel (propos déplacés, dégradants, insultes à connotation sexuelle, propositions sexuelles…), dont 17% au travail. 

#balancetonporc !! toi aussi raconte en donnant le nom et les détails un harcèlent sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends

Mais si la parole semble se libérer peu à peu, l’infraction est difficile à caractériser et les classements sans suite fréquents. Et ce malgré l’arsenal juridique existant. Explications.

Blaguer, draguer (ou tenter de séduire) ou harceler  : où s’arrêtent les uns et où commencent les autres ?

Selon la loi du 6 août 2012, le harcèlement sexuel est ‘le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante’.

‘Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers’  

Concrètement, il peut prendre toutes les formes possibles, explique Catherine Le Magueresse, juriste et ancienne présidente de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Il y a le harcèlement non verbal, par des gestes plus ou moins obscènes ou le fait de prendre, par exemple, la photo du visage d’une salariée, la mettre sur le corps d’une femme dénudée et de la faire circuler. Il y a bien sûr les propositions verbales, mais également le harcèlement physique, qui consiste en des attouchements sur des parties non connotées sexuellement.

Mais surtout, tout dépend du contexte  :  qui dit quoi, à quelle occasion, sur quel ton, dans quel historique de relation, s’agit-il de personnes qui se connaissent, qui sont amies ou pas du tout ? Comme toute relation, soit elle est réciproque, soit l’une des personnes montre qu’elle n’est pas à l’aise et cela doit cesser immédiatement. Si ce n’est pas le cas, cela devient du harcèlement. 

Évident ? Selon les décodeurs, trois Français sur quatre ne distinguent pas harcèlement, blagues salaces et séduction. Ils proposent un quiz pour se tester  :  

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Le harcèlement, une affaire de hiérarchie ou un mal qui peut toucher de ‘simples’ collègues ?

Si l’on prend les statistiques, 40% des cas de harcèlement ont lieu entre collègues. Or, jusqu’en 2002, le droit exigeait, pour que la plainte soit recevable, qu’il s’agisse d’un supérieur hiérarchique, souligne Catherine Le Magueresse. Depuis, cette condition légale a disparu. Un collègue ou même un subordonné peut être considéré comme harceleur. Toutefois, depuis 2012, le fait d’être le supérieur hiérarchique de la personne harcelée, ou le fait d’abuser de son autorité ou de sa position, est considéré comme une circonstance aggravante. 

Quelles sont les peines encourues en cas de harcèlement ?

Actuellement, le harcèlement sexuel peut être puni de deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. Des peines qui peuvent être portées à trois ans de prison et 45 000 euros d’amende en cas de harcèlement aggravé. Dans les faits, Catherine Le Magueresse n’a pas souvenir de peines fermes prononcées. Elle évoque plutôt des peines allant de un à sept mois de prison avec sursis. Et les amendes sont très rarement prononcées.

Pour ce qui est du délai de prescription, il est le même que pour tous les délits  : 6 ans à partir du dernier acte de harcèlement. Quant aux faits prescrits, ils peuvent au moins être pris en compte dans le faisceau d’indices. 

Pourquoi les victimes ont-elles tant de mal à se faire entendre ?

Selon Catherine Le Magueresse, comme notre société est très (trop) tolérante vis-à-vis du harcèlement, beaucoup de femmes commencent par se dire  : ‘Non, je me fais des idées’. Et l’entourage a tendance à répondre  : ‘Tu as un emploi, supporte, ce n’est pas si grave’.

Comme nombre d’agissements sont ‘admis’, il faut souvent attendre que la situation empire, au stade d’agression sexuelle par exemple, pour voir une dénonciation arriver. Car si la loi stipule qu’aucun salarié ne peut être licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné de faits de harcèlement sexuel ou les avoir relatés, mais ‘rares sont les victimes qui osent parler car elles ont tout à perdre si elles n’arrivent pas à prouver les faits’, selon un inspecteur du travail du Val-de-Marne, sous couvert d’anonymat. 

Et même s’il s’agit d’une ‘infraction qui n’a pas de trace’, il existe des ‘éléments matériels’, relève Clarisse Taron, présidente du Syndicat de la magistrature (SM)  : SMS, mails, changement d’attitude de la victime.

‘Cela peut être des témoignages, même indirects, qui viennent corroborer des déclarations. Par exemple, des termes très spécifiques que pourrait utiliser l’agresseur, ou le fait que de nombreuses plaignantes allèguent les mêmes choses’

Alors pourquoi cette omerta ? Pour Clarisse Taron ‘c’est un problème de société’. Idem Catherine Le Magueresse  : ‘On se rend souvent compte que les employeurs savaient mais ont préféré licencier la personne qui rapportait le moins d’argent. Là on est dans une logique libérale tout ce qu’il y a de plus cynique.’ 


L’affaire Weinstein a donné lieu à une vaste campagne de dénonciation.

Peut mieux faire, mais comment ?

‘La plupart des gens sont de bonne foi’, estime toutefois Catherine Le Magueresse dans un élan d’optimisme. Pour elle, ‘en une génération, on peut radicalement changer une société’. Et cela passe d’abord par l’éducation des enfants pour prévenir les comportements sexistes. 

Au niveau de l’entreprise, elle estime nécessaire de faire de la prévention auprès des salariés, afin qu’ils soient bien certains qu’en cas de dénonciation, il y aura une enquête et que si celle-ci prouve le harcèlement, il y aura sanction. Car pour l’instant, ‘les sanctions se font rares’, souligne Astrid Toussaint, du conseil national de SUD-Travail, représentant les inspecteurs du travail. 

Quant à l’arsenal juridique, Virginie Duval, présidente de l’Union syndicale des magistrats, estime qu’il ‘est suffisant. Catherine Le Magueresse, elle, est nettement moins convaincue et juge par exemple impératif de redéfinir la notion de consentement  :

‘Il faudrait inscrire dans le code pénal que personne n’est a priori consentant pour avoir une relation sexuelle avec la première personne venue. Prenons l’exemple de l’affaire de Pontoise, dans laquelle un homme de 28 ans a eu un rapport sexuel avec une fillette de 11 ans. N’est-il pas aberrant de considérer une petite fille comme a priori consentante ?’

Reste à savoir si l’emballement né de l’affaire Weinstein conduira à vraiment modifier les comportements, où si cette campagne de dénonciation restera un épiphénomène. Un de plus.

Source : sudouest.fr  (20 octobre 2017)