Harcèlement sexuel : « La panoplie judiciaire est considérable », selon Jean-Emmanuel Ray

Revue de Presse

Harcèlement sexuel  : «  La panoplie judiciaire est considérable », selon Jean-Emmanuel Ray

LE CERCLE/POINT DE VUE – Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit privé, apporte un éclairage juridique sur la notion de harcèlement sexuel au travail.

 

Que dit la loi sur le harcèlement sexuel ?

Les débats actuels sont d’une grande confusion car il existe en droit quatre niveaux très différents. Il y a d’abord le viol, jugé par la Cour d’assises. Vient ensuite l’agression sexuelle, jugée en correctionnelle, et pour laquelle l’auteur s’expose à une amende de 75.000 euros et cinq ans de prison. Dans cette situation d’agression, il y a contact physique avec violence, contrainte ou menace.

On parle de harcèlement sexuel quand des propos ou comportements à connotation sexuelle sont répétés et portent atteinte à la dignité de la victime en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, créant à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. Il n’y a alors pas contact physique. La loi du 8 août 2016 a ajouté que toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but d’obtenir un acte de nature sexuelle, est assimilée au harcèlement sexuel.

Enfin l’agissement sexiste  «  ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». En coordination avec le CHSCT, l’employeur doit mettre en place une politique de prévention, et le règlement intérieur interdire les courriels avec histoires ou vidéos grivoises, les fonds d’écran avec personne dénudée…

 
Que risque l’auteur d’un acte de harcèlement sexuel au travail ?

En principe deux ans de prison et 30.000 euros d’amendes, mais trois ans et 45.000 euros d’amendes lorsque les faits ont été commis par une personne abusant de l’autorité que lui confèrent ses fonctions  : la stagiaire harcelée est un classique. De plus, pour nos juges, le harcèlement sexuel au travail constitue automatiquement une faute grave. L’auteur est donc licencié sans préavis ni indemnité de licenciement, et traîne désormais une grosse casserole en termes professionnels.

 
Que risque l’employeur s’il fait défaut à ses obligations ?

En cas de plainte pour harcèlement sexuel, il doit réagir immédiatement  : enquête, auditions, et sanction si les faits sont avérés… Sinon il manque à son obligation de sécurité et devra verser des dommages et intérêts. Outre l’aspect médiatique, la pression sur l’employeur est donc considérable.

 
Contrairement à ce qui est dit, l’arsenal judiciaire est bien là…

Il est bien là, et même plus que là. Ainsi la cour d’appel d’Orléans a confirmé en février 2017 la condamnation d’un quotidien régional pour le «  harcèlement d’ambiance » d’une de ses journalistes, soumise à des blagues vulgaires et photos suggestives. La panoplie judiciaire est considérable, mais il y avait peu de poursuites et de condamnations pour harcèlement sexuel.

 
Pour quelles raisons ?

Plainte, auditions, instruction, débat contradictoire devant le tribunal correctionnel… la chaîne pénale est longue et semée d’embûches. Faute de preuves factuelles, comme des SMS ou des courriels, et de témoins, il est difficile d’établir que l’on a été harcelé sexuellement. Et ce, malgré la protection spéciale de la supposée victime et des témoins pouvant demander leur réintégration s’ils ont été licenciés de ce fait. C’est pourquoi les victimes se portent souvent sur le terrain du harcèlement moral. Les collègues, qui ont assisté aux brimades, peuvent alors témoigner, et ce terrain est moins destructeur pour la famille.

 
Les associations de victimes proposent d’inverser la charge de la preuve. Qu’en pensez-vous ?

 

Comme a dû le rappeler le Conseil constitutionnel en janvier 2002, en matière pénale la présomption d’innocence est constitutionnelle. Et le droit du travail a déjà quasiment inversé la charge de la preuve  : la victime présumée doit présenter au juge des faits laissant supposer qu’elle a été victime de harcèlement sexuel. Et ce sera alors au présumé coupable de démontrer qu’il n’a rien à se reprocher.

Dérives sexistes : et si vous scrutiez votre culture d’entreprise ?
       

Dans une société civilisée et un Etat de droit, chacun est présumé se comporter en «  gentilhomme », pas en «  malfaiteur ». Sinon, c’est  «  la guerre de tous contre tous », comme disait Hobbes. Quant aux gros, gros lourds de la cafétéria, il s’agit évidemment moins d’une question de prison que de formation et d’éducation.

 
Le hashtag #balancetonporc donne le sentiment que la justice se fait les réseaux sociaux.

Ils ont en effet réinventé le pilori du Moyen-Age, à la différence près que le condamné passait devant un juge avant de se voir poser le carcan. Mais comme l’écrivait Jules Renard,  «  la passion et la raison font sablier ».

 
Assiste-on à une guerre des sexes ?

On se rapproche de la situation américaine. Fin 2014, des professeurs de droit d’Harvard ont d’ailleurs publié un texte dénonçant la mise à l’écart quasi-automatique de collègues accusés de harcèlement sexuel, ces enseignants ne pouvant alors ni se défendre, ni appliquer les règles qu’ils enseignaient eux-mêmes à leurs étudiants tels que l’instruction impartiale ou le respect des droits de la défense. Le combat pour l’égalité ne peut se résumer à une guerre contre les hommes.

Y a-t-il une asymétrie entre femme et homme sur le sujet de harcèlement sexuel ?

Le témoignage d’un homme expliquant que Madame X. lui a posé la main sur le genou ne serait pas reçu de la même manière. Mais le droit ne fait aucune différence entre les sexes.

Source : lesechos.fr (07 novembre 2017)