L’argent fait bien le bonheur, mais pas comme vous l’imaginez !

Revue de Presse

Une équipe de chercheurs de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) et de la Harvard Business School a tenté d’identifier le degré de bien-être ressenti par les individus en fonction de leur manière de dépenser leur argent. Et le résultat est sans appel : pour être heureux, achetez… du temps!

En cette période estivale, des millions de Français ont la chance d’éprouver quotidiennement les bienfaits de l’oisiveté. Des bienfaits souvent présentés comme un luxe dans une société marquée par une accélération des cadences, au travail comme dans la vie privée. Au point que, si l’argent fait bien le bonheur, ce serait désormais moins par l’expérience gratifiante de la possession matérielle que par la possibilité qu’il offre aux individus de s’offrir des plages d’oisiveté dans des emplois du temps désormais surchargés. C’est en tout cas la conclusion à laquelle est parvenue une équipe de chercheurs de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) et de la Harvard Business School, et dont ils détaillent les aboutissants dans une passionnante étude rendue publique la semaine dernière par la revue Proceedings of the National Academy of Sciences.

Cette équipe s’est donnée pour objectif d’identifier le degré de satisfaction des individus en fonction de leur manière de dépenser leur argent. Et le résultat est sans appel. Les personnes ayant la possibilité de rémunérer d’autres personnes pour se libérer du temps au quotidien éprouvent davantage de bien-être que celles qui investissent leurs ressources dans des biens matériels. Pour parvenir à une telle conclusion, l’équipe de chercheurs s’est basée sur sept sondages différents, réalisés auprès de 6000 personnes originaires de quatre pays, ainsi que sur plusieurs tests effectués sur des échantillons plus réduits.

Pour l’un d’eux, soixante individus ont reçu quarante dollars par semaine pendant quinze jours. La première semaine, cet argent devait être dépensé dans des biens matériels. La seconde, dans l’achat de services susceptibles de leur faire gagner du temps au quotidien (livraison de courses, ménage, garde d’enfants, etc). Les scientifiques ont pu observer que, lors de la deuxième semaine, le psychisme des individus évalués différait totalement de leur état d’esprit habituel. Baisse du stress, de la pression ressentie au quotidien … Et ce, quel que soit le niveau de revenu, le nombre d’heures travaillées par semaine ou la situation familiale.

Un poste de dépense très négligé

En dépit de ces résultats très probants, peu d’individus ont le réflexe d’investir leur capital pour économiser du temps. Un second test, mené cette fois sur 98 individus originaires de Vancouver, au Canada, illustre ce paradoxe. Comme lors du premier, chacun d’entre eux a reçu la somme de 40 dollars. Mais cette fois, une liberté totale leur a été accordée sur la manière d’employer leur argent. Résultat : seuls 2% d’entre eux ont choisi de l’investir dans la rémunération de tâches domestiques. Ainsi, lorsqu’il s’agit d’arbitrer entre gain de temps et acquisition immédiate de biens matériels, les scientifiques observent que les individus se tournent de façon quasi systématique vers ce second poste de dépenses.

Non pas que nous n’ayons pas conscience des bienfaits que pourrait nous apporter du temps supplémentaire dans notre quotidien. Le manque de temps pour soi est au contraire très souvent présenté comme le grand fléau de nos sociétés. On ne compte plus les études qui, chaque année, montrent les conséquences néfastes de l’hyperactivité sur la santé des individus : anxiété, insomnie, prise de poids… Alors, pourquoi les individus qui en ont la possibilité n’investissent pas davantage dans le gain de temps?

« Il est bien connu que les gens sont toujours très mauvais lorsqu’il s’agit de prendre des décisions susceptibles de les rendre plus heureux», explique Ashley Whillans, psychologue sociale et coordinatrice de l’étude, au Washington Post. Cette dernière met notamment en cause la dimension abstraite du temps, qui empêcherait les individus d’avoir une visibilité immédiate sur le « rendement» de leur investissement. « Nous sommes toujours persuadés que nous aurons davantage de temps disponible le lendemain, ou le surlendemain. Par conséquent, nous hésitons à investir notre capital, qui est une donnée concrète et mesurable, dans du temps, dont la dimension est, par nature, plus impalpable», poursuit-elle. Même discours du côté de Sanford DeVoe, professeur à l’Université de Californie de Los Angeles et spécialiste de l’impact de la monétarisation du temps sur nos sociétés : « Lorsque vous dépensez de l’argent pour qu’une personne vienne faire le ménage chez vous, vous savez très précisément quelle somme vous avez perdu. Le bien-être que vous en retirez, lui, est bien moins facile à appréhender.»

La suractivité, nouveau capital social?

Autre raison invoquée par l’étude : le prestige social lié à l’hyperactivité, qui freine les individus dans leur volonté de s’offrir du « bon» temps. L’oisiveté a pourtant longtemps constitué un marqueur social prestigieux : elle était le privilège des aristocrates, des rentiers, bref de tous ceux que la richesse mettait à l’abri de l’obligation de travailler. Autres temps, autres mœurs : dans l’imaginaire social, le « workaholic» a succédé au riche rentier oisif comme symbole de la réussite sociale. Soyez riche, oui, mais surtout, pauvre en temps! Notre époque aurait ainsi de plus en plus tendance à considérer la valeur d’un individu à l’aune de son niveau d’activité quotidien.

« L’hyperactivité a désormais valeur de capital social, explique la psychologue Ashley Whillans. Il arrive souvent que des salariés ne cherchent pas à profiter de leurs congés payés, même si le burn-out pointe le bout de son nez! Et pourtant, si les entreprises mettaient davantage à disposition de leurs employés des dispositifs leur permettant d’économiser du temps, nos économies modernes se porteraient mieux, car le burn-out des salariés diminuerait.»

Source : Lefigaro.fr (31 juillet 2017)