Souffrance au travail. Ne pas hésiter à en parler

Revue de Presse

Source : letelegramme.fr (18 mars 2017)

L’un s’appelle Jacky Gassert. L’autre, Yves-Marie Bouillon. Tous deux sont psychologues cliniciens. Ensemble, à Brest, ils ont créer l’association « La parole au travail ». L’objectif : proposer des consultations gratuites pour permettre à des personnes en situation de souffrance professionnelle d’identifier les maux et les recours éventuels.

Pourquoi cette association ?

« Elle est née en 2014 de la volonté que nous avions tous les deux de travailler de manière plus approfondie sur ce qu’on appelle la souffrance au travail… Et que l’administration préfère qualifier de risques psychosociaux. L’interface associative entre la personne qui ne se sent pas bien et nous a semblé pertinente. Pour elle, parce que c’est rassurant. Et pour nous, parce que nous sommes confrontés au collectif, à un bureau qui nous met en question, nous dit sa façon de voir. On n’est pas tout seuls, isolés, à faire ce qui nous passe par la tête ». Comment peut-on définir la souffrance au travail ? « Il n’y a pas une définition mais plein de cas…

Quand est-ce qu’il y a souffrance au travail ?

Quand une personne nous interpelle en nous disant que son travail est à l’origine de maux et de difficultés qu’elle rencontre… Ça nous donne une piste pour commencer les investigations. Souvent, il n’y a plus de limites entre vie professionnelle et vie personnelle. Les frontières ont explosé. Il y a des familles qui nous disent : « Il parle tout le temps de son travail, il n’y a plus que ça qui compte »… ».

Quels sont les symptômes qui doivent nous alerter ?

« La liste est longue comme ça… Des personnes sont en souffrance ORL permanente. Pour d’autres, ça peut être l’insomnie, l’alcool, un enfermement, une coupure des relations familiales ou amicales… ». Par ricochet, la souffrance peut se répercuter sur l’entourage…

Pouvez-vous aussi aider les proches à trouver des clés ?

« Oui, absolument. C’est une entrée possible. On peut aider à trouver des mots, on peut orienter. On sait que faire le premier pas n’est pas facile et l’entourage est un peu là pour tirer la sonnette d’alarme… Et indiquer à la personne que ce n’est pas une fatalité, qu’il y a quelque chose à faire ».

Est-ce qu’il y a des publics plus sujets que d’autres ?

« Le souci, c’est qu’il y a un tel impératif, une telle pression avec cette ritournelle inconsciente : « Il faut que tu travailles, il faut que tu gagnes ta vie », qu’il y a certaines personnes qui ne vont jamais remettre leur travail en cause. Ils se disent : « C’est comme ça, c’est l’ordre du monde, point ». Vous vous rendez compte d’ailleurs que les personnes qui craquent sont souvent des personnes particulièrement compétentes et impliquées. Il faut être prudent mais on peut penser que les cadres sont très exposés. On attend d’eux qu’ils soient très disponibles pour l’entreprise… Pendant les heures de travail et en dehors.

Quid du burn-out ?

« Les sociologues américains en parlent depuis les années 60. Le burn-out, ça veut dire cramer. Ça veut dire que la personne a cramé toutes ses ressources internes pour y mettre de la bonne volonté, du courage, etc. Et le corps lâche. Il ne veut plus se lever le matin pour aller au travail. Là où l’on repère le plus de burn-out, c’est dans le monde de l’humanitaire, de la santé, de l’éducation, de la justice, les travailleurs sociaux… Tous les milieux où il y a un idéal qui est peut-être plus important que de gagner de l’argent, où il y a une attente de reconnaissance, et ça, ça peut être écrasant… En France, le burn-out a vraiment été mis en lumière, il y a vingtaine d’années, avec la prise en compte des risques psychosociaux. Celui qui en parle très bien, c’est le psychiatre et psychologue du travail Christophe Dejours qui a publié, entre autres, « Souffrance en France ». Son analyse, que je trouve cohérente, est de dire que ce qui a amplifié la souffrance au travail, ce sont les effondrements des solidarités syndicales et politiques ».

Lors de ces consultations, vous intervenez toujours à deux. Pourquoi ?

« Pour diversifier les points de vue et pouvoir échanger sur une expérience commune, faire ainsi évoluer les connaissances en fonction des situations que nous sommes amenés à rencontrer et ne pas toujours focaliser sur le même truc. Car l’association a certes pour objectif de permettre à des personnes de venir s’exprimer mais aussi, pour nous, d’asseoir des concepts ».

Une seule consultation suffit ?

« C’est un début. Une sorte de diagnostic… Ou plutôt un état des lieux. Un ou deux entretiens vont permettre à la personne de verbaliser son mal-être et, à nous, de définir si on peut commencer un travail ou s’il vaut mieux l’orienter vers un autre spécialiste, thérapeutique ou médical, mais aussi CHSCT, médecine du travail, syndicats… On est là pour faire ressortir une situation, permettre à la personne de réaliser, relever la tête du guidon et regarder autre chose… On n’est pas des prescripteurs ».