TGV : pourquoi les opérateurs télécoms peinent à déployer la 4G

Revue de Presse

En raison de contraintes techniques, ce chantier est ardu pour Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free.

Le déploiement de la 4G le long des voies ferrées empruntées par le TGV se poursuit. Mardi, Orange a annoncé que trois nouvelles lignes à grande vitesse (LGV) allaient être couvertes en continu (hors tunnels) le 13 juillet prochain : Paris-Tours-Bordeaux, Paris-Le Mans-Rennes et Paris-Lille. Ce qui portera à cinq le nombre de lignes couvertes par l’opérateur historique, après Paris-Lyon et Lyon-Marseille.

Sur ce chantier, le groupe de Stéphane Richard a pris une longueur d’avance sur ses concurrents dans les télécoms. « Actuellement, les lignes à grande vitesse sont toutes couvertes partiellement et elles le seront toutes totalement fin 2018 », fait-on valoir du côté de Bouygues Telecom.

Petit retour en arrière sur ce dossier qui aura connu un chemin tortueux. Au début de l’année 2015, la SNCF délaisse le Wi-fi satellitaire qui se révèle trop coûteux : en 2010, les test menés sur la ligne TGV-Est reviennent à quelque 350.000 euros par rame.

La SNCF change alors de fusil d’épaule et mise sur la 4G. Ce qui induit que le groupe ferroviaire travaille de concert et en bonne intelligence avec les opérateurs télécoms avec qui les discussions achoppaient jusqu’alors sur la question du financement. Guillaume Pépy déclare alors qu’il faut « arrêter la guerre de tranchées ».

Obligations spécifiques de l’Arcep

L’histoire entre le TGV et la 4G prend un nouveau tournant à la fin de l’année 2015. A l’époque, l’Arcep (le gendarme des télécoms) met aux enchères la bande 700 MHz (transférée de l’audiovisuel où elle était utilisée par les chaînes de la TNT aux télécoms), qui a été attribuée aux quatre opérateurs télécoms français, moyennant finance .

Pour la première fois, l’Arcep y associe des obligations spécifiques liées à la couverture ferroviaire . Celles-ci prévoient notamment qu’au niveau national, 60% du réseau ferré régional soit couvert par la 4G d’ici au 17 janvier 2022. Un périmètre qui comprend les lignes TGV.

En sus, la SNCF a annoncé, fin 2016, qu’elle allait investir pour convertir les signaux 3G et 4G en Wi-Fi à l’intérieur du train en vue de proposer une connexion stable à ses clients. Le budget ? 100 millions d’euros pour l’équipement, d’ici à la fin de l’année, de 300 rames.

Mais ce chantier technologique est ardu pour Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free en ce qui concerne le TGV. Les raisons à cela ? La structure même des trains de la SNCF. « Il y a un phénomène de cage de Faraday ; les voitures des trains font isolation métallique, sans compter que les vitres sont conçues de telle sorte qu’elles sont opaques aux ondes. Résultat, un rayonnement mal focalisé (en provenance des antennes-relais) ne rentre pas », note Sébastien Kaiser, directeur connectivité et réseaux du groupe SNCF.

Phénomène du « handover »

Pour faire face à ce phénomène, les opérateurs ont dû mettre au point des dispositifs adéquats. « Nous appliquons des solutions standards mais avec un paramétrage spécifique. Pour la couverture 4G globale et donc « classique », les pylônes sont équipés de 3 antennes couvrant la zone à 360 degrés (120 degrés par antenne). Mais pour le TGV, seules deux antennes sont installées et sont uniquement tournées vers la voie ferrée en vue de maximiser la couverture de celle-ci et par là même, des TGV l’empruntant », détaille Jean-Paul Arzel, directeur du réseau chez Bouygues Telecom.

Deux autres obstacles majeurs se dressent sur la route de la connectivité en 4G dans les TGV. Le premier : la grande vitesse justement. Avec le TGV, le phénomène du « handover » (c’est-à-dire le passage du relais 4G d’une antenne à une autre) est extrêmement rapide puisque les appareils des utilisateurs passent très vite de cellule radio (zone de couverture) en cellule radio.

Deuxième écueil : la densité des terminaux (ordinateurs, smartphones, tablettes) actifs dans chacun des trains. Certains d’entre eux pouvant transporter jusqu’à près de 800 personnes, ce sont parfois plus de 1.000 appareils connectés qui sont parfois concentrés au même endroit.

Densifier le parc d’antennes-relais

Pour faire face à cette double problématique, les opérateurs, en lien avec la SNCF, densifient leur parc d’antennes-relais. Une nécessité. « Pour un train classique, il faut un pylône équipé d’antennes-relais tous les 5 km. Mais à 300 km/h, un train change de cellule radio toutes les 30 secondes. Il est donc impératif qu’il y ait des pylônes au moins tous les 2,5 km si les opérateurs veulent pouvoir offrir une connectivité sans coupure », souligne Jean-Louis Mounier, directeur de l’industrie chez le groupe TDF qui héberge les antennes télécoms.

Pour ce faire, les opérateurs louent des pylônes auprès d’opérateurs d’infrastructures comme FPS ou TDF. « Nous avons déjà construit une cinquantaine de nouveaux sites le long des voies de TGV et en prévoyions plusieurs centaines dans les années à venir », ajoute Jean-Louis Mounier qui précise que la construction d’un site revient à quelque 100.000 euros en moyenne.

Mais les « telcos » font aussi avec l’existant. « On réutilise beaucoup les pylônes 2G et 3G », fait valoir Jean-Paul Arzel. Les opérateurs s’appuient également sur le parc de pylônes déjà installés aux abords des voies et mis à leur disposition par la SNCF.

« Couvrir une ligne de TGV peut donc se monter à plusieurs dizaines de millions d’euros »

« Tout cela représente un gros investissement. Equiper un pylône revient à 150.000 euros. Couvrir une ligne de TGV peut donc se monter à plusieurs dizaines de millions d’euros. Pour l’ensemble des axes ferroviaires (TGV, intercités, transiliens…) nous estimons que cela va nous revenir à près de 200 millions d’euros », indique le directeur Réseau de Bouygues Telecom.

« C’est un déploiement d’ordre industriel qui avance à une vitesse remarquable. D’ici fin 2019, 90% de nos voyageurs devraient être couverts », juge Sébastien Kaiser. Pour mémoire, début 2015, la SNCF avait promis l’Internet à bord de l’ensemble de ses trains pour la fin de l’année 2016…

Mais le tempo pourrait s’accélérer avec les multiples annonces et le temps d’avance pris par Orange sur le sujet. « Plus que les obligations de l’Arcep, c’est la concurrence entre opérateurs qui va faire progresser les choses. La couverture en 4G est un élément de différenciation pour eux. Si l’un d’entre eux la propose à ses abonnés mobiles pour le TGV, les autres feront ce qu’il faut pour suivre », juge un bon connaisseur du secteur.

Source : lesechos.f (21 juin 2017)