Télécoms : le gouvernement veut taxer la fibre et le câble

Revue de Presse

Une extension de l’assiette de l’IFER fixe a été votée à l’Assemblée vendredi, avec le soutien du gouvernement.L’opération vise à maintenir les recettes autour de 400 millions d’euros, mais pourrait pénaliser SFR et les entreprises qui déploient en zone rurale

«  C’est un nouvel impôt ce que l’on est en train de créer ! », s’insurgeait vendredi matin le député Charles de Courson dans l’hémicycle. La raison de son courroux ?  Un amendement au projet de Loi de finance rectificative, déposé par son collègue Eric Bothorel (LREM), visant à élargir l’assiette d’un impôt sur les infrastructures, l’Ifer. Et plus spécifiquement, dans cette taxe à tiroirs qui vise aussi bien les éoliennes que le matériel ferroviaire, la partie concernant les réseaux télécoms fixes.

Cette dernière rapporte environ 400 millions d’euros aux collectivités locales depuis  son instauration en 2010 pour compenser la disparition de la taxe professionnelle. Mais elle ne porte que sur les lignes de cuivre, taxées à hauteur d’un euro par mois et par ligne. L’amendement, adopté avec le soutien du gouvernement, veut mettre à contribution les autres technologies d’accès à Internet  : le câble coaxial et la fibre optique.

Bercy franchit le Rubicon

L’explication est simple. D’un côté, les utilisateurs du cuivre passant progressivement à la fibre, il fallait trouver un moyen de maintenir les recettes des collectivités. De l’autre, pourquoi traiter une technologie différemment des autres sur le plan fiscal ? Une plainte en ce sens était d’ailleurs instruite par la Commission européenne, faisant planer la menace d’une condamnation pour entorse à la concurrence.

Pour toutes ces raisons, la question de l’extension de l’Ifer était sur le tapis depuis plusieurs années, sans jamais que Bercy ne se soit décidé à franchir le Rubicon… jusqu’à ce vendredi. La percée sensible de la fibre ( 2,9 millions d’abonnés au troisième trimestre) l’aura sans doute décidé.

Reste que le timing n’est pas extraordinaire. Pile au moment où l’Etat tente de parvenir à un accord sur une feuille de route ambitieuse en termes de déploiements fixes et mobiles pour tenir ses promesses de bon débit pour tous en 2020 et très haut débit en 2022, taxer la fibre n’est pas le meilleur moyen de se mettre les opérateurs dans la poche.

Deux grands perdants

Sans doute pour calmer le jeu, le gouvernement a ajouté  un sous-amendement  en dernière minute : le câble et la fibre seront bien taxés, mais qu’à partir de 2019 (au lieu de 2018), à un tarif de 11,61 euros par ligne (au lieu de 12,73), et en exonérant pendant les cinq ans suivant leurs constructions (au lieu de trois) les nouvelles lignes très haut débit. L’exécutif espère ainsi ne pas décourager les investissements. 

Une chose est sûre, cela n’a pas éteint la grogne.Car il y a tout de même deux grands perdants dans cette histoire. Le premier est SFR, seul opérateur à disposer de câble coaxial depuis la fusion avec Numericable, qui verrait automatiquement sa facture grimper d’une vingtaine de millions d’euros. Eric Bothorel ne l’a pas caché, dans un premier temps, la facture reposera «  sur la technologie câble, déjà existante depuis longtemps. Peu sur la fibre en définitive, puisque les efforts sur la fibre sont majoritairement devant nous », déclarait-il en séance.

Les autres mécontents, ce sont les opérateurs d’infrastructures, qui déploient la fibre dans les zones rurales pour le compte des collectivités, avant d’en facturer l’utilisation aux fournisseurs d’accès, à un tarif régulé (15,28 euros par mois). Se voir imposer 1 euro de taxe par ligne et par mois sans prévenir n’est pas vraiment pour leur plaire.

Mistigri fiscal

« Même si le montant global de 400 millions ne bouge pas, ça crée des remous entre opérateurs. Chacun essaie de passer le mistigri fiscal », commente un bon connaisseur du sujet. Pendant la navette parlementaire, tous les acteurs espèrent encore faire pencher la balance en leur faveur.

Mais l’inquiétude des opérateurs est plus large. «  Bercy a décidé d’avancer sur la taxation de la fibre, ce qui ne fait pas les affaires de Julien Denormandie [le secrétaire d’Etat en charge des discussions sur l’accélération de la couverture fixe et mobile], souligne un observateur. Et ce n’est pas de très bon augure pour la renégociation des licences mobiles ». Ce levier, que l’Etat a ouvertement mis dans la balance pour amener les opérateurs à investir, suppose que Bercy fasse une croix sur de futures recettes. Ce n’était clairement pas le message du jour.

Source : lesechos.fr (10 décembre 2017)