Les réseaux sociaux en entreprise ne font pas recette

Revue de Presse

Les réseaux sociaux conçus comme clé de voûte de la transformation numérique des entreprises ne remportent pas le succès escompté auprès des salariés. L’Institut de gestion sociale IGS-RH s’est penchée sur le sujet pour comprendre pourquoi, alors que les entreprises investissent massivement pour créer leur «  Facebook » interne, les salariés les utilisent si peu. Seul un manager sur quatre y a recours, et les autres collaborateurs encore moins, selon les résultats de leur étude «  Mode collaboratif ou collaboratif à la mode ? », publiée lundi 27 novembre.

Les réseaux sociaux d’entreprise permettent, comme sur Facebook de se créer un profil, de s’abonner à d’autres profils, et de créer des groupes virtuels pour partager des informations. Ils sont très présents en entreprise. «  Pour réaliser leur transformation digitale, 40 % des entreprises, de toute taille, se sont équipées d’un réseau, et 26 % en veulent un d’ici fin 2018. 85 % des entreprises du CAC40 ont le leur », note le professeur Jean Pralong, titulaire de la chaire Intelligence RH & RSE de l’IGS-RH. Ce qui représente un réel investissement  : «  Ça leur coûte 5 euros par salarié et par mois », précise-t-il.

Groupes Corporate et groupes métiers

Les réseaux ont été créés pour décloisonner les organisations du travail, pour briser les silos, pour faire circuler l’information sans tenir compte des hiérarchies de pouvoir. «  Les entreprises affirment vouloir se débarrasser de la bureaucratie avec le digital comme outil », assure M. Pralong.

Deux types de groupes sont présents dans les réseaux sociaux d’entreprise  : les groupes Corporate dédiés à la communication et les groupes métiers créés pour développer le partage collaboratif d’informations opérationnelles. «  Le groupe métier est conçu comme une communauté de pairs qui d’un bout à l’autre du réseau de l’entreprise partagent les informations techniques ou métiers, incité par un manager qui cesse d’être le référent technique », indique Jean Pralong. Dans les entreprises organisées au niveau mondial, ils sont conçus pour renforcer et accélérer compétitivité et innovation. L’interactivité élevée pouvait laisser supposer une appropriation rapide et massive des groupes métiers par les salariés.

Mais il n’en est rien. Les groupes métiers que l’IGS-RH a étudiés en septembre dans deux grandes entreprises de plus de 2000 salariés, révèlent que le mode collaboratif transversal patine. Les salariés qui utilisent ces «  Facebook maison » le font majoritairement en fonction de l’organisation hiérarchique de l’entreprise et non par ajustement mutuel entre individus d’équipes variées situées aux quatre coins du globe. Les salariés sont «  8,5 fois plus engagés dans les groupes créés par leur propre manager que dans les autres groupes », révèle l’étude. La communication transversale ne passe donc pas.

Les entretiens menés auprès d’une cinquantaine de salariés permettent de mieux comprendre pourquoi.

Les risques de la trace écrite

Trois raisons principales sont avancées  : l’inutilité de l’information, la loyauté à son manager, et les risques induits par la trace écrite. Les salariés déclarent ne pas savoir comment s’assurer de la fiabilité des informations reçues  : soit je suis compétent et je n’ai pas besoin de l’information, soit je ne le suis pas et ne pourrais pas juger de la qualité de l’information transmise, disent-ils. Quand bien même l’information serait utile, ils ne veulent pas se mettre en position déloyale à l’égard de leur hiérarchie directe en soutenant une autre unité de l’entreprise.

Le passage à l’écrit soulève des questions sans réponses, notamment sur la forme appropriée au public destinataire. Elle comporte aussi des risques juridiques. Enfin la trace écrite est incompatible avec «  la politique du quotidien ». «  Dans l’entreprise, la politique du quotidien consiste à interroger d’abord les personnes susceptibles d’avoir l’information dont j’ai besoin, puis la hiérarchie pour validation, avec la prise de décision. La trace écrite laissée sur les réseaux sociaux rend cette approche inapplicable », explique M. Pralong.

La sociologie nous enseigne que «  les interactions entre individus sont dépendantes de la structure organisationnelle dans laquelle elles se déroulent ». L’étude le confirme. La coordination entre les salariés s’inscrit dans l’organisation du travail préexistante. «  La transformation digitale n’est pas une question d’outil, mais d’usage de l’outil. Pour transformer les comportements, il faut comprendre qu’ils sont déterminés par les pouvoirs », explique Jean Pralong. Pour faire émerger des modes collaboratifs en entreprise, il suggère donc de créer des contre-pouvoirs.

Source : lemonde.fr (27 novembre 2017)