Intelligence artificielle : en finir avec les mirages

Revue de Presse

CERCLE/POINT DE VUE – L’intelligence artificielle soulève trop de fantasmes.

L’intelligence artificielle suscite nombre de prophéties déconnectées de la réalité technologique. Une partie de ces envolées prend des termes techniques au pied de la lettre, sans compréhension de leur réelle signification. Il y aurait moins de fantasmes si on avait parlé de «  classification automatique de motifs complexes » plutôt que d’ «  intelligence artificielle ».

Le terme de «  réseau de neurones » laisse imaginer un cerveau numérique, alors que la réalité est celle de «  matrices de convolutions », des calculs itératifs intensifs menés sur de gigantesques matrices numériques. A l’inverse, des technologies puissantes mais aux noms moins évocateurs (programmation génétique, forêts aléatoires ou «  gradient boosté ») soulèvent moins de fantasmes.

10000000000003e800000215c33ee8314e75d7bf.jpgIntelligence augmentée

Comme le rappelle Andrew Ng, vice-président de Baidu, ces technologies sont efficaces sur des tâches bien définies. Elles peuvent, mieux qu’un spécialiste, déterminer si une lésion cutanée est cancéreuse. Sans battre un expert, elles peuvent réaliser des tâches fastidieuses à des échelles inatteignables par des individus.

Ainsi, chaque année, GE collecte à l’intérieur de pipelines acheminant le gaz ou le pétrole dix fois la surface de Paris d’images pour détecter des fissures de la taille d’un brin d’herbe. Impossible pour des humains, cette tâche est réalisée par des logiciels, puis confirmée par des experts – créant 350 emplois et évitant de nombreuses fuites.

Beaucoup l’ignorent, mais c’est souvent «  l’intelligence augmentée », c’est-à-dire l’intelligence humaine «  augmentée » par des outils d’intelligence artificielle, qui donne les meilleurs résultats. Dans un exemple de diagnostic de cancer cité par le Dr Rus, l’intelligence artificielle atteint 7,5 % d’erreur, les médecins spécialistes 3,5 % et les spécialistes outillés de logiciels 0,5 %. Le jeu d’échecs est l’un des premiers domaines dans lequel les ordinateurs ont commencé à battre l’homme. Mais ce sont les «  centaures » – joueurs outillés d’intelligence artificielle, mi-humains, mi-machines – qui gagnent désormais les parties «  freestyle ».

Vers une bulle de l’IA

Enfin, ces technologies sont l’objet d’améliorations rapides qu’il est tentant d’extrapoler. Dans les années 1970, 1.000 dollars permettaient d’acheter une capacité de calcul équivalent à l’intelligence d’une bactérie. Actuellement c’est celle d’un singe. En 2030, ce serait celle d’un humain, mais avec deux limites. D’abord, cette intelligence artificielle reste une intelligence dite «  faible », limitée à des tâches bien définies, comme la reconnaissance d’images. Aucun chercheur au monde ne sait comment on pourrait un jour concevoir une intelligence «  forte », capable de sensibilité, d’initiative ou de contextualiser (passer de l’analyse d’image à un diagnostic tenant compte de l’ensemble du patient).

Ensuite, les extrapolations supposent une amélioration infinie de la puissance des ordinateurs. Or la fameuse loi de Moore, qui exprime cette amélioration, montre des signes d’essoufflement. Imaginons qu’il n’en soit rien  : si les capacités de l’iPhone progressaient au même rythme que depuis dix ans, ils auraient en 2280 assez de mémoire pour stocker l’état de chaque atome de l’univers. Il est donc probable que le progrès de l’intelligence artificielle s’essouffle bien avant, laissant un champ large à l’intelligence humaine.

Toute technologie s’accompagne de bulles et l’intelligence artificielle n’y fait pas exception. Pour les dirigeants, privés ou publics, l’enjeu est double  : saisir les opportunités offertes par l’intelligence artificielle et éviter ses mirages. A ce jour, ces opportunités apparaissent sous la forme de centaures, humains augmentés par le numérique, plus que sous la forme d’intelligences capables de totalement remplacer l’homme, ce dont aucun chercheur n’a le début d’une preuve.

Source : lesechos.fr (7 avril 2018)