Ordonnances : tensions passagères

Revue de Presse

Les ordonnances Macron sont-elles bien en vigueur ? La question peut de prime abord surprendre mais elle n’est pas totalement saugrenue.

A priori, tout est limpide. Au 1er janvier 2018, l’ensemble des ordonnances réformant de fond en comble le droit du travail est applicable. C’était une promesse du gouvernement. Le 2 janvier, la ministre du travail Muriel Pénicaud s’est d’ailleurs félicitée que 26 décrets relatifs aux cinq ordonnances aient été publiés avant la fin de l’année 2017. «  Depuis le 1er janvier 2018 », a-t-elle conclu, «  les mesures de la loi sont applicables ».

Le message est clair  : le nouveau pouvoir a démontré sa capacité à mener à bien les réformes structurelles sur lesquelles il s’était engagé. Il en va du rayonnement international de notre pays qui doit redevenir attractif et ne plus faire peur aux investisseurs étrangers. France is back !

Brouillage

Mais le processus législatif brouille quelque peu le message politique. Techniquement, les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication mais elles deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant une date fixée par la loi d’habilitation. En clair, les ordonnances sont encadrées par une loi d’habilitation et une loi de ratification, absolument nécessaires à leur survie. A ce stade, le projet de loi de ratification a fait une halte au Sénat, après avoir été examiné par l’Assemblée nationale. Si le Conseil constitutionnel est saisi, et ce sera probablement le cas, la loi de ratification pourrait être votée en mars ou avril 2018. En attendant, le débat continue et la commission des affaires sociales du Sénat a voté quelques amendements, et pas des moindres…

Le Sénat a supprimé d’un trait de plume les observatoires départementaux d’analyse et d’appui au dialogue social et à la négociation collective

Qu’on en juge. Par un amendement voté le 19 décembre, le Sénat a supprimé d’un trait de plume les observatoires départementaux d’analyse et d’appui au dialogue social et à la négociation collective. Pure création des ordonnances, ils sont censés, dans chaque département, aider au dialogue social dans les entreprises de moins de 50 salariés. Le Sénat n’a jamais goûté aux structures paritaires de dialogue social qui méconnaissent selon lui la réalité du dialogue social dans les petites entreprises. Il n’y a donc rien de surprenant à ce qu’il ait gommé lesdits observatoires. Le problème, c’est qu’un décret du 28 novembre 2017 est venu installer ces observatoires, avant même la fin de l’examen du projet de loi de ratification des ordonnances… Le pouvoir est pressé, veut tenir ses engagements mais il sait aussi que l’Assemblée nationale remettra les choses à l’endroit et rétablira ces observatoires. C’est elle qui a toujours le dernier mot. Le risque n’existe pas.

Incertitudes

Mais d’autres amendements sont plus gênants car ils laissent planer l’incertitude sur les textes. Le Sénat rétablit la création obligatoire d’une commission des marchés au sein du comité social et économique (CSE, ex-comité d’entreprise) que l’Assemblée nationale avait laissé au choix des partenaires sociaux. Le rôle de cette commission des marchés étant de proposer au CSE des critères pour le choix de fournisseurs et de prestataires et une procédure pour l’achat de fournitures, services ou travaux.

La chambre haute du Parlement octroie également à tous les représentants du personnel au sein du CSE une formation en matière de santé, sécurité et conditions de travail, ce qui constitue plutôt une avancée mais qui n’est pas du goût de tous les employeurs. Autre changement, elle retire les sommes versées au titre de la participation et de l’intéressement de l’assiette qui sert à calculer la contribution de l’employeur au financement des activités sociales et culturelles. Une mauvaise opération pour les salariés  : l’assiette de calcul étant moins large, le budget devient donc moins important.  

Quelques zones d’ombre planeront jusqu’à la promulgation de la loi de ratification

Le Sénat revoit aussi le contrôle de l’administration du Travail sur les accords relatifs aux ruptures conventionnelles collectives. Lorsque des syndicats demandent en justice une action en nullité d’un accord collectif, il oblige ainsi le juge administratif à rendre sa décision dans un délai de trois mois, alors que cette échéance n’existait pas. Enfin, il réintroduit le critère plus large de la «  fraude » dans la définition du motif économique en lieu et place de la formulation plus restrictive de «  création artificielle des difficultés économiques », lorsqu’une société-mère par exemple fait dépérir une de ses filiales faute d’investissements…

Comment va arbitrer la Commission mixte paritaire (1) qui entre bientôt en scène ? Rien n’est figé, les textes peuvent encore évoluer, alors même que les ordonnances sont en vigueur. On pense à ceux chargés de les appliquer pour qui quelques zones d’ombre planeront jusqu’à la promulgation de la loi de ratification. Il faudra faire avec. L’insécurité juridique est provisoire mais elle existe. Ce n’est pas le moindre des paradoxes des ordonnances Macron.

·         1. S’il existe un désaccord entre les deux chambres (Assemblée nationale et Sénat), une commission mixte paritaire est convoquée. Elle comporte 7 députés et 7 sénateurs. Si le désaccord subsiste, l’Assemblée nationale a le dernier mot.

Source : alternatives-economiques.fr (25 janvier 2018)