« Brown-out» : quand le travail perd tout son sens

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Source : lefigaro.fr (27 octobre 2016)

Des chercheurs ont fait la lumière sur une nouvelle pathologie liée au monde du travail. Le brown-out (qui signifie littéralement « baisse de courant») est vécu par un salarié qui ne comprend pas (ou plus) son travail.

Explications.

Chaque jour au travail, vous avez le sentiment d’être inutile, ou d’effectuer des tâches dont vous ne comprenez pas la valeur? Vous ne comprenez plus votre rôle dans la structure d’une entreprise qui vous dépasse? Vous êtes peut-être atteint de « brown-out», une nouvelle pathologie au travail, théorisés par deux chercheurs britannique et suédois. Après le « burn-out» symbolisant l’excès de travail jusqu’à épuisement, le « bore-out» et l’ennui permanent au bureau, voici donc un nouveau terme, qui se traduit littéralement par une « baisse de courant» et une incompréhension du monde du travail de plus en plus prononcée.

Le sociologue Émile Durkheim avait prédit que la perte de normes et de repères serait le prochain mal du siècle. Au travail, cette tendance est assez symptomatique de notre époque… À l’été 2013, l’anthropologue américain David Graeber publiait une tribune qui avait eu l’effet d’une bombe, intitulée « Du phénomène des jobs à la con». Sa théorie : à cause des progrès technologiques, la société invente des rôles et produit des métiers inutiles. Il vise particulièrement les secteurs suivants : ressources humaines, management, conseil, finance, et une grande partie des emplois de bureau.

Lire aussi : Comment la société produit des métiers « inutiles»

L’anthropologue va plus loin. Selon lui, les salariés visés savent pertinemment que leur travail n’a aucun sens ou aucune utilité. « Il y a une classe entière de salariés qui, quand vous les rencontrez à des soirées et leur expliquez que vous faites quelque chose qui peut être considéré comme intéressant, éviteront de discuter de leur propre métier. Mais offrez-leur quelques verres et ils se lanceront dans des tirades expliquant à quel point leur métier est stupide et inutile», déclarait-il. Un constat qui renvoie directement au « brown-out».

Une profonde crise existentielle

Peut-on faire semblant de trouver un sens à ce qui n’en a pas? Le malaise s’intensifie et commence à faire parler de lui. Marc Estat, ancien dirigeant d’une multinationale, en a même fait un livre, « Néantreprise, dans votre bureau, personne ne vous entend crier», sorti en mars dernier. Son témoignage est édifiant. Un quotidien absurde, rythmé par des réunions sans intérêt, dans lesquelles on parle un jargon corporate grotesque pour masquer le néant. « On switche en anglais à tout bout de champ. On ne réduit pas, on stretche. On ne surveille pas l’heure, on timekeep. Nous n’avons pas des données, mais des inputs», écrit-il notamment. Marc Estat évoque également les « consultants brasseurs de vent», ces « piloteurs de réunions», ou encore ces « ressources humaines zombiesques»… « On passe une grande partie de son travail à des tâches inutiles, voire contre-productives», précisait-il dans une longue interview à Courrier Cadres en mai dernier.

Dans le journal suisse Le Temps, un manager résume son quotidien : « Ma fonction consiste à mettre la pression sur les échelons inférieurs, et réduire les budgets. La perversion du système est que je touche une prime d’objectif en essorant les autres. Je me sens laid.» Ancienne employée dans des grands groupes du CAC 40, Clara Deletraz, 32 ans a elle-aussi ressenti de plein fouet les symptômes du « brown-out» avant que le terme ne soit inventé. « Je ne trouvais aucun sens à ce que je faisais. Je me suis redirigée vers le secteur public pour l’aspect intérêt général. Mais là, c’est le manque d’efficacité et la lourdeur que je n’ai pas supportés», explique-t-elle à LCI. Elle a donc co-fondé, il y a un an et demi, la start-up Switch collective, qui propose une formation judicieusement baptisée « Fais le bilan, calmement.» L’objectif? Aider les salariés qui ne trouvent plus aucun sens à leur travail.

Dans ces formations, on trouve des profils divers. « Les gens qui viennent se questionnent sur les valeurs de leur boîte, ont l’impression d’être un pantin dans une organisation figée, ou de ne jamais voir l’aboutissement de leur travail à cause de tâches trop morcelées», décrit Clara Deletraz. Pour retrouver du sens à son travail, on trouve désormais des formations, des cabinets de psys spécialisés… Plutôt que « brown-out», Nadia Droz, psychologue spécialiste du burn-out à Lausanne, préfère un autre terme plus imagé : « démission intérieure.» Il ne resterait plus, ainsi, qu’à concrétiser à l’extérieur…