Burn-out : le jour où mes collègues de travail ont dû me faire interner en psychiatrie

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Source : leplus.nouvelobs.com (28 novembre 2016)

Cette histoire démarre en 2001, alors que je fête mes 27 ans. Mon doctorat en poche, j’ai entamé un DESS d’informatique que je dois conclure par un stage de six mois. Au sein de la formation, je suis la seule à postuler dans cette entreprise.

L’idée, c’est d’aller au bout du projet proposé, avoir mon diplôme et continuer mon bonhomme de chemin. Je suis prise et j’y vais sereinement : je sors d’une thèse… Franchement, il rien ne peut m’arriver de grave.
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Un salarié sur quatre serait touché par un problème psychologique lié au travail (SIPA)

Le néant hiérarchique, l’empire de l’informel

Tout se passe bien et on me propose un CDD à la fin de mon stage. Je commence à travailler sans pour autant signer de contrat de travail. Il y a une trentaine de salariés dans l’entreprise, qui dirigée par un homme dont l’âge laisse penser qu’il est proche de la retraite.

Progressivement, il place ses enfants à des postes stratégiques. Il a un droit de veto sur les toutes les décisions prises, il passe au-dessus des cadres pour interroger directement les techniciens… L’atmosphère est stressante.

Je ne le sais pas encore, mais je vais rester là quinze ans de ma vie.

Au quotidien, les rapports hiérarchiques, quand ils existent, sont informels. À cheval entre différents services, affecté ponctuellement à certaines missions qui n’ont parfois rien à voir entre elles, mon poste ne figure sur aucun organigramme. Je travaille aussi bien au développement du site internet que sur l’élaboration de logiciels ou de solutions techniques pour les autres services de l’entreprise. Je n’ai pas vraiment de chef à qui rendre des comptes… Ils peuvent juste me tomber dessus à n’importe quel moment. En gros, je fais partie des murs.

Un chapelet d’humiliations

Il y a deux ans, en 2014, j’ai commencé à aller mal. J’ai compris très brusquement qu’il y avait un problème et que cette situation durait en fait depuis plusieurs années. D’aucuns appelleraient ça la crise de la quarantaine et ils auraient raison. Je me suis retrouvée à me demander ce que j’étais en train de faire de ma vie, si tout ça avait vraiment un sens. Après tout, je n’avais aucune reconnaissance et j’enchaînais les humiliations… comme tous les autres salariés de l’entreprise.

Je me rappelle cet épisode sympathique pendant lequel le grand patron est venu me voir un jour en me disant que quelqu’un l’avait félicité pour la qualité de notre site internet, et qu’il avait répondu en rigolant que c’était inespéré, puisqu’on n’y faisait vraiment pas attention dans l’entreprise. J’avais adoré entendre ça, sachant que développer ce site, c’était une partie de mon métier depuis six ans.

Il y a aussi eu cette réunion trimestrielle pendant laquelle il annonça un chiffre d’affaires en hausse de 20%, étonné, déclarant qu’il « ne comprenait pas d’où ça pouvait venir ». Comme si le travail des salariés de l’entreprise n’avait aucune valeur. Comme si personne ne servait à rien ici. Ce ne sont que deux anecdotes, mais il y en a des dizaines de ce type.

« Je réserve ce bureau pour quelqu’un d’important »

Un jour, j’en ai eu marre, j’ai demandé à déménager mon poste de travail. Je travaillais depuis longtemps derrière un gros poteau, je ne voyais personne, personne ne me voyait. Je convoitais un bureau au rez-de-chaussée… pour lequel tous les responsables m’avaient donné leur feu vert.

Subitement, alors que tout était en marche, le chef a débarqué en m’expliquant que je devais rester là parce qu’il avait besoin de ce bureau pour « quelqu’un d’important ». Sachant qu’il n’était pas occupé depuis des années, j’ai été doublement vexée. Le soir-même, j’ai refait mon CV, pris contact avec l’APEC et entamé les démarches pour faire un bilan de compétences.

À partir de ce jour, je suis devenue plus véhémente avec les responsables. En fait, je demandais de l’aide, mais ça ne servait à rien. J’aurais pu hurler dans le hall de l’entrée, personne n’aurait levé le petit doigt. Je voulais simplement qu’on embauche un salarié qualifié pour m’épauler, je demandais ça depuis une éternité… On m’a proposé un stagiaire, comme si j’avais le temps de former un étudiant. On avait besoin de quelqu’un sur le long terme et ma requête est restée lettre morte.

Le début de l’enfer

J’avais beau dire que j’avais trop de travail et les enfants du patron avaient beau être d’accord avec moi, ce dernier refusait systématiquement de regarder la réalité. Un jour, ayant sans doute l’impression de me faire une fleur, il a accepté que je déménage enfin au rez-de-chaussée. S’il y a bien une chose que je n’avais pas anticipé, c’est que mon quotidien serait pire en descendant.

Soudainement, enfin sortie de mon placard, je suis devenue beaucoup plus visible pour mes collègues… qui me sollicitaient en permanence. Je m’occupais déjà d’entretenir mes logiciels, de coder le site internet, il fallait en plus que je sois opérationnelle dès que l’un d’entre eux avait un souci informatique, quel que soit le problème. S’il y avait effectivement un responsable informatique dans cette entreprise, je devais reprendre son travail quand il partait en vacances. En fait, je ne pouvais pas m’en sortir.

Je ne voulais pas partir en abandonnant mes collègues

Je suis allée consulter un psy, qui m’a recommandé d’appeler la médecine du travail. C’est comme ça que j’ai été arrêtée 15 jours une première fois. Ça n’a pas empêché mes chefsde continuer à m’envoyer du travail, comme lors de mes congés maternité ou de n’importe lesquelles de mes vacances auparavant. Je suis restée 15 jours allongée sur mon canapé, quasiment incapable de bouger. Ça ne m’était jamais arrivé. J’étais complètement épuisée.

Entretemps, je leur ai dit que je voulais partir. Ils étaient d’accord pour signer une rupture conventionnelle, à condition que je reste encore huit mois, le temps d’organiser mon départ et de préparer la suite. Je ne voulais pas partir en abandonnant mes collègues.

Mes collègues ont fini par me faire interner

Quand je suis revenue de mon arrête maladie, ils m’ont pressée comme un citron. Sollicitée non-stop pour n’importe quoi, j’étais dans un tel état de stress qu’on m’a diagnostiqué par la suite des atteintes neurologiques. Je n’arrivais plus à me concentrer ni à réfléchir. Je regardais l’écran de mon ordinateur et je ne comprenais même pas ce que je venais de coder. Je buvais près de dix cafés par jour pour tenir la pression, je ne dormais plus que deux heures par nuit.

La machine s’est emballée au bout d’un mois. Un matin, mes collègues m’ont trouvée allongée par terre endormie. Ils ont appelé la médecine du travail, qui leur a dit d’appeler les urgences. C’est comme ça que j’ai été internée en psychiatrie. J’étais dans un état d’épuisement total.

J’étais incapable de lire plus qu’un paragraphe

Je suis restée six mois en convalescence, où l’on m’a fait dormir. Six mois, c’est la durée de l’arrêt que l’on m’a prescrit cette fois-ci, ma situation ayant été reconnue comme un accident du travail. Le plus dur, c’était de remplir les papiers pour la CPAM, sachant que je ne parvenais pas à lire plus d’un paragraphe.

Heureusement que tous les médecins que j’ai rencontrés ont été compréhensifs et attentionnés. Tous m’ont expliqué qu’ils voyaient de plus en plus de burn-out et qu’il fallait à peu près 18 mois pour s’en remettre correctement. J’ai donc été de nouveau arrêtée et depuis, je suis suivie par une psychiatre.

Pendant ce temps-là, mes proches voyaient bien que j’étais au plus mal. Ils savaient bien que je ne dormais pas, que je ne mangeais pas… Mais nous habitons loin les uns des autres, donc ils n’ont rien pu faire.

Plutôt que de signer ma rupture conventionnelle, mon employeur m’a licenciée pour inaptitude à tous les postes de l’entreprise au milieu de l’année 2015. Au fond, c’est vraiment ce que je voulais… Seulement, je n’ai reçu que le premier versement de mes indemnités, le second n’est jamais venu. Nous sommes donc en procès aujourd’hui.

Le salut m’est venu de Pôle Emploi

Après la fin de mon arrêt, en mai dernier, je me suis retrouvée au chômage. Je suis tombée sur une conseillère Pôle Emploi qui connaissait très bien le domaine du numérique. Je lui ai raconté mes soucis. Très bienveillante, elle m’a dit de prendre mon temps, que ça ne servait à rien que je me précipite à nouveau sur le marché du travail. Elle m’a conseillé de me rapprocher d’associations et de faire du bénévolat, ce que j’ai fait. J’ai progressivement repris du plaisir à coder, après avoir été incapable de toucher un ordinateur pendant un an… et j’ai suivi quelques Moocs.

J’ai choisi de témoigner parce que je veux que mon expérience serve. Ce qui me met le plus en colère, c’est que ce soit la CPAM qui paie pour le gâchis humain organisé par ces entreprises. Les dirigeants devraient être reconnus responsables de ce qu’ils engendrent.

Aujourd’hui, je pense que ça va mieux. J’ai recommencé à chercher du travail il y a deux jours et j’ai déjà quatre entretiens de prévus cette semaine. Je pense que j’ai eu de la chance.