Orange convoite Canal +, mais Vivendi lorgne Orange

Revue de Presse

Source : lefigaro.fr (09 décembre 2016)

Le PDG de l’opérateur de télécoms, Stéphane Richard, a dévoilé son intérêt pour Canal+.

Cela fait de longs mois que les deux hommes discutent en direct. Mais apparemment Stéphane Richard, le PDG d’Orange, et Vincent Bolloré, le président du conseil de surveillance de Vivendi, ne partagent pas la même vision sur certains sujets. Les Échos rapportent qu’à l’occasion d’un déplacement au Maroc Stéphane Richard a confié que si Canal + était à vendre, cela pourrait intéresser Orange. Mais en face, Vivendi, propriétaire de la chaîne, n’est pas sur la même longueur d’onde : Canal + n’est pas à vendre. Les discussions – informelles – porteraient plutôt sur un schéma plus ambitieux : un rapprochement capitalistique entre Orange et Vivendi. Une différence de point de vue qui en dit long sur la complexité du dossier.

Au départ, Stéphane Richard et Vincent Bolloré ont simplement discuté business autour de Canal +. L’enjeu était de savoir comment la chaîne pouvait opérer sa mue en passant des alliances commerciales avec les opérateurs télécoms pour reconquérir des clients. Ces discussions ont déjà abouti à l’accord de distribution des offres de Canal + par Orange en septembre. Un autre accord a été passé entre Canal + et Free.

Ces accords commerciaux soulignent l’impérieuse nécessité de rapprocher l’édition de contenus et la distribution. Jusqu’en 2014, Vivendi, qui possédait à la fois SFR et Canal +, n’avait jamais réussi à le faire. Et de son côté, Orange reste traumatisé par les lourdes pertes de son aventure dans les médias entre 2008 et 2010. C’est Stéphane Richard qui y a mis fin. Mais depuis, les temps ont changé, le câblo-opérateur Comcast a racheté NBCUniversal, et ATT s’apprête à mettre la main sur Time Warner. Sur le sol français, Patrick Drahi veut faire de SFR le premier opérateur convergent télécom-média. Il mord de plus en plus sur les plates-bandes de Canal +, allant même jusqu’à lui souffler les droits du foot anglais, puis les contenus des majors américaine Discovery et NBCUniversal. Toujours à l’affût, SFR pourrait même tenter de racheter Canal +, qui coûterait environ 6 milliards d’euros. Si Orange manifeste son intérêt pour la chaîne, c’est donc pour contrer SFR.

Participations croisées

Mais, selon des sources proches, l’objectif premier d’Orange est en réalité de mettre la main sur Telecom Italia. Or, Vivendi l’a devancé et a racheté 23,15 % du capital de l’opérateur italien pour en devenir le premier actionnaire. Pour l’instant, l’investissement est une mauvaise affaire pour le groupe français, qui a payé les actions Telecom Italia à un prix moyen de 1,10 euro : aujourd’hui, ces titres valent 0,76 euro, ce qui valorise la participation de Vivendi à 3,5 milliards d’euros.

En revanche, Vincent Bolloré s’est rendu incontournable et compte bien se servir de cette position. Il suggérerait donc à Stéphane Richard non pas de lui vendre par petit bout Canal + et/ou Telecom Italia, mais de passer un accord global, avec des prises de participations croisées entre Orange et Vivendi.

Un tel schéma ne peut se régler qu’avec l’aval du gouvernement français, qui détient 23 % du capital et 30 % des droits de vote d’Orange. Il semble impossible que cette option soit abordée avant les élections présidentielles. Après, tout sera ouvert. Jérôme Bodin, analyste de Natixis, envisage un pacte d’actionnaires comme celui qui avait été mis en place entre l’État et Lagardère pour le contrôle d’EADS. Sur cette base, l’État et Vivendi pourraient, à terme, cocontrôler un vaste ensemble : Orange, Telecom Italia et Canal +.

Mais tout le CAC 40 sait que Vincent Bolloré n’aime guère partager le pouvoir. C’est en vendant ses deux petites chaînes de la TNT à Canal + qu’il a pris le contrôle de Vivendi et la place de son ami Jean-René Fourtou. Si Stéphane Richard veut briguer un nouveau mandat à la tête d’Orange, il réfléchira à deux fois avant de faire entrer le loup dans la bergerie. Mais il doit aussi inventer une nouvelle stratégie télécom-média. Or, elle semble inévitablement passer par Vivendi.