Se réconcilier avec son image

Revue de Presse

Dans une époque centrée sur l’apparence apparaissent de nouveaux troubles liés à l’image de soi à prendre au sérieux pour leur fort impact sur la santé. Voici comment y remédier et trouver le bon équilibre.

Il y a ceux qui passent des heures dans leur salle de bains ; ceux qui se lancent régulièrement dans des régimes… Il y a aussi ceux qui multiplient les selfies ou se font systématiquement remarquer, et ceux qui n’osent pas aborder un inconnu ni parler en public. Ces exemples vous semblent disparates? Pourtant, ces hommes et ces femmes ont tous un point commun : une relation plus ou moins pacifiée avec l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et, à la racine de celle-ci, un amour de soi défaillant.

Même ceux qui, à l’évidence contents d’eux, se comportent comme s’ils étaient « au-dessus du lot»? Oui. Même eux. Depuis Freud, la psychologie moderne l’a montré : que l’on soit, tel Narcisse, le héros d’un des mythes fondateurs de la psychanalyse, fasciné par son propre reflet, l’image que l’on donne à voir aux autres, ou, à l’inverse, que l’on ne supporte ni ses attributs physiques ni ses qualités morales, revient au même. Elle parle alors de « failles narcissiques». Car, être « trop» ou « pas assez» capable de s’aimer revient surtout à adopter des comportements délétères pour son équilibre psychique et physique.

Comme le rappelle le psychanalyste Paul Denis, auteur deLe Narcissisme (Ed. Que sais-je?) : « Notre narcissisme est fait de toutes les formes de “l’intérêt que l’on a pour soi” : l’investissement que l’on a de sa vie, de son corps, et de sa propre image. En ce sens, s’aimer ne suffit pas. Ce qui importe c’est ce que l’on aime en soi et qui organise notre caractère, facile ou difficile à vivre ; le “comment” nous nous aimons ; et les moyens que nous nous sommes créés pour exprimer notre personnalité, mais aussi pour la faire tenir debout.»

• L’apparence avant tout

Première grande forme d’intérêt susceptible de prendre trop de place : l’apparence, grand terrain d’intervention de ceux qui pensent que c’est leur image qui va les rendre aimables. Bien sûr, qui peut affirmer en découdre vraiment bien avec son corps, son « look», l’effet qu’il provoque quand il rentre dans une pièce?

Concernant « l’image que nous sommes», nous ne sommes pas faciles à satisfaire. Ainsi, un sondage a révélé que 87 % des femmes aimeraient changer leur apparence.

Plus de 1 400 opérations sont réalisées en France chaque jour (Jean-François Amadieu).

Il suffit d’observer l’augmentation des interventions de chirurgie esthétique pour mesurer à quel point Le Poids des apparences, selon l’étude du sociologue Jean-François Amadieu (Ed. Odile Jacob) nous taraude : plus de 1 400 opérations sont réalisées en France chaque jour. Et un Français sur trois serait prêt à intervenir sur son physique pour gagner en confiance.

Certes, les techniques se sont améliorées et banalisées. Mais ajoutez tous ceux qui luttent contre le surpoids en joggeant… Ou même en continuant à fumer ; celles qui dépensent de manière compulsive en produits de beauté, vêtements ou soins en institut… Et vous comprendrez combien « chacun cherche sa beauté» comme un Graal tout-puissant censé nous libérer de la solitude et… du vieillissement.

• Normes physiques

Que nous souhaitions tous « présenter mieux» n’a rien d’étonnant : notre société, entièrement dédiée à l’image, nous incite à toujours plus d’attention portée à notre look et à l’effet que nous produisons sur l’autre. Comment pourrions-nous en sortir indemnes?

Mais certains âges de la vie rendent en effet particulièrement perméables aux messages normatifs. Ainsi, une étude a récemment prouvé que les adolescents qui lisent des magazines ou regardent des programmes de télévision mettant le focus sur l’image de soi (régimes, beauté ou même clips musicaux…) ont une perception négative de leur physique. Cet impact ne dépend pas du nombre d’heures passées devant de tels programmes, mais de variables psychologiques telles qu’une basse estime de soi, des troubles alimentaires ou l’idéal d’un corps mince. Les filles sont plus nombreuses à ressentir cette insatisfaction quant à l’image qu’elles ont d’elles-mêmes (16,5 %, contre seulement 5,4 % chez les garçons). Des résultats qui font dire à Maria Calado, chercheuse en charge de cette étude, que « les gouvernements devraient se servir de telles découvertes pour promouvoir des images positives du corps encourageant vraiment à la prévention et à la santé».

Oui, mais n’est-ce pas un désamour de soi déjà présent qui rend ces jeunes plus vulnérables aux normes sociétales? Ou bien celles-ci baisseraient-elles encore davantage leur niveau d’estime de soi, les incitant notamment à contrôler à l’extrême et à développer une forme de tension et de culpabilité face à la nourriture? Les liens entre narcissisme et atteintes du corps (automutilation, conduites à risque…), image de soi et estime de soi sont tellement ténus que l’on ne peut bien souvent démêler les uns des autres qu’au terme de longues années de psychothérapie.

• Quand le « moi» vacille

Autres facteurs de risque : toutes les périodes de changement important, faisant vaciller le moi : grossesse, crise de la quarantaine, ménopause… Ou tout simplement grande fatigue accentuant les marques du vieillissement! Il y a aussi les ruptures, le chômage, l’après maladie grave, tous ces moments où, fragilisé, on ne sait plus ce qu’il y a d’aimable en soi.

« Aucune demande de chirurgie du corps ne doit être considérée comme banale» Michel Godefroy, psychiatre

Mareva Pellerin, relookeuse et conseil en image de soi dans la région nantaise qui reçoit « de l’ado au retraité», l’observe quotidiennement : « Ce sont des moments charnières qui poussent ces personnes à venir faire un bilan. Elles sont perdues dans les codes de la société, ne s’y retrouvent pas ou plus, résume-t-elle. Une simple journée de relooking peut permettre de se redynamiser, de porter un nouveau regard sur soi et de repartir dans sa vie avec une certaine fraîcheur et du bien-être.» La plupart du temps en effet, chacun, même ébranlé, se remet au bout de quelques semaines de ces chamboulements.

• Le corps en dette

Mais, parfois, la crise ne passe pas. La manière dont on se voit devient de plus en plus négative et rigide. Le nez que l’on souhaite refaire ou l’obsession des régimes sont comme « des arbres qui cachent la forêt» : car la relation que nous entretenons avec notre corps est éminemment liée à notre vie psychique et émotionnelle. « Si l’on est triste, par exemple, on se trouve moche. Et dès qu’on se demande “est-ce que je plais?”, on déclenche son anxiété, rappelle le Dr Jean-Christophe Seznec. En ce sens, dans bien des cas, il est impossible de résoudre un sentiment d’infériorité ou de mésestime de soi par une seule intervention sur le corps, fût-elle chirurgicale.»

Michel Godefroy, psychiatre et ancien consultant dans le service de chirurgie plastique de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris, qui vient de publierChirurgie esthétique et frontières de l’identité (Ed. L’Harmattan), rappelle en ce sens qu’aucune demande de chirurgie sur le corps – qu’il s’agisse de liposuccion, lifting… – ne doit être considérée comme « banale». « C’est pour cela qu’on doit s’intéresser à la personne qui consulte dans son entièreté : comment va sa vie de couple actuellement? Et au travail?», explique le psychiatre. On s’informera aussi de savoir si elle est dans une demande primaire (n’a jamais eu recours à la chirurgie plastique) ou si elle est déjà intervenue sur son corps. « Le plus important, insiste Michel Godefroy, est de repérer si la personne ne souffre pas de dysmorphophobie, un trouble psychique qui entraîne un sujet à apprécier de façon fausse ou péjorative tout ou partie de son apparence corporelle. Dans ses formes les plus aiguës, ce trouble s’accompagne de la crainte de se voir ou d’être vu, et sert d’explication à toutes les difficultés de l’existence en les ramenant au défaut du corps.»

Autre problématique narcissique prenant le corps pour cible : les addictions. Rappelons que dans son étymologie latine, addict signifiait « être contraint par corps», notamment lorsque la personne devait s’acquitter d’une dette. Le tabagisme, l’alcoolisme, la boulimie, mais aussi l’addiction aux jeux (le joueur compulsif ne dit-il pas qu’il va « se refaire»?), aux écrans (devant lesquels le corps est contraint pendant des heures à l’immobilité…) sont des comportements d’asservissement à un produit ou à une habitude, destinés à masquer ou à outrepasser le manque d’estime de soi.

• Se sentir sans limites

Paradoxalement, être fasciné par son image, chercher à la maintenir au « top» mène aussi à des comportements délétères pour la santé. L’actuelle maladie du burn-out, qui brûle de plus en plus de nos contemporains, relève fréquemment de problèmes narcissiques.

En ce sens, le Dr François Baumann, qui a publié L’Après burn-out (Ed. Josette Lyon), considère que le traitement de ces troubles complexes ne saurait être seulement comportemental. « Ce syndrome dit “d’épuisement professionnel” est déjà à l’œuvre depuis six à huit ans lorsqu’il se déclare chez ses victimes, souvent elles-mêmes surprises de ce qui leur arrive», observe-t-il.

Un temps d’incubation qui s’explique justement par le perfectionnisme de ceux qui en sont atteints : « ils sont dans un tel déni de leur fatigue et de la nécessité de “lâcher” qu’ils sont incapables de déceler les signes avant-coureurs de leur effondrement», affirme le médecin. De telles maladies imposent donc aux victimes de se poser des questions essentielles : pourquoi cette place du travail dans ma vie? Qu’est-ce que je cherche vraiment à prouver? Pourquoi ne suis-je pas conscient de mes limites?

C’est alors un amour de soi à entendre comme un « prendre soin de soi» qui devra peu à peu occuper la personne : apprendre à mieux se connaître, accepter ses limites, identifier ses besoins, que ceux-ci soient alimentaires, en matière de sommeil, de repos ou d’activité physique… De même qu’on le fait avec un enfant qu’on aime, cette attention bienveillante est la seule voie connue vers un bien-être pouvant combler à la fois corps et psychisme.

Source : LeFigaro.fr (30 juin 2017)