« En 2088, le travailleur sera plus autonome qu’aujourd’hui »

Revue de Presse

Comment évoluera notre manière de travailler durant les 70 prochaines années? Sandra Enlart, ancienne directrice générale d’Entreprise&Personnel et spécialiste des ressources humaines tente de répondre à cette question à l’occasion des 70 ans du Journal du dimanche. Selon elle, ‘avec le développement de la robotisation, de l’intelligence artificielle, du data, à force de remplacer l’homme par la machine, ce qui façonne nos vies aura peut-être disparu’. ‘Il y aura donc du travail très riche et du travail très pauvre’, d’après Sandra Enlart.

Le mot ‘travail’ aura-t-il encore un sens dans soixante-dix ans?

Il est très difficile de répondre à une échéance aussi lointaine tant il y a d’incertitudes déjà à dix ans! Une question se pose quand même : y aura-t-il encore du travail demain? Avec le développement de la robotisation, de l’intelligence artificielle, du data, à force de remplacer l’homme par la machine, ce qui façonne nos vies aura peut-être disparu. Ou presque. Des salariés très qualifiés s’occuperont de la conception et de la programmation de ces robots complexes. Des employés intermédiaires les entretiendront, les surveilleront, les contrôleront dans des usines 4.0. Et toutes les tâches très peu qualifiées, où installer un robot coûtera trop cher, seront confiées à du personnel non qualifié et sous-payé. Le digital work est déjà à l’œuvre avec des employés rémunérés au clic. En gros, tout ce qui sera trop cher à robotiser sera humanisé. Il y aura donc du travail très riche et du travail très pauvre.

On ne parlera sans doute plus de contrats de travail, mais de contrats commerciaux ou de prestations

Deviendra-t-on des salariés sans patron?

La notion de free lance pourrait être poussée à l’extrême. Des communautés, des réseaux fonctionneront en écosystèmes et remplaceront la traditionnelle entreprise à l’organisation pyramidale. Ces structures de taille réduite évolueront au gré des projets et des intérêts de la communauté. Elles présentent des avantages : la lutte contre l’isolement, l’émulation, la créativité. Mais elles ont un inconvénient : leur temporalité. Au bout de six mois, tout peut s’arrêter. Un peu comme des écosystèmes biologiques. La logique blockchain fonctionnant à plein régime et permettant une certification de tous les process, plus besoin de management intermédiaire pour contrôler, stimuler, vérifier.

Mais quid du contrat de travail?

On ne parlera sans doute plus de contrats de travail, mais de contrats commerciaux ou de prestations. Et le lien de subordination, qui caractérisait jusqu’alors la relation entre le salarié et son employeur, n’en sera plus le fondement même.

On pourra difficilement faire l’impasse sur la création d’un revenu universel

C’est donc une nouvelle forme de liberté?

Le travailleur sera plus autonome qu’aujourd’hui car débarrassé de tous ces rapports hiérarchiques. Quant à parler de liberté… La blockchain est ultra-contraignante. Dans une société où le travail diminue fortement, il faudra trouver les moyens de maintenir un niveau de consommation satisfaisant si l’on veut continuer à produire et enrichir le système. On pourra difficilement faire l’impasse sur la création d’un revenu universel au risque d’abandonner 80% de la population car elle ne travaille pas du tout, ou pas suffisamment pour vivre. Mais peut-être choisirons-nous la décroissance sous la pression écologique? Et tout sera alors différent…

Source : lejdd.fr(25 novembre 2018)