Télétravail : vers un bonus/malus écologique ?

Revue de Presse

Source : focusrh.com(27 mars 2019)

La diminution des émissions de CO2 est un enjeu sociétal majeur, sur lequel des entreprises planchent en tâchant de limiter leur impact environnemental. Alors que le télétravail semble être une solution évidente, l’argument « développement durable » ne semble pas peser sur les choix de mise en œuvre.

Faut-il alors envisager de taxer les employeurs récalcitrants ? Sandrine Carballès, économiste au service Transport et Mobilité de l’ADEME, livre ses éléments de réflexion.

Quel est l’impact des déplacements professionnels sur les émissions de CO2 ?

D’après la dernière enquête nationale sur la mobilité, publiée en 2018, les déplacements dont l’origine ou la destination est liée à une activité professionnelle représentent une part significative des émissions de CO2. Concernant la mobilité locale du lundi au vendredi, ils représentent 57 % de ces émissions.

Jusqu’à quel point le télétravail permet-il de réduire ces émissions ?

Le télétravail, qu’il soit à domicile ou en tiers lieux, supprime ou réduit les trajets effectués par les actifs et en conséquence les émissions de CO2 – en ce qui concerne la mobilité locale, 96 % sont dues à la voiture.

D’après l’étude ADEME 2015, le télétravail permet de diminuer d’environ 30 % les impacts environnementaux associés aux trajets domicile-bureau. Ce gain atteint jusqu’à 58 % pour les émissions de PM (particules en suspension).

Sur 2,9 jours télétravaillés par semaine, cela représente une économie potentielle de 787 kg de CO2 par individu et par an (contre environ 12,2 tonnes de CO2 au total par individu et par an). La réduction des kilomètres effectués entre le domicile et le lieu de travail est le principal facteur d’explication de ces gains environnementaux.

En extrapolant à l’échelle d’une entreprise de 1 000 salariés, télétravailler un jour par semaine permet d’éviter l’équivalent des émissions annuelles de gaz à effet de serre d’environ 37 français. Au niveau national, si la moitié de la population active télétravaillait 2,9 jours par semaine (contre 22 % actuellement), l’équivalent des émissions de gaz à effet de serre d’environ 366 000 Français serait supprimé.

Globalement, le bilan environnemental du télétravail est donc positif, et permet une réduction des impacts environnementaux pour tous les indicateurs étudiés dans cette étude.

Les entreprises sont-elles sensibles à ces questions, notamment dans le cadre de leur stratégie RSE ?

Le télétravail faisant partie intégrante des solutions associées aux plans de mobilité des entreprises (obligatoires pour celles dont l’effectif est supérieur à 100 salariés), les entreprises sont réceptives, comme pour l’ensemble des mesures visant à réduire les émissions polluantes et le trafic routier.

On peut citer, par exemple, la promotion du vélo avec mise en place d’un stationnement sécurisé, d’un local vélo proposant quelques outils et services, de douches pour les cyclistes, mais aussi de mesures financières incitant les mobilités actives et partagées, l’achat d’une flotte de vélos à assistance électrique etc.

D’autres mesures incitatives sont possibles, comme l’amélioration de l’accès des bâtiments par les piétons, l’encouragement à l’utilisation des transports publics, l’aménagement des horaires de travail, l’accompagnement et l’encouragement à habiter à proximité du lieu de travail ou sur le réseau de transport en commun, la mise en place d’un service d’autopartage…

Pour ma part, je crois beaucoup à l’incitation au covoiturage, via, par exemple, le développement d’un service de mise en relation en interne ou avec d’autres entreprises proches du site, l’instauration de places réservées aux « covoitureurs », la création d’un service de dépannage en cas d’indisponibilité exceptionnelle d’un conducteur, le chèque covoiturage…

La question de taxer les entreprises qui refuseraient le télétravail aux collaborateurs qui peuvent télétravailler (soit en cas de pic de pollution, soit même tout au long de l’année) a-t-elle déjà été étudiée ?

Les entreprises s’orientent de plus en plus vers le déploiement du télétravail pour leurs salariés et les réfractaires se marginalisent. Selon le ministère du Travail, le nombre d’accords a augmenté de 25 % en 2018 et environ 60 % de métiers seraient éligibles au télétravail. En outre, deux tiers des salariés français choisissent de plus en plus leur emploi en fonction des possibilités de télétravail. Le télétravail devient un avantage comparatif, voire une nécessité pour recruter.

Compte tenu de l’évolution du monde du travail, le télétravail va devenir incontournable pour les entreprises qui peuvent le déployer. Elles n’y viendront pas au départ, forcement, pour des préoccupations écologiques, mais pour des raisons économiques : diminution de surfaces foncières, difficultés de recrutement, augmentation de l’efficacité des télétravailleurs.

La taxation ne semble alors pas nécessaire ou suffisamment incitative puisque l’organisation du travail se transforme d’elle-même.

N’y aurait-il pas d’effet incitatif avec la mise en place d’un bonus/malus ?

Concernant la taxation, l’effet incitatif reviendrait à instaurer la mise en place d’un accord collectif ou d’une charte sur le télétravail dans les entreprises. Cela accélérerait le nombre d’entreprises adoptant le télétravail.

Néanmoins, les risques de fraudes ou d’évitement ne sont pas à éluder :  il suffirait de l’accorder à l’encadrement de haut rang uniquement, ou qu’en situation exceptionnelle, pour contourner le problème de la taxation. De plus, certaines entreprises  réfractaires préféraient sans doute payer un malus que de se lancer dans cette démarche.

Appliquer un bonus aux entreprises qui l’appliquent ne semble pas efficient non plus puisque le télétravail se développe naturellement : le plus souvent, il est d’abord testé pendant un an ou deux puis, dans la grande majorité des cas, définitivement adopté.

La dimension « développement durable » peut donc être une source d’incitation, mais une parmi d’autres. Je crois beaucoup à l’effet d’entraînement lié au retour d’expérience positif des entreprises qui pratiquent le télétravail.