Réforme des retraites : ce que va plaider l’Unsa auprès du gouvernement

Revue de Presse

Source : lesechos.fr (5 septembre 2019)

Le nouveau secrétaire général de l’Unsa, Laurent Escure, se prononce pour une réforme «  équitable » des retraites dans une interview aux «  Echos ». Il réclame pour cela d’importantes mesures pour en atténuer les effets sur les générations déjà au travail.

1000000000000500000002d0c7a8c0d698c11ea6.jpg

Alors que s’ouvre une nouvelle phase de discussion entre les partenaires sociaux et le gouvernement sur la réforme des retraites, quelle est votre position sur la question de l’ «  âge-pivot » et de la durée de cotisation soulevée par Emmanuel Macron ?

Le débat qui s’est ouvert entre la création d’un âge-pivot ou l’allongement de la durée de cotisation pour toucher une retraite à taux plein est fondamental. Le président de la République a marqué une préférence pour jouer sur ce second paramètre. L’âge-pivot supprime la décote pour les travailleurs qui n’ont pas assez cotisé et qui sont obligés de poursuivre jusqu’à 67 ans.

Je m’interroge donc sur les conséquences qu’aurait le choix de revenir à la durée de cotisation, dans la lignée des réformes précédentes. Cela voudrait dire une double peine pour notamment de nombreuses femmes. Les assurés qui n’auront pas toutes leurs annuités parce qu’ils ont eu une carrière à trous vont subir à la fois une décote et une dégradation de la valeur du point.

Vous vous opposez à la CFDT qui réclamait une prise en compte de la durée des carrières…

Nos positions sont conciliables. Je souhaite que nous croisions nos regards. Nous proposons deux solutions. Première option, on compte les annuités, et on permet à la personne qui a commencé à travailler à 19 ans de partir à 62 ans au taux plein, après 43 années de travail. Deuxième option, on conserve un âge-pivot, mais pour éviter de punir les gens qui risquent d’être contraints de cotiser 45 ans, on étend le dispositif de départ anticipé pour carrières longues aux personnes qui ont commencé à travailler avant 20 ou 21 ans.

Vous êtes en train de discuter du positionnement des curseurs. Cela veut-il dire que vous êtes d’accord pour passer à un régime universel par points ?

Nous comprenons l’intérêt que peut avoir un tel régime. De moins en moins de travailleurs vont avoir une carrière en silo. C’est tout l’enjeu de la simplification du système de répartition pour les nouvelles générations. Mais j’alerte sur le fait qu’il ne faut pas confondre l’égalité et l’équité.

C’est-à-dire ?

On ne part pas d’une page blanche comme en 1945. Il y a tout un tas de travailleurs qui ont déjà 5, 10, 20, 40 ans derrière eux et il faut absolument travailler les transitions pour eux, donc donner du temps à la réforme. Cela aura en plus l’avantage de permettre de corriger ses effets pervers éventuels.

Votre syndicat est très présent dans la fonction publique où le calcul de la retraite se fait sur les 6 derniers mois de salaire. C’est à eux que vous pensez ?

Pas seulement. Pour les salariés du privé, ce n’est pas la totalité de la carrière mais les 25 meilleures années qui sont prises en compte aujourd’hui, ce qui permet de ne pas prendre en compte les accidents de carrière. Ce ne sera plus le cas. Il faut donc travailler là-dessus. Pour tous les salariés en cours de carrière, il faudra pouvoir gommer le potentiel impact négatif du changement de règle. Les générations nées entre 1963 et 1973, voire 1978, devront être peu impactées par la réforme. Pourquoi ne pas instaurer pour elles une possibilité de droit d’option pour l’application des anciennes règles de calcul, ou au moins de droit à compensation ?

Cela peut coûter très cher…

Pour que la réforme soit acceptée, il faudra qu’elle soit équitable, et pour qu’elle soit équitable, il faudra en passer par ce type de mécanisme de compensation pour les premières générations touchées par la réforme. Et il faudra aussi tenir compte des différences d’espérance de vie, selon la carrière pour la suite. Tout cela sera déterminant dans la position qu’adoptera l’Unsa, je le dirai au Premier ministre vendredi.

Vous êtes donc prêt à remettre à plat les catégories actives permettant de partir plus tôt à la retraite qui persistent dans les régimes spéciaux ?

Oui, s’il s’engage une vraie négociation sur la pénibilité… Il faut objectiver ces situations et en tirer les conséquences pour la retraite. Le dispositif actuel de pénibilité n’est pas correctement calibré. Il faut le revoir de A à Z et qu’à la fois, le patronat accepte de payer pour ça, en prévention et en compensation, et que joue la solidarité nationale. Nous voulons consolider la situation financière de notre système de retraite par répartition et empêcher qu’il glisse vers l’assurantiel ou l’étatisation, mais ça ne peut pas être aux seuls travailleurs de payer.

L’Unsa est très présente dans la fonction publique et les régimes spéciaux qui risquent d’être les grands perdants. N’est-ce pas un risque pour vous de négocier ?

L’Unsa porte l’intérêt général des salariés, qui est la préservation du système de retraite par répartition afin qu’il ne se transforme pas en système assurantiel ou étatique. Cela ne rend pas illégitime de défendre l’intérêt de ceux qui seront les plus exposés lors de la phase de transition. C’est le sens par exemple de la mobilisation à laquelle va participer notre syndicat de la RATP. Pour ses salariés comme pour les sages-femmes, les infirmières, aides-soignantes, ou les cheminots, il faut ouvrir des négociations spécifiques sur la convergence des régimes pour asseoir la transition qui doit venir en complément de la loi.

Quel est, selon vous, le calendrier que doit adopter le gouvernement pour sa réforme ?

D’abord, la consultation citoyenne doit intégrer nos discussions. Ensuite, nous avons apprécié que le chef de l’Etat ne veuille pas agir dans la précipitation. Il faut prendre le temps, mais pas trop tout de même, pour éviter la dilution. Nous voulons connaître les arbitrages définitifs au plus tard au premier trimestre de 2020.

Pensez-vous pouvoir vraiment peser sur la réforme ?

Nous participons aux discussions sur la retraite, avec les autres organisations ayant signé le Pacte du pouvoir de vivre , nous avons été reçus par Edouard Philippe, Jean-Paul Delevoye qui croit dans le dialogue social vient d’être nommé ministre … Il est trop tôt pour dire si le chef de l’Etat a pris le virage social et écologique qu’il a promis, mais ce sont des signaux qui nous vont bien. Cependant le virage reste à confirmer et il faudra pour cela qu’il y ait du grain à moudre.

Emmanuel Macron a l’opportunité de sortir de son image de président des riches, mais il risque aussi de susciter beaucoup de déception s’il ne s’agissait que de mots. S’il n’y a pas de risque d’explosion immédiat, le climat social est très incertain, j’ose espérer qu’à l’Elysée et Matignon, ils l’ont compris et vont s’attacher à restaurer la confiance.

Vous ne vous êtes pas associés à la journée d’action de la CGT le 24 septembre. Envisagez-vous de vous mobiliser plus tard ?

Pour l’Unsa, négocier c’est agir. Développer des arguments pour convaincre est pour nous une forme beaucoup plus efficace d’action qu’une simple contestation. On jouera la négociation jusqu’au bout. Mais on ne s’interdit rien si la réforme ne nous satisfait pas. On jugera le projet de loi sur pièces et s’il doit y avoir alors une mobilisation, nous la lancerons. Mais ne comptez pas sur nous pour faire comme la CGT. On ne criera pas au loup sans savoir si le loup est là. Nous sommes dans une recherche d’efficacité, nous ne faisons pas de politique.