« Il y a bien un lien entre les conditions de travail et les suicides »

Revue de Presse

Source : maville.com (10 juin 2020 )

Dans un rapport publié mercredi 10 juin, l’Observatoire national des suicides dresse un état des lieux des connaissances des liens entre les conditions de travail et les suicides. Si le travail n’explique pas à lui seul un passage à l’acte, il peut en être l’une des causes.

En 2016, dernières données connues, près de 9 300 personnes sont mortes par suicide en France  : 75 % d’hommes, 25 % de femmes. Selon l’Observatoire national du suicide qui a publié, mercredi 10 juin, son nouveau rapport, les décès par suicide augmentent avec l’âge  : 6,5 décès (pour 100 000 habitants) parmi les 15-24 ans et 55,7 décès (pour 100 000 habitants) parmi les plus de 74 ans. La région la plus touchée par les suicides reste de loin la Bretagne (22,2 décès par suicide pour 100 000 habitants contre 14 pour la moyenne nationale). La France se situe au neuvième rang des pays européen où l’on se suicide le plus (sur 28).

Quelle est l’évolution ?

C’est relativement peu connu, mais le nombre de décès par suicide ne cesse de diminuer  : – 33,5 % entre 2000 et 2016. Il en est de même pour les tentatives de suicide ayant donné lieu à une hospitalisation  : près de 89 000 en 2017, 105 000 en 2010. Les raisons sont multiples  : une plus grande prescription des antidépresseurs par les médecins, une meilleure organisation des soins, davantage d’associations spécialisées dans la prévention.  Il y a aussi le regard de la société sur la santé mentale qui a évolué. Il est aujourd’hui plus facile de conseiller à un proche qui va mal, d’aller voir un psy , note Charles Édouard Notredame, psychiatre.

Combien de suicides au travail ?

 En France, il n’existe pas de données fiables sur les suicides liés au travail, ce qui rend difficile toute quantification des suicides en lien avec le travail ou survenus sur un lieu de travail , avertissent les auteurs du rapport. Certaines professions, pour lesquelles des comptages spécifiques ont parfois été organisés, sont toutefois plus exposées. Les exploitants agricoles  : 692 décès par suicide en sept ans (2007-2013), notamment parmi les éleveurs bovins (lait et viande) de 45 à 54 ans. Les policiers confrontés plus souvent que d’ordinaire à des situations violentes et qui ont un accès plus aisé aux armes  : une moyenne de 44,5 décès par an au cours de ces vingt dernières années. Mais aussi les infirmières, les chefs d’entreprise, les surveillants pénitentiaires.  D’une manière générale, les ouvriers et employés, ces catégories situées dans le bas de l’échelle sociale, se suicident davantage que les cadres , précise Christian Baudelot, sociologue.

Se suicide-t-on à cause du travail ?

 Le travail ne peut être considéré comme cause unique d’un suicide, mais il y a bien un lien entre les conditions de travail et un passage à l’acte , observe Christian Baudelot. Le récent procès des ex-dirigeants de France Telecom en a été la démonstration. Se défenestrer de son bureau  constitue un signal qui est souvent corroboré par une lettre laissée aux proches, à la différence des suicides qui interviennent dans la sphère privée et pour lesquels il n’y a souvent aucune explication , poursuit le sociologue. Ces suicides ou tentatives au travail concernent majoritairement les hommes et femmes qui  s’investissent intensément dans leur travail et qui, en quelque sorte, sont en attente d’une reconnaissance professionnelle . En 2016, 5,3 % des personnes en activité déclarent avoir eu des pensées suicidaires au cours des douze derniers mois.

Le chômage augmente-t-il le risque de suicides ?

Oui, l’absence de travail accentue le risque d’un passage à l’acte. La crise de 1929 avait provoqué une hausse significative du nombre de suicides. Celle de 2008 aussi.  Le chômeur n’est pas fragile. Il est fragilisé. Lors d’une enquête en 2016, nous avions demandé à des salariés et des chômeurs s’ils avaient déjà pensé sérieusement à se suicider  : 19 % des salariés avaient répondu positivement, et 30 % des demandeurs d’emploi , précise Michel Debout, médecin légiste.

Quelles actions de prévention ?

Les auteurs du rapport préconisent de généraliser à l’ensemble du territoire le dispositif VigilanS  : ce dispositif permet de recontacter et d’aider des personnes ayant fait une tentative de suicide. Ils recommandent également de mettre en place un numéro national de recours pour les personnes en détresse psychique extrême.