Source : latribune.fr (07 juin 2015)
Notre système de santé évolue en profondeur, sans vrai débat public, notamment sur le rôle des complémentaires santé, qui prennent une place grandissante. Quelles devraient être les priorités de réforme? Par Laurent Berger, Secrétaire Général de la CFDT, Danièle Desclerc-Dulac, Présidente du CISS, Etienne Caniard, Président de la Mutualité Française, Luc Bérille, Secrétaire Général de l’UNSA
Notre système de santé est aujourd’hui à la croisée des chemins…
Malgré l’amélioration générale de l’état de santé de la population (allongement de l’espérance de vie, net recul de la mortalité infantile, etc.), les progrès thérapeutiques ne profitent pas à tous de manière équitable et l’organisation de la prise en charge des soins n’est pas efficiente. Notre système de santé privilégie trop souvent l’intervention la plus lourde au détriment de réponses plus appropriées aux besoins de la population, en particulier des personnes en situation de perte d’autonomie. Les obstacles géographiques et financiers pèsent lourdement sur les inégalités d’accès aux soins, le renoncement aux soins progresse en dépit de la hausse des dépenses de santé dans notre pays. Les conditions de travail se dégradent pour de nombreux salariés de la santé ou de l’accompagnement, notamment dans les hôpitaux, les epahd et le secteur des aides à domicile, au détriment des usagers et de la qualité des soins.
Par ailleurs, notre système de santé doit faire face à des défis majeurs (grand âge, hausse du nombre de malades chroniques, coût croissant du progrès technique, etc.) qui rendent indispensable son évolution en profondeur pour garantir sa pérennité, dans un contexte de financement fortement contraint -en dépit de l’augmentation continue des dépenses de santé.
Des soins courants de moins en moins remboursés par la sécu
Nous sommes donc face à deux paradoxes que les pouvoirs publics ne parviennent pas à résoudre.
Le premier paradoxe tient au fait nous dépensons chaque année toujours plus pour notre santé sans parvenir à limiter le renoncement économique à certains soins en raison du recul des remboursements des soins courants par l’assurance maladie obligatoire.
Actuellement, l’ensemble des soins de santé en ambulatoire, n’est plus couvert que pour environ 55%, toutes prestations de santé confondues. Ce constat s’explique par l’écart observé entre les bases de remboursement et les prix pratiqués par les acteurs du secteur de la santé comme par l’absence d’organisation des parcours de soins et de contrôle de la pertinence des actes.
Assurances complémentaires : une place grandissante sans aucun débat préalable
Le second paradoxe, lié au premier, est la place importante prise par les complémentaires santé, devenues aujourd’hui indispensables pour assurer l’accès aux soins, sans qu’aucun débat n’ait jamais eu lieu sur le rôle respectif et la ligne de partage entre régime obligatoire et complémentaires. Depuis plusieurs années, les complémentaires servent « de variables d’ajustement » permettant de pallier le désengagement de l’assurance maladie. Or, dans un contexte de renchérissement mécanique du coût des cotisations des complémentaires, le taux d’effort des ménages a atteint un seuil d’acceptabilité maximal.
Face à ces défis, nous sommes convaincus que le chemin de la transformation de notre système de santé n’appartient pas à la seule action de l’Etat que la loi de modernisation du système de santé traduit d’ailleurs insuffisamment.
Chacun à notre place, nous nous sommes efforcé ces dernières années de trouver des pistes concrètes pour faciliter l’accès à des soins de qualité pour tous et défendre un système de santé solidaire, efficient et régulé.
Quatre priorités
Au regard de l’urgence de la situation, nous estimons important d’insister ensemble sur quatre priorités :
1- Agir en faveur de la réduction du reste à charge. Celui concerne essentiellement trois types de soins :
-Les soins courants non (ou mal) régulés : soins dentaires, audioprothèses ou optique.
-Les soins donnant lieu à des dépassements d’honoraires ;
-Les soins hospitaliers qui donnent lieu à des restes à charge de plus en plus importants.
Les dernières tentatives de régulation des dépenses, si elles marquent un tournant, ne sont pas suffisantes. Nous proposons de construire une nouvelle forme d’opposabilité tarifaire au profit des patients afin de maitriser les restes à charge et de mettre un terme à la fuite en avant des dépassements d’honoraires.
2- Améliorer l’organisation du système de soins et de santé.
L’évolution de l’organisation de notre système de santé exige la prise en compte d’au moins cinq domaines :
L’existence d’importantes disparités territoriales. Au-delà du thème des déserts médicaux, qui constituent une réalité, nous devons mieux prendre en compte : l’inégalité des chances (certaines zones étant mieux dotées pour gérer certaines pathologies) ; les inégalités sociales souvent synonymes de maladies chroniques ; les inégalités tarifaires.
Il devient en effet primordial, comme le reconnaissent tous les observateurs du système de santé, d’organiser un véritable parcours de soins lisible par le patient permettant, dans une logique pluridisciplinaire : d’orienter le patient, de prévenir ses pathologies, de le soigner et de l’accompagner à l’issue de son traitement. Dans ce cadre, des modes de rémunération plus adaptés que le paiement à l’acte pourraient être mis en place.
L’ensemble des professionnels, salariés ou agents du système de soin doivent être entendus pour améliorer l’organisation collective du travail. Au-delà de l’organisation, notre système doit également davantage s’ouvrir aux potentialités offertes par les nouvelles technologies
L’impératif de démocratie en santé doit s’imposer aussi dans la co-construction des services et des actions en santé.
3- Redéfinir le pilotage des politiques de santé et l’articulation entre l’assurance maladie obligatoire et les complémentaires pour une meilleure responsabilisation concertée de chacun des partenaires.
Elle constitue la réponse aux deux priorités précédentes. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus agir séparément sur l’organisation du système d’un côté et sur le financement de l’autre. C’est de manière systémique que les questions doivent être posées. La place prise par les complémentaires (13% de la dépense) rend essentielle la mise en place d’un vrai partenariat entre l’assurance maladie obligatoire, les complémentaires et les bénéficiaires des services de santé.
Le pilotage des politiques de santé doit tenir compte de cette situation, de l’évolution de la médecine et de la société. Les associations de patients, les partenaires sociaux, les mutuelles, ne peuvent être exclus d’un pilotage aujourd’hui assuré par l’Etat et l’Assurance maladie. L’absence d’avancées significatives issues des dernières négociations conventionnelles en témoigne. Une nouvelle régulation est nécessaire. Elle doit tendre à une responsabilisation objectivée.
Au-delà, les politiques de santé doivent désormais davantage se concevoir dans une logique de proximité en tenant compte des besoins locaux et de l’apport de l’ensemble des salariés du secteur de la santé et de l’aide à domicile. Force est de reconnaître que les récentes réformes ne sont pas allées au bout de cette logique.
4- Refaire de la santé un enjeu de citoyenneté, en favorisant le débat public autour des questions de santé et en encourageant l’engagement citoyen à travers de nouvelles actions de proximité autour des questions de santé.
Ensemble, nous avons la volonté commune de promouvoir une vision neuve des questions de santé. Nous voulons faire la preuve de la capacité des patients, des professionnels de santé, des partenaires sociaux et des mutuelles à construire ensemble des réponses en faveur de la transformation de notre système de santé.