Comment l’Autorité de la concurrence a fait gagner 1,25 milliard d’euros à l’Etat

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Source : 20minutes.fr (6 juillet 2016)

CONSOMMATION En 2015, le gendarme de la concurrence a sanctionné des dizaines d’entreprises, principalement pour des ententes sur les prix

C’est un record. L’an dernier, l’Autorité de la concurrence a infligé quelque 1,25 milliard d’euros d’amendes aux entreprises françaises… Un niveau qui n’avait jamais été atteint, comme l’a révèlé cette institution ce mercredi. Le gendarme de la concurrence a poursuivi et condamné ces entreprises principalement pour des faits d’ententes sur les prix. Des ententes qui sont parfaitement illégales et surtout, qui nuisent à la concurrence et donc au portefeuille des consommateurs. 20 Minutes revient sur les quatre plus gros coups de l’Autorité en 2015.

Les faits : Entre 2000 et 2007, la quasi-totalité des industriels du monde de la volaille (poulet, dinde, canard, pintade, lapin) et deux organisations professionnelles se réunissent régulièrement pour s’entendre sur les prix qu’ils souhaitent négocier avec leurs clients – les acteurs de la grande distribution et les marchés de gros. La concurrence est donc faussée, surtout entre fin 2006 et fin 2007, période pendant laquelle les professionnels se retrouvent clandestinement à près de 60 reprises. En 2007, la Direction générale de la répression des fraudes (DGCCRF) lance une enquête et réalise plusieurs saisies. Son rapport est transmis en avril 2011 à l’Autorité de la concurrence.

La sanction : Le 5 mai 2015, l’Autorité de la concurrence condamne les deux organisations professionnelles et 21 industriels à une amende de 15,2 millions d’euros. Cette sanction aurait dû être beaucoup plus élevée, mais le gendarme de la concurrence a décidé de la jouer cool avec ce secteur en très grandes difficultés économiques. L’Autorité croit par ailleurs en l’engagement des professionnels à créer une interprofession, organisation qui devrait leur permettre de mieux négocier avec la grande distribution, sans basculer dans l’illégalité.
Des vaches à lait

Les faits : Entre 2006 et 2012, des fabricants de produits laitiers sous marques de distributeurs décident de s’entendre sur les prix et de se répartir les volumes dans les grandes surfaces. Le système est très sophistiqué : les réunions se tiennent dans des hôtels réservés à tour de rôle par les participants. Les lieux changent à chaque fois pour des raisons de discrétion. Les fabricants communiquent également entre eux via des téléphones portables secrets dédiés à l’entente. Ainsi, pour protéger leur cartel, les lignes ne sont pas officiellement attribuées aux utilisateurs et leur nom n’apparaissait pas sur les factures.

La sanction : Le 11 mars, l’Autorité de la concurrence condamne cette entente entre les producteurs Yoplait, Senagral (Senoble), Lactalis, Novandie (groupe Andros), Les Maîtres Laitiers du Cotentin, Laïta, Alsace Lait, Laiterie de Saint Malo, Yeo Frais (groupe 3A) et Laiteries H. Triballat (Rians). Ils doivent payer une amende globale de 192,7 millions d’euros. Yoplait est le seul à être exonéré puisqu’il est venu dénoncer ces agissements à l’Autorité.
Non mais allô quoi

Les faits : A la fin des années 2000, les concurrents de l’opérateur Orange commencent à voir rouge. SFR dépose plainte contre lui en 2008, suivi par Bouygues Telecom, en 2010, puis par le britannique Colt, en 2014. D’après ces opérateurs, Orange a, à partir de 2003, mis en œuvre plusieurs pratiques illégales. Le n°1 français a notamment appliqué à ses clients entreprises des « prix prédateurs », c’est-à-dire des tarifs abusivement bas. Ce phénomène est bien connu : une société, généralement dominante, fixe ses prix à un niveau tel qu’elle subit des pertes ou renonce à des profits à court terme dans le but d’évincer ou de discipliner un ou plusieurs concurrents, ou encore de rendre plus difficile l’entrée de futurs compétiteurs sur le marché, afin ultérieurement de remonter ses prix pour récupérer ses pertes.

La sanction : Le 17 décembre, l’Autorité de la concurrence condamne Orange à une amende de 350 millions d’euros. C’est la sanction la plus sévère jamais prononcée à l’encontre d’un acteur des télécoms. D’après le gendarme de la concurrence, les pratiques d’Orange « ont constitué des obstacles significatifs et cumulatifs au changement d’opérateur et ont contribué à rigidifier un marché qui présentait déjà une fluidité réduite en raison de la réticence des entreprises à changer d’opérateur compte tenu de la complexité des processus de migration ».
Très cher affranchissement

Les faits : Entre septembre 2004 et septembre 2010, plusieurs entreprises de messageries se concertent sur les hausses tarifaires annuelles qu’elles demandent à leurs clients respectifs – industriels, commerces de gros, acteurs de la vente à distance et du e-commerce. Ces échanges se tiennent lors de réunions organisées par un syndicat professionnel (TLF) et prennent la forme de tours de table au cours desquels chaque entreprise exprime devant ses concurrents ses projets de revalorisations tarifaires ou la façon dont les négociations se déroulent avec les clients. Ces discussions sont secrètes : les échanges sont prévus à l’ordre du jour sous le titre « conjoncture » pour ne pas attirer l’attention. En outre, pour ne pas avoir respecté l’annonce qu’elle avait faite, une entreprise, Mory, a été menacée d’exclusion de l’organisation TLF. Et, à titre d’exemple, lors des négociations commerciales 2006-2007, la plupart des entreprises, qui envisageaient initialement une hausse tarifaire d’environ 5 %, ont, à la suite des échanges d’informations, rehaussé leurs demandes vers un niveau supérieur, autour de 7 %.

La sanction : Le 15 décembre, l ’Autorité de la concurrence condamne TLF et 20 entreprises – Alloin, BMVirolle, Chronopost, Exapaq (devenue DPD France), Ciblex, Dachser France, DHL Express France, FedEx Express France, Gefco, Geodis, GLS France, Heppner, Lambert et Valette, XP France, Norbert Dentressangle Distribution, Normatrans, Schenker-Joyau (devenue Schenker France), TNT Express France, Transports Henri Ducros, Ziegler France – à une amende globale de 672,33 millions d’euros.