Orange Bank raflera-t-elle la mise avec son offre bancaire 100% mobile?

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Source : lexpress.fr (07 novembre 2016)

Le tycoon des télécoms lance sa banque 100% mobile. Son ambition? Séduire 2 millions de Français d’ici à 2024. Il devra d’abord prouver la pertinence de son offre.

Barbe courte, petites lunettes rondes et costume gris, c’est un Stéphane Richard visiblement très soulagé qui nous reçoit dans son vaste bureau niché au dix-huitième et dernier étage du siège d’Orange, dans le sud de Paris. La veille, le président-directeur général du géant français des télécoms a appris que les gendarmes financiers français et européens lui donnaient leur feu vert pour le rachat de 65% du capital de Groupama Banque. L’opérateur fait au passage main basse sur la précieuse licence bancaire de l’assureur. Plus rien ne fait désormais obstacle au lancement, début 2017, d’Orange Bank!

L’ex-France Télécom va-t-il tenir son ambitieux pari ou prendre une sévère déculottée qui le renverra à ses chers smartphones? C’est la grande question qui agite aujourd’hui le marigot de la finance. Difficile de jouer les oracles. Ce qui est sûr, c’est que Stéphane Richard n’est pas venu pour barboter avec ses nouveaux collègues.

Selon les syndicats de l’opérateur, l’énarque rêve de séduire pas moins de 2 millions de Français d’ici à 2024 avec son offre bancaire 100% mobile. Dont 400000 rien que sur la première année. Ambitieux, voire téméraire, quand on sait qu’ING Direct, le leader de la banque en ligne, vient seulement d’atteindre le million de clients, quinze ans après son lancement. Quoi qu’il en soit, le tycoon des télécoms a réussi à mettre sous pression les géants bancaires historiques, inquiets de voir débarquer un concurrent pesant pas moins de 40 milliards d’euros de chiffre d’affaires. D’autant que ces derniers doivent également faire face à l’arrivée d’Apple, mais aussi d’une kyrielle de fintechs innovantes.

Avec Groupama Banque, il met la main sur 540000 clients

Mais les banquiers savent que, à court terme tout au moins, le plus grand danger vient d’Orange qui, en la matière, n’a rien d’un perdreau de l’année. Dès 2008, le groupe français a lancé en Côte d’Ivoire un service de transfert d’argent et de paiement mobile baptisé Orange Money, qui compte aujourd’hui pas moins de 25 millions de clients dans 16 pays africains. « Des résultats remarquables qui nous ont convaincus de nous lancer en Europe », confie Stéphane Richard.

En 2014, direction la Pologne, où l’opérateur s’associe à mBank, la troisième banque du pays, pour lancer Orange Finanse. L’application permet de payer, transférer ou retirer de l’argent et de souscrire un crédit. Un an plus tard, en partenariat avec Visa, il lance sur le marché français Orange Cash, une application de paiement sans contact sur mobile. Deux expériences gagnantes qui poussent l’opérateur à passer la vitesse supérieure. Décision est alors prise de racheter une banque en ligne. « Orange a essuyé plusieurs rebuffades avant de se reporter sur Groupama Banque, dont la motorisation est plus proche de la 4L que de la Ferrari », tacle un consultant.

Pas grave, dit-on en interne. L’important, c’était de mettre la main sur les 540000 clients, et surtout sur la précieuse licence bancaire. Car les stratèges d’Orange ont pour ambition de faire table rase du passé. L’objectif? Créer une vraie rupture, façon Free dans le mobile en 2012. « Nous voulons être significativement moins chers que les offres existantes, et afficher une transparence totale sur les frais facturés aux clients », précise Stéphane Richard. En clair, Orange devrait commercialiser des packs bancaires à un prix annuel forfaitaire qui sera, carte de paiement comprise, bien inférieur à 100 euros, le tarif moyen affiché par les banques en ligne.

Côté services, l’offre retravaillée par les petits génies du technocentre d’Orange couvrira l’épargne, le compte courant, l’assurance, le crédit à la consommation et, dans un deuxième temps, le crédit immobilier. Mais c’est bien le prêt conso qui devrait servir d’aspirateur à clients, avec des offres combinées permettant d’avoir un forfait et un smartphone dernier cri sans rien débourser ou presque. Un package malin pour attirer les jeunes adultes, cible prioritaire pour l’opérateur. Une offre qui inclura aussi les services d’Orange Cash. « Nous serons ainsi la première banque digitale à intégrer un moyen de paiement mobile sans contact », se félicite Stéphane Richard.

Une mise en orbite à coûts réduits

Si Orange est capable d’afficher des prix ultracompétitifs, c’est que la mise en orbite de sa banque se fera à coûts réduits. La campagne marketing? Bien sûr, il y aura un minimum de tambour et de trompette, mais l’opérateur compte avant tout sur ses 850 agences françaises pour jouer les rabatteurs. Surtout, il possède 28 millions de clients mobiles et 10 millions dans le fixe. Autant de prospects naturels que le n°1 des télécoms connaît sur le bout des doigts. Enfin, l’investissement dans les 140 boutiques qui accueilleront un corner Orange Bank sera minimal puisqu’il s’agit simplement d’aménager un espace de confidentialité, comme le prévoit la réglementation.

Une banque digitale qui s’appuie sur un réseau, alors que les acteurs historiques ferment leurs agences à tour de bras? La stratégie laisse perplexes les spécialistes du secteur. Stéphane Richard assume : « Nous avons fait le pari du modèle ‘phygitale’, car certains clients veulent avoir quelqu’un en face d’eux si nécessaire. »

De fait, les frais fixes minimalistes d’Orange Bank vont lui permettre d’atteindre un « coût d’acquisition client » bas, et donc d’être rentable, même avec des tarifs très agressifs. « Un avantage qui pourrait se révéler décisif, alors que ce coût est aujourd’hui si élevé que les banques n’arrivent plus à rentabiliser les clients qu’elles rentrent », explique un ancien banquier. En cause : une concurrence exacerbée entre les acteurs historiques, qui ont fait de la gestion de compte une valeur défensive face à l’effondrement des taux d’intérêt sur les crédits immobiliers.

Et ce n’est qu’un début. A partir de février prochain, la loi Macron permettra de changer de banque beaucoup plus facilement. Toutes les procédures seront automatisées et prises en charge par les banquiers. « Il va y avoir du sang sur les murs », prévoit déjà un bon connaisseur du secteur. D’autant qu’il se murmure qu’Orange Bank pourrait justement se lancer en février!

Une diversification globalement soutenue par les salariés, qui espère que cela fera ralentir le rythme des fermetures d’agences. Chez les syndicalistes, le discours est moins lisse. « Les agents auront une mission de rabatteur auprès des clients télécoms, ce qui va alourdir la charge de travail », s’inquiète Thierry Franchi, délégué général de la branche activités postales et télécommunications de la CGT. « Et les salariés ont déjà fait beaucoup d’efforts ces dernières années; il faudrait qu’à un moment il y ait une reconnaissance salariale », renchérit Laurent Riche, délégué CFDT chez Orange. Stéphane Richard va devoir jouer serré pour ne pas se voir opposer une résistance passive toujours efficace ou, pire, un débrayage qui ferait tache pour une offre censée révolutionner la banque!

L’avenir de la banque mobile s’écrit en Afrique

Si Stéphane Richard parvient à imposer Orange Bank en Europe, il pourra chaleureusement remercier ses équipes africaines. C’est en effet en Côte d’Ivoire qu’est né Orange Money. Celui-ci a ouvert la voie à la banque mobile que le PDG lancera au premier semestre 2017. Un service lui-même déjà largement copié sur le dispositif inauguré par l’opérateur télécoms kényan Safaricom, au début des années 2000.

Car, on le sait peu, mais l’Afrique est le continent le plus en pointe dans le domaine de la banque et du paiement mobile. Etonnant? Pas tant que ça. « Dans certains pays d’Afrique, 80% de la population n’ont pas de compte; en revanche, le taux d’équipement en téléphones est très élevé. Les gens sont donc tout simplement en train de sauter une étape », résume Stéphane Richard.

En 2016, les services financiers africains d’Orange, distribués par 120000 vendeurs (petits commerçants, kiosques dédiés…), dégageront ainsi un chiffre d’affaires de 110 millions d’euros. « Ce n’est plus l’épaisseur du trait », souligne le patron d’Orange. L’objectif est de doubler ce résultat dans les toutes prochaines années. Ce qui n’a rien de farfelu, quand on sait que l’opérateur a décroché, en 2016, l’agrément bancaire dans cinq pays d’Afrique (Côte d’Ivoire, Guinée, Mali…), lui permettant notamment d’accélérer sur les microcrédits, son autre cheval de bataille avec les paiements mobiles.

Du paiement dématérialisé à l’e-commerce, il n’y a qu’un pas que l’ex-France Télécom vient de faire en investissant 75 millions d’euros dans Jumia, la plus grande plate-forme de commerce en ligne du continent. Amazon est en effet encore presque absent du continent africain. Est-ce à dire que le champion français va venir challenger le mastodonte américain en Europe? « Il y a peu de chances, la concurrence est beaucoup trop forte », répond, laconique, le PDG d’Orange.