Orange face à la fracture numérique

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Source : Extrait de lesechos.fr (28 novembre 2016)

L’accord sur l’accompagnement de la transformation numérique d’Orange reconnaît le bouleversement de l’organisation du travail. Mais ne définit pas les nouveaux droits et devoirs des salariés.

Le premier accord digital de la plus grande entreprise « numérique » française était attendu à plusieurs titres. En initiant cette négociation, le précédent DRH d’Orange, Bruno Mettling – auteur du rapport ministériel sur la transformation numérique -, avait placé la barre assez haut. L’inventeur du « devoir de déconnexion » laissait espérer que, sur ces sujets, Orange avancerait des réponses
…/…Enfin, l’accord, signé le mois dernier par la CFDT, la CGT et FO aborde tant de problématiques neuves qu’il pourrait bien faire jurisprudence, même si sa lecture démontre que les règles de l’entreprise numérique restent à inventer. « L’accord, effectivement, ne raconte pas la fin de l’histoire. Il reconnaît que le digital transforme la relation au travail et recèle des opportunités pour les salariés d’Orange telles que le travail à distance, tout en égrenant les défis à relever », admet le DRH, Jérôme Barré.
…/…Dans un groupe dont la moitié des salariés ont dépassé 45 ans, le maintien dans l’emploi des seniors a constitué l’un des points d’achoppement en mai dernier. « L’accord n’oblige pas l’usage. Il reconnaît aux plus de 50 ans le droit d’être largués par les nouveaux outils, et de ne pas avoir d’appétence pour les outils digitaux, ni envers le réseau social », rassure Jérôme Barré. Une allusion aux dispositions de la première version de l’accord, qui entendait placer le réseau social interne Plazza au centre de la palette managériale.

Volontariat pour s’autodiagnostiquer

« Bien que les usages du réseau décollent avec 40.000 salariés actifs (sur 105.000), son usage ne sera pas imposé et son taux d’utilisation ne sera pas évalué », confirme même Jérôme Barré, qui insiste tout de même sur les risques d’exclusion des salariés de ces nouveaux modes de travail. En guise de solution, Orange propose un « autodiagnostic » : « Chacun pourra autoévaluer ses compétences numériques selon un socle commun de connaissances mis à jour régulièrement, et admettre que, bons professionnels, ils ne sont pas forcément digitaux », explique Jérôme Barré. Les résultats des tests ne seront pas communiqués au management ni à la direction des ressources humaines, une manière de rassurer les notés « insuffisants ». Sur la base du volontariat, chaque salarié passera le test, et en tirera les leçons en termes d’employabilité : viser une promotion ou demander une action de formation. « Le principe est de sortir de la logique d’entretien annuel pour aborder le sujet de la formation régulièrement avec son manager et ses pairs », poursuit le dirigeant. Si le laps de temps laissé pour rattraper le retard numérique n’est pas défini, la DRH confesse toutefois un objectif : 80.000 salariés actifs sur Plazza d’ici à 2020 – soit le double par rapport à 2016…

Autre point central de l’accord, la surconnexion, inhérente au smartphone maison. Là aussi, le texte reconnaît le droit intangible à la déconnexion, en dehors des heures de travail, selon les termes inscrits dans la loi travail, sans toutefois aborder la question du temps de travail effectué hors de l’entreprise, pourtant soulevée dans le rapport Mettling. L’accord s’en tient à des recommandations « de bon sens » : se déconnecter durant les réunions, fermer sa boîte mail durant les périodes de repos (quotidien, hebdomadaire, annuel), utiliser les fonctions d’envoi différé, etc. L’hypothèse de la fermeture des serveurs à 20 heures n’a pas été retenue « car, en cas d’attentat, les collaborateurs doivent pouvoir être joints 24 heures sur 24. »

Aucun seuil de « saturation »

Ces droits, qui ne sont pas des « devoirs », ne sont assortis d’aucun interdit pour le management, y compris dans le cadre du travail à distance. Seules directives : diffuser cette charte d’usage de la messagerie lors de réunions d’équipe et faire montre d’exemplarité. Orange s’engage, en revanche, à travailler sur le « besoin de connexion permanente » et à prévenir les risques associés aux outils de communication : « Tout collaborateur pourra demander un bilan de son utilisation des outils (mails, SMS, messagerie instantanée, etc.) et tout manager pourra demander un bilan collectif pour son équipe », annonce Jérôme Barré. Initiative intéressante si ce n’est que l’accord ne mentionne aucun seuil de « saturation » et d’ « infobésité » infranchissable.

Troisième pilier de l’accord, la protection des données personnelles, un sujet aigu dans une entreprise où la convergence entre smartphone personnel et professionnel est la règle…. Conformément aux obligations définies par la CNIL, l’accord rappelle les droits des salariés (respect de la vie privée, droit à l’oubli, de rectification, etc.), « et garantit la non-utilisation de ces données à des fins de contrôle ou d’évaluation des salariés » sans mentionner une procédure d’information relative au traitement des données. Le DRH annonce en revanche un projet de charte d’utilisation des données recueillies « à finaliser avec les équipes ».

Sur ce sujet comme sur d’autres (gestion des salariés à distance, transformation du pilotage, etc.), le pouvoir est laissé aux managers qui seront formés d’ici à 2018 aux modes de travail collaboratif. A charge pour eux de s’adapter avec le risque de se retrouver « en situation de tension », selon les termes du rapport Mettling.

Dans la dernière ligne droite des négociations, les syndicats ont obtenu la création d’un Conseil national du numérique regroupant membres de la direction et partenaires sociaux afin d’étudier les impacts du numérique sur la productivité et l’organisation. « Nombre de risques ne sont pas encore appréhendés », reconnaît Jérôme Barré qui vante toutefois le « cadre protecteur » de l’accord.