Le mal-être psychologique au travail : un fléau social et sanitaire

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Source : e-rse.net (06 décembre 2016)

Nos sociétés et nos entreprises sont-elles vouées à créer du mal-être chez leurs salariés ? Combien tout cela coûte à la société ? Et si un autre modèle était possible ?

Depuis quelques années, les questions du bien-être au travail, de la gestion du stress, du bonheur en entreprise sont devenues des problématiques fondamentales à la fois pour les salariés, leur hiérarchie et le management, les ressources humaines mais aussi les acteurs publics et la société en général. On parle de plus en plus d’épanouissement au travail, des questions liées au mal-être psychologique, au stress, qui porte plusieurs noms selon les formes qu’il prend : burn-out, bore-out ou encore brown-out…

Ainsi, nos sociétés, bien qu’elles s’enorgueillissent souvent de la “valeur du travail” ne proposent encore qu’un modèle social où le travail rime avec stress, angoisse, mal-être… Alors comment peut-on expliquer cette dissonance ? Pourquoi ces questions sont-elles pourtant fondamentales ? Et combien cela coûte-il à la société, aux entreprises et aux salariés ? Enquête.

Mal-être psychologique au travail : un modèle social et professionnel déséquilibré ?

journees plus courtes horaires productivitePlusieurs raisons expliquent le développement du phénomène de mal-être au travail : d’abord, par rapport aux années 1970, nous sommes passés à une économie beaucoup plus incertaine. La crise économique et financière, la montée du chômage, la précarisation du travail rend l’emploi plus difficile psychologiquement. La société de la consommation et du salariat a failli à ses promesses d’épanouissement économique et d’augmentation du pouvoir d’achat pour nombre de citoyens. Ainsi, aujourd’hui l’insécurité économique et les difficultés financières et monétaires affectent beaucoup de français d’après l’étude Qualité de vie et Bien-être de l’INSEE, et selon une étude DARES, 24% des salariés déclarent s’inquiéter de perdre leur emploi…

Ensuite, la transition généralisée vers des métiers du tertiaire (et avec elle le passage à des métiers moins dangereux et pénibles physiquement) amène à se poser de nouvelles questions. Aujourd’hui on ne parle plus autant d’ergonomie, de pénibilité physique et de sécurité au travail, mais plus de bonheur au travail, de bien-être, de stress. Les aspects mentaux et psychologiques deviennent, au fur et à mesure que se fait la transition vers des métiers moins physiques, les principaux enjeux pour les salariés.

D’autre part, le monde du travail se transforme et d’une certaine façon, la pression sur les salariés augmente. Les salariés sont de plus en plus souvent des cadres, des salariés ayant une certaine autonomie de travail mais aussi des responsabilités plus fortes. En 1990, seuls 10% de la population étaient des cadres (2,3 millions de personnes), aujourd’hui ils sont 18% (5.2 millions de personnes). Dans ces emplois, on attend des salariés qu’ils soient plus proactifs que jamais, qu’ils prennent des risques, qu’ils s’engagent sur des objectifs et qu’ils ne comptent plus leurs heures. Le management, lui aussi a changé : puisqu’on cherche la performance et l’efficience, il faut des indicateurs, un contrôle, un regard permanent de la hiérarchie, facilité par la généralisation des outils numériques qui connectent les salariés en permanence avec leur travail.

Ainsi, toujours d’après la DARES, un employé sur deux travaille dans l’urgence, et 35 % des travailleurs reçoivent des ordres ou indications contradictoires dans le cadre de leur travail. Près d’un tiers des salariés considèrent leurs relations de travail comme étant des sources de tension. 64% des salariés (74% des cadres) déclarent devoir s’interrompre régulièrement pour effectuer des tâches imprévues dans leur travail, ils sont 30% à estimer qu’ils n’ont pas l’autonomie nécessaire pour régler eux-mêmes les incidents et blocages dans le cadre de leur travail.

Et il faudrait encore ajouter à cela la multiplication du travail indépendant, poussé par l’uberisation du travail, et qui porte en lui de nouvelles contraintes et de nouvelles sources de stress.

Mal-être psychologique au travail : quand le travail déshumanise

stress mal etre psychologique travailEn plus de ces facteurs organisationnels, beaucoup de salariés notent que le monde du travail aujourd’hui manque d’humanité et de réels liens humains. Plus d’un tiers (36%) des actifs déclarent ainsi qu’ils manquent du soutien ou de la coopération de leurs collaborateurs (ou hiérarchie) et qu’ils n’ont pas l’impression de faire vraiment partie d’une équipe. 27% estiment également qu’ils manquent de reconnaissance au travail au quotidien. Dans la marrée des indicateurs de performance, des reportings, des e-mails et des jargons techniques, la notion de “relation humaine” au travail semble se déliter au profit d’une notion toute capitaliste de “ressource humaine”. Et pourtant elle est le facteur numéro 1 du bien-être et de la bonne ambiance au travail !

Mais ce n’est pas tout : il semble que le monde professionnel soit déconnecté des dimensions émotionnelles : 31% des actifs déclarent être obligés de cacher leurs émotions et de “faire semblant” au travail. Ils sont aussi 18% à devoir “éviter de donner leur avis” dans le cadre professionnel. Le travail manque de sens : on ne compte plus la multiplication des témoignages sur les brown-out ou les bore-out, ces métiers où l’on s’ennuie, où l’on ne construit rien, où l’on ne fait rien d’essentiel. Résultats, moins d’un salarié sur deux (44%) estime que son travail est un moyen de s’épanouir dans la vie. Près d’un salarié sur 10 déclare qu’il doit effectuer au quotidien des tâches qui sont contraires à ses valeurs !

Dans ces conditions, difficile d’imaginer que les salariés puissent s’épanouir dans leur travail, dans leurs relations de travail.

Le coût social et économique du mal-être au travail

mal etre psychologique au travailEt ce mal-être psychologique, contrairement à ce que l’on pourrait penser, est loin d’être un problème anodin. Il coûte même très cher ! Une étude menée par Gabriel et Liimatainen en 2000 a mis en évidence que les problèmes de santé notamment psychologiques, engloutissent 3 % à 4 % du PIB au niveau européen. En France, d’après l’INRS, le stress et le mal-être psychologique représenteraient près de 1,6 milliards d’euros de dépense pour la sécurité sociale, soit près d’un cinquième de toutes les dépenses de la branche “Accidents du Travail et Maladie Professionnelles” de la sécu ! Le stress professionnel représenterait au total plus de 60 % des journées de travail perdues au niveau de l’Union européenne.

Absentéisme, baisse de la productivité, baisse de l’attention et de la motivation, mais aussi diminution de l’intégration des équipes et de l’engagement des salariés : le stress au travail peut avoir des conséquences importantes sur les entreprises et sur leur performance. Les conséquences du stress peuvent aussi aller plus loin et affecter la santé physique des salariés et leur capacité à faire correctement leur travail.

Pourtant, le stress des salariés est encore trop négligé par les entreprises ! Peu d’entreprises ont réellement mis en place une vraie stratégie de bien-être au travail permettant à leurs salariés de décompresser vraiment. Et il ne s’agit pas juste d’installer un babyfoot dans les locaux : agir sur le stress de ses salariés, c’est avant tout dialoguer avec eux et être à l’écoute de leurs attentes. Il peut s’agir par exemple de mettre en place le télétravail qui permet d’être plus responsables et flexibles, des horaires plus flexibles et moins longs permettant aux salariés d’être plus productifs et de mieux gérer leur équilibre vie privée / vie professionnelle, faire en sorte d’appliquer le droit à la déconnexion, ou encore de mettre en place des outils comme la marche au travail.

Mais il s’agit avant tout de changer de modèle, de proposer un management différent, bienveillant, qui se focalise sur l’épanouissement en général, et de se placer dans un paradigme global de responsabilité de l’entreprise.

Reste à savoir quand les entreprises prendront en compte cette dimension, dont le coût est parfois difficile à saisir, et quand elles se décideront enfin à voir dans leurs salariés plus que des “ressources” humaines dédiées à la production.