Prud’hommes : déjà les premiers effets pervers à la suite des ordonnances

Revue de Presse

Les salariés tentent de contourner le plafonnement des indemnités en cas de licenciement abusif.

Il fallait s’y attendre… Depuis fin septembre et la publication des ordonnances réformant le Code du travail, les dommages et intérêts que les salariés peuvent réclamer en cas de licenciement abusif aux prud’hommes sont plafonnés. Et, déjà, la mesure pèse dans les discussions entre parties adverses. « On l’observe dans les cas que nous suivons. Durant la phase de négociation précontentieuse, les avocats des salariés essaient davantage d’aller sur le terrain du harcèlement moral et de la discrimination», témoigne Pascal Lagoutte, avocat associé chez Capstan Avocats.

De quoi mettre à mal l’objectif affiché du gouvernement, qui était de donner de la prévisibilité aux entreprises sur le coût des licenciements, voire de « sécuriser» les relations de travail? Certes, il est encore trop tôt pour mesurer l’impact réel de ce plafonnement sur les affaires déposées aux conseils de prud’hommes depuis l’entrée en vigueur des ordonnances, fin septembre. Les premières plaidoiries se tiendront l’an prochain.

« Nous n’avons plus aucune marge de manœuvre avec les plafonds»

Nathalie Maire, avocat associé chez NMCG

Mais, pour bon nombre de spécialistes du droit, nul doute que les salariés vont multiplier les stratégies de contournement en vue d’obtenir des indemnités plus importantes. « C’est une évidence», confirme Frédéric Sicard, le bâtonnier de l’ordre des avocats à la cour de Paris, pour qui les ordonnances vont plus « complexifier le droit que le simplifier».

Une « évidence» qui s’observe d’ailleurs déjà sur le terrain, lors des négociations d’une rupture de contrat entre salariés et employeurs en amont (phase précontentieuse) pour éviter d’aller devant les prud’hommes. Les conseils des deux parties se sont mis en ordre de bataille. Du côté des patrons, on insiste : « Le barème impératif constitue un levier de négociation avec les avocats de salariés, qui demandent toujours plus, constate Olivier Vasset, avocat associé chez Baker & McKenzie. Le plafond indicatif qui existait déjà avant les ordonnances n’était pas un argument solide.» Par exemple, si un salarié ayant trente ans d’ancienneté se fait licencier de façon abusive et veut obtenir 36 mois de dommages et intérêts pour ce préjudice, ce ne sera plus négociable avec l’employeur puisque le plafond légal a été fixé à 20 mois de salaire brut. Et pas plus.

Contourner les barèmes

Sauf que les avocats de salariés n’ont pas l’intention de se laisser faire. « Nous n’avons plus aucune marge de manœuvre avec les plafonds, explique Nathalie Maire, avocat associé chez NMCG, qui défend tant les employeurs que les salariés. Par conséquent, on gratte aujourd’hui encore plus tout ce qu’on peut trouver pour contourner les barèmes qui facilitent la vie des employeurs. Ça devient l’objectif principal.»

Radicale, une première stratégie consiste à faire annuler le licenciement pour cause de harcèlement, de discrimination ou encore pour violation des libertés fondamentales (comme, par exemple, la liberté d’expression). Des cas pour lesquels le barème ne s’applique pas. « La tentation est plus forte chez les salariés de jouer sur ce terrain de la nullité du licenciement en vue d’essayer de récupérer une pleine indemnisation», observe ainsi Jean Martinez, avocat membre d’AvoSial qui représente les avocats d’entreprise. Et pas seulement. « Dans les affaires que je suis actuellement, je commence à recevoir beaucoup de menaces de la part des salariés d’aller devant la justice pénale pour harcèlement moral», soutient par ailleurs sa consœur Isabelle Mathieu, de Deampartners, qui défend les employeurs.

« Il a toujours été très difficile d’obtenir gain de cause pour un salarié qui veut invoquer le harcèlement moral, et ça ne devrait pas changer»

Nathalie Maire, avocat associé chez NMCG

Toutefois, rien n’est garanti pour les salariés. Bon nombre d’experts insistent sur le fait que l’argumentaire doit être solide. « Il a toujours été très difficile d’obtenir gain de cause pour un salarié qui veut invoquer le harcèlement moral, et ça ne devrait pas changer», insiste Nathalie Maire, qui préfère jouer sur d’autres terrains. Par exemple, « on regarde comment on peut faire sauter une convention de forfait jour. Les heures supplémentaires, ça coûte cher», précise encore l’avocate.

Autre stratégie à l’œuvre : les avocats défendant les salariés devraient davantage invoquer des motifs de préjudices distincts du licenciement abusif pour obtenir des indemnités supplémentaires. C’était déjà le cas avant les ordonnances. Mais aujourd’hui, « nous avons encore plus intérêt à détailler et justifier les motifs de préjudices pour accroître les chances d’obtenir des indemnités significatives», explique l’avocat Arnaud Olivier, du cabinet du même nom, qui défend les salariés. À commencer par le préjudice moral. Il était bien souvent compris dans les dommages et intérêts perçus au titre du licenciement abusif. Désormais, il devrait être réclamé distinctement.

Anxiété, brutalité du licenciement, exécution déloyale d’un contrat durant la période d’exercice… le champ des possibles est vaste et peut aller jusqu’à demander une indemnisation pour cause de divorce à la suite de la rupture du contrat – ce qui n’est guère accepté par le juge, précise toutefois un expert. « Je reste toutefois inquiet, car le juge a un large pouvoir d’appréciation, et, depuis 2016, la jurisprudence est bien plus sévère, avec la possibilité d’indemnisation nulle malgré une faute avérée», estime encore Arnaud Olivier.

Source : lefigaro.fr (08 décembre 2017)