Comment Orange Bank compte imposer son modèle de néobanque

Revue de Presse

Source : l.usine-digitale.fr (27 février 2019)

Analyse Si Orange Bank essuie 169 millions d’euros de pertes en 2018, la néobanque ne relâche pas les efforts pour s’imposer en tant que banque mobile et digitale. Rencontré en marge du MWC 2019, Paul de Leusse nommé en juin 2018, détaille sa stratégie de développement. Mais cela sera-t-il suffisant ?

248 000 comptes ouverts à fin 2018, sur un objectif de 400 000. Si les résultats d’Orange Bank sont en-deçà des prévisions, Paul de Leusse, directeur général de la banque mobile, est cependant positif. ‘En un an, c’est une bonne performance parce que toutes les autres néobanques (Revolut, N26.., ndlr) sont toujours à 100 000 comptes max’, a-t-il indiqué le 26 février 2019 en marge du Mobile World Congress de Barcelone.

 

Les boutiques Orange, un vrai levier de recrutement

Ces chiffres supérieurs, Paul de Leusse les explique par un recrutement à la fois digital et physique  : ‘Aujourd’hui, le recrutement digital représente 30 à 40% de nos ouvertures de comptes. Le reste est fait en boutique Orange. Les autres néobanques ne l’ont pas, ce qui fait qu’on a pu démarrer très vite avec un nombre de comptes très satisfaisant.’

Ce deuxième canal permet également Orange Bank de cibler un autre profil de clientèle  : ‘Sur le canal digital, on recrute un profil assez orienté techno et assez jeune. Sur le canal physique, on recrute des gens qui sont beaucoup plus représentatifs de la France entière. C’est intéressant car cela correspond aux valeurs d’Orange de démocratiser l’innovation  : on touche des gens qui ne seraient pas allés spontanément vers les néobanques’. Et d’ajouter  : ‘Quand les néobanques auront capté tout le fichier ‘pool’ des gens intéressés par la banque digitale et que ce fichier ne croîtra qu’à la vitesse de la démographie, nous continuerons à avoir ce fichier de l’ensemble de la population française.’

 

Malgré tout, l’activité bancaire d’Orange accuse une perte d’exploitation de 169 millions d’euros en 2018. Des résultats que Paul de Leusse explique par les coûts d’acquisition client, l’investissement informatique, dont 35 à 40 millions d’euros dépensés pour digitaliser l’informatique (notamment lié au rapprochement avec Groupama) ; et un service essentiellement basé sur du paiement et des offres gratuites. Pour développer cette activité, le groupe est toutefois encore prêt à perdre 600 millions d’euros d’ici à 2023.

 

Lancement d’une offre de financement sec, basée sur la donnée client

Mise à jour de l’app Orange Bank

L’appli a également été mise à jour dans la nuit du 25 au 26 février 2019, avec de nouvelles fonctionnalités, comme :

• La catégorisation des dépenses

• Le téléchargement du compte par carte et non plus simplement par virement

• Le virement instantané par SMS

• La demande de virement à un particulier

• La gestion des paramètres de carte : blocage de la carte, demande d’opposition, modification des plafonds

• Icône permettant de lancer le chabot Djingo

Pour asseoir son positionnement et prendre des parts de marché, Orange Bank lance donc de nouveaux services. Au-delà d’une mise à jour importante de l’application mobile dans la nuit du 25 au 26 février 2019 (lire encadré ci-contre), la banque mobile annonce une offre de financement sec cet été 2019. ‘Vous aurez la possibilité de prendre un crédit Orange Bank quand bien même vous n’aurez pas de compte Orange Bank, soit un crédit sec, soit pour un matériel que vous trouvez dans une boutique Orange’, explique Paul de Leusse.

Pour cela, Orange Bank s’appuie sur la donnée des clients Orange. ‘Aucune néobanque ne propose du financement sec parce que c’est très risqué. On a un avantage que j’avais sous-estimé en rejoignant Orange, c’est la donnée Orange’, ajoute-t-il. Autrement dit, un client Orange prêt à partager ses données de télécommunication (telco) à Orange Bank pourra se voir accorder un crédit, selon différents critères comportementaux. ‘On ne regardera pas sa facture. Sur la base de son comportement telco, on sera capable d’extraire les 30% de clients Orange qui font 80% des mauvais risques, détaille le directeur général. Quand bien même, on ne connait pas le client, on sera capable de dire si on peut lui prêter ou pas’.

Orange Bank a bâti un score basé sur l’historique des comportements crédit observé chez les clients ayant souscrit des crédits avec Orange et ce comportement ‘telco’. Une dizaine de critères ont ainsi été définis. Mais Paul de Leusse reste secret quant à la liste  : ‘C’est ma petite recette. Je ne la dévoile pas’, plaisante-t-il.  Quant aux ‘non clients’ Orange, ils pourront également se voir accorder un crédit par Orange Bank, mais devront alors fournir les pièces justificatives classiques (revenus…). Avec cette nouvelle offre, Orange Bank mise évidemment implicitement sur la conversion de ces souscripteurs de crédit en nouveaux comptes.

 

Une carte de crédit premium

 

 

Autre nouveauté  : le lancement d’une carte premium, actuellement en test auprès de 300 clients. Disponible au tarif de 7,99 € par mois, cette carte Visa Premier Orange aura tous les avantages d’une carte Premier bancaire (assurance, plafonds…) auxquels s’ajouteront trois autres avantages  : le code CVV dynamique à l’arrière de la carte, qui change toutes les heures ; la gratuité des frais à l’étranger ; et des avantages Orange sur le principe d’une carte de fidélité. ‘Plus vous utiliserez votre carte Premium, plus vous aurez des avantages Orange, des promos régulières… On mettra du contenu Orange dans la carte’, précise Paul de Leusse au sujet du dernier avantage.

Orange mise sur cette carte pour activer encore davantage sa base de clientèle. ‘On a déjà une base assez active. Les 30 % des clients les plus actifs font 25 opérations (principalement du paiement et un peu d’alimentation, ndlr) par mois, soit 6 à 7 par semaine’, se félicite Paul de Leusse, se comparant aux autres néobanques dont 30% des clients les plus actifs réalisent une à deux opérations par semaine.

Djingo, un coach digital bancaire plus proactif

Toujours dans la feuille de route 2019, Orange Bank compte ‘booster’ son intelligence artificielle  : ‘On utilise Djingo, qui est un moteur d’intelligence artificielle (développé par Watson d’IBM, ndlr) qui répond aux questions de nos clients. Aujourd’hui, Djingo est réactif, demain il sera proactif’. Autrement dit, en fonction du rythme et du niveau de dépenses d’un client, Djingo sera capable d’anticiper un éventuel découvert et d’envoyer des alertes. Il sera également capable de proposer des produits bancaires.

Aujourd’hui si Djingo comprend 85 % des demandes, il ne répond qu’à une question sur deux. Objectif donc  : l’entrainer pour augmenter le taux de réponse  : ‘Il apprend régulièrement’, assure Paul de Leusse.

 

Un déploiement à l’international

L’autre grand projet 2019 porte sur le déploiement à l’international. Cela va se matérialiser par le lancement d’Orange Bank en Espagne au quatrième trimestre, ‘sur une offre très simple de paiement et de crédit conso’. Mais avant cela, Orange va également déployer son activité bancaire en Roumanie. Il s’agira d’un service léger, actuellement en cours de test.

Des lancements sont également prévus en Côte d’Ivoire, au Sénégal puis au Mali et au Burkina Faso. ‘On a demandé une licence à la Banque centrale pour cross-seller les 42 millions de clients Orange Money en Afrique à qui on proposera des crédits très légers très courts’. Car sur ce volet international, Orange Bank déploie trois modèles selon les taux de bancarisation des pays (lire encadré ci-dessous).

 

3 modèles Orange Bank, selon les pays

Dans le cadre de sa stratégie de déploiement à l’international, Orange Bank adapte son offre selon trois typologies de pays :

•  Pays où près de 100 % des clients sont bancarisés : Orange Bank lance une offre de banque complète. C’est le modèle dit ‘Europe de l’Ouest’ déployé en France et en Espagne qui sera dupliqué plus tard en Slovaquie, en Belgique et en Pologne.

•  Pays où le taux de bancarisation se situe entre 50 et 80 % : lancement d’une offre de transfert d’argent, de paiement et de crédit conso (probablement pas de collecte de dépôt). Cela concerne notamment les pays d’Europe de l’Est (Roumanie, Moldavie…) et le Maghreb.

•  Pays avec des taux de bancarisation de 10 à 20% : lancement d’un service de micro-crédit et de micro-épargne lié à Orange Money. Cela concerne l’Afrique subsaharienne et plus précisément la zone CFA Ouest.

 

Une concurrence accrue

Tout cela suffira-t-il pour atteindre l’objectif des 2 millions de clients à 10 ans annoncés au lancement d’Orange Bank ? ‘Le modèle de banque digitale qu’on invente est radicalement nouveau. Quand je suis arrivé en juin 2018, on ouvrait un peu moins de 10 000 comptes par mois. On a connu des pics de 30 à 40 000 comptes en novembre et décembre. On est encore en train de rôder le modèle. Je ne veux pas m’enfermer dans des objectifs. Il faut qu’ils soient évolutifs’. Orange Bank pourrait aussi compter sur la base de clientèle acquise via son alliance avec Groupama : ‘Ce qui nous intéressent, ce sont les clients vraiment actifs, qui sont autour de 100 000 (…) On veut s’assurer que le produit leur convient bien’, exprime Paul de Leusse. Pour s’en convaincre, un test est actuellement mené dans trois banques régionales de Groupama.

 

Car au-delà des autres néobanques, la banque mobile d’Orange devra également composer avec les banques traditionnelles qui déploient des offres offensives. Comme le Crédit Agricole avec Eko, la Banque Postale qui prévoit le lancement de sa banque en ligne d’ici à l’été 2019, ou la Société Générale qui travaille aussi sur un service similaire. Or, ces banques disposent elles aussi d’un réseau physique… Contacté par L’Usine Digitale, Bertrand Corbeau, DGA du Groupe Crédit Agricole, est d’ailleurs très enthousiaste : ‘Le bilan d’Eko est très positif. Nous sommes parfaitement en phase avec nos objectifs’.

Au total, près de 80 000 clients ont ouvert un compte Eko depuis le lancement fin 2017, soit 8% des ouvertures de comptes. Et même si les chiffres sont moins importants que ceux d’Orange Bank, Bertrand Corbeau se montre serein  : ‘Eko n’est pas une offre de banque digitale mais une offre entrée de gamme d’une banque complète… Si on doit comparer les entrées en relation avec les Caisses régionales, il faut parler d’1,3 million de nouveaux clients… (250 000 en net) avec un taux de pénétration également en progression, à 26,5%. Cela confirme le maintien intact de notre attractivité de banque universelle, et notamment l’importance du lien humain dans la relation et notre capacité à offrir des services digitaux aussi performants que des nouveaux acteurs.’ CQFD ? Une chose est certaine, la bataille s’intensifie…