Burn-out : le florissant business du stress

Revue de Presse

Source : capital.fr (13 mars 2019)

Phénomène de mode ou mal réel ? Depuis quelques années, l’angoisse au boulot et le burn-out frappent de plus en plus de travailleurs. Du coup, les guérisseurs se frottent les mains.

Vous vous sentez noyé par la montagne de dossiers qui s’accumulent sur votre bureau ? Vous ne comptez plus les heures passées à travailler ? Votre petit surnom, c’est « Stakhanov» et vous êtes à deux doigts du burn-out ? Florence Parot a la solution parfaite pour vous ! Cette sophrologue, qui a elle-même été victime de ce syndrome d’épuisement professionnel quand elle était plus jeune, vient d’ouvrir la Bulle de repos à Aubusson, dans la Creuse. Au programme pour un séjour de cinq jours en pension complète à 1.579 euros : séances de sophrologie, atelier créatif, soins personnalisés et accès à un spa. « J’ai eu cette idée grâce à mes clients : beaucoup cherchaient un lieu pour recharger leurs batteries et n’en trouvaient pas, explique la thérapeute. Mais bonne nouvelle pour eux : « Des centres comme le nôtre sont en train de pousser un peu partout comme des champignons !»

Rassurons Florence Parot et ses concurrents : vu le nombre de personnes qui se disent stressées, ils ne risquent pas de manquer de clientèle. Une récente étude de la Cegos, un organisme de formation professionnelle, estime ainsi que 53% des salariés et 65% des managers sont régulièrement stressés. Quant au burn-out, plus de 3 millions de Français n’en seraient pas loin, selon le cabinet Technologia. Une épidémie qui a conduit l’OMS (Organisation mondiale de la santé) à qualifier le stress de « fléau du monde occidental». Et il y a peu de chances de voir cette tendance s’inverser d’elle-même. « En huit ans d’activité, j’ai vu une dégradation de la situation : les gens sont de plus en plus stressés à cause des tensions grandissantes dans le monde de l’entreprise et de la fragilisation des cellules familiales», observe Gilles Payet, sophrologue et coach. « De plus, la plupart des médecins ne sont pas assez bien formés pour soigner ce mal : ils se contentent de prescrire des antidépresseurs, ce qui ne règle pas du tout le problème», soupire le docteur Pierre Setbon, cardiologue et spécialiste de la question (voir son interview vidéo ci-dessus).

Livre, yoga, sophrologie…un business en plein boom

Une « épidémie» qui n’est pas sans conséquence : entre les pathologies, l’absentéisme et les décès prématurés qu’il favorise, le stress nous coûterait, selon des calculs réalisés par l’INRS (Institut national de recherche et de sécurité), entre 2 et 3 milliards chaque année ! Cela dit, tout le monde n’est pas perdant dans cette histoire… Et pas seulement les petits malins qui utilisent cet argument pour obtenir un arrêt maladie (lire ci-contre). Grâce à cette demande exponentielle, à laquelle il faut rajouter l’engouement actuel pour le bien-être (dont le marché a crû de 6,4% entre 2015 et 2017 au niveau mondial), le développement personnel et la quête frénétique du bonheur, le business de l’antistress est en effet en plein boom, et il n’est plus l’apanage d’une poignée de hippies ou d’adeptes du New Age.

Il suffit d’arpenter les rayonnages des librairies pour voir des étudiants feuilleter des ouvrages sur la gestion du stress, ou la partie Détente des magasins Nature et Découvertes pour observer des cadres en goguette tester des coussins massants. Des cours de yoga font le plein aux quatre coins de la France, tandis que des cabinets de relaxologues, sophrologues et autres spécialistes des « médecines non conventionnelles», s’ouvrent à tour de bras. « Entre 2009 et 2017, notre nombre d’adhérents a triplé», constate ainsi Muriel Bruneval, présidente de la FFMBE (Fédération française de massages-bien-être). Les multiples salons dédiés au « zen» attirent aussi les foules. L’édition 2018 du Salon du bien-être à Paris a ainsi été visitée par plus de 38 000 personnes, soit une hausse de 15% par rapport à l’année précédente ! La médiatisation du burn-out a également ouvert de nouvelles opportunités de business : des cliniques proposent des parcours spécifiques pour les personnes touchées par cet excès de stress professionnel, des thalassos promettent de nous éviter cet enfer grâce à quelques soins ciblés et des compléments alimentaires « anti-burn-out» sont même en vente ! « Nous avons été en rupture de stock en quelques semaines», se souvient Ludovic Beaulieu, le concepteur du produit, qui s’apprête à le relancer dans un mois environ avec un nouveau laboratoire.

Applications et vidéos aux petits soins pour les stréssés

Mais le business de la relaxation ne se contente plus du « monde physique». Paradoxalement, l’une des principales sources de stress, notre addiction aux nouvelles technologies, a ouvert de nouvelles opportunités aux vendeurs de zen. Les magasins d’application mobile regorgent ainsi de solutions pour nous aider à nous relaxer. Petit BamBou, l’application de méditation la plus téléchargée en France, compte ainsi plus de 2,3 millions d’utilisateurs. « Nous n’avons pas eu besoin d’investisseurs et en seulement un an nous étions rentables», se félicite Benjamin Basco, l’un des cofondateurs. Sur YouTube, les vidéos de relaxation, notamment celles d’ASMR ( « Autonomous Sensory Meridian Response», en français « réponse sensorielle autonome culminante») cartonnent. Le principe ? Des youtubeurs chuchotent, tapotent ou froissent des bouts de papier pour relaxer les internautes. « Les artistes francophones ne peuvent pas encore en vivre, mais les stars anglophones en tirent un salaire plus que correct, grâce aux revenus de la publicité, aux partenariats ou aux dons des abonnés», explique Florian, fondateur de la chaîne Paris ASMR. Gentle Whispering, la star incontournable de cette discipline, a ainsi gagné l’an dernier au moins 130.000 dollars grâce à YouTube, selon les estimations du site SmartAsset.

L’engouement autour de ce mode de relaxation est tellement puissant que les marques commencent à recruter certains de ces « artistes». Selon nos informations, Renault a ainsi déboursé plusieurs dizaines de milliers d’euros pour que le youtubeur ASMR Zeitgeist participe à la dernière campagne publicitaire pour la voiture électrique Zoe. Le Web est également un eldorado pour les psychothérapeutes, coachs et praticiens en tout genre qui vendent pour quelques centaines d’euros des « programmes» pour réduire son stress, bien plus rentables qu’une consultation privée face à face. Les vidéos tournées sont en effet revendues par la suite à des centaines (voire des milliers) de personnes ! Même les pontes du business ont senti la bonne aubaine : Arianna Huffington, cofondatrice du Huffington Post, a ainsi lancé The Thrive Global, une start-up qui a pour objectif officiel de « mettre fin à l’épidémie de stress et de burn-out», grâce à une plate-forme d’information sur le Web et à la vente de solutions aux particuliers et aux sociétés.

Lutter contre le stress au sein de l’entreprise

Les entreprises sont d’ailleurs une des cibles de choix du marché de l’antistress. Ce n’est pas certes pas une totale nouveauté : depuis 2009, et le plan d’urgence contre le stress au travail, les boîtes ont commencé à se préoccuper un peu plus sérieusement de la question. La mode du « bonheur au travail» lancée par les géants de la Silicon Valley et la guerre pour attirer les talents a donné un coup de pouce supplémentaire à ce marché. « On peut évaluer ce business du stress au travail à environ 100 millions d’euros aujourd’hui», observe David Mahé, administrateur de Consult’in France et président du cabinet Stimulus. Soit 6 fois plus qu’à la fin des années 2000 ! Mais les traditionnels cabinets de consultants et les institutions installées ne sont plus les seuls à se partager le gâteau : depuis quelques années, les coachs se bousculent aussi aux portes des entreprises pour proposer leurs services (entre 300 et 500 euros la séance), tandis que les jeunes pousses essaient quant à elles de « disrupter» le marché. « En quatre ans, le nombre de start-up dans ce domaine a bondi de 10 à 100», observe Jean Benedetti, fondateur de One Conciergerie, qui propose aux entreprises un service d’assistant personnel par application mobile pour libérer les travailleurs de leur charge mentale. Et cela fonctionne : « Notre chiffre d’affaires a bondi de 50% en un an», se félicite-t-il.

Il n’est pas le seul à pouvoir se réjouir : la plate-forme de consultation de psychologues en ligne Happineo connaît une croissance mensuelle de 25%, grâce à son « e-bulle» (un bureau en forme de cocon permettant de s’isoler pour travailler ou se relaxer), Leet Design multiplie chaque année son chiffre d’affaires par deux, tout comme Yogist, une solution de yoga en entreprise, tandis que MyBrain Technologies a signé avec une trentaine d’entreprises pour les équiper de son casque de relaxation Melomind, lancé en grande pompe en septembre dernier. Selon l’association HappyTech, qui réunit certaines de ces jeunes pousses, leur chiffre d’affaires devrait être multiplié par 18 entre 2019 et 2025, pour atteindre les 287 millions !

Des pratiques parfois douteuses…

Cela dit, tout n’est pas si rose dans le monde de la relaxation. D’abord parce que l’efficacité de certaines de ses solutions sont parfois un peu douteuses. La société Power Balance s’est ainsi fait taper sur les doigts par les autorités australiennes pour avoir vendu un bracelet en silicone, censé améliorer la forme physique et réduire le stress. Des allégations plus qu’exagérées, selon la Répression des fraudes… Parmi les « gourous» de la relaxation, les arnaques sont aussi fréquentes : personnes incompétentes, charlatans prêts à tout pour alléger votre porte-monnaie, voire des sectes, se cachent parfois dans le lot ! « Ce n’est pas simple de faire le tri entre les praticiens compétents et ceux qui sont malintentionnés car il s’agit de professions nouvelles, et il n’y a pas forcément de réglementation ou de formation spécifique», explique Serge Blisko, président de la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires). Les entreprises ne sont d’ailleurs pas épargnées par ce risque. Récemment, une coach, pourtant présente sur des événements comme le salon Zen & Bio à Nantes, a ainsi infiltré une entreprise artisanale travaillant dans le domaine du luxe afin de former des « guerriers de lumière». Sa méthode ? Alterner humiliations et paroles douces pendant des entretiens pouvant durer jusqu’à cinq heures…

Pour faire le ménage dans le nébuleux univers de la gestion du stress en entreprise, le ministère du Travail est d’ailleurs en train de mettre au point une régulation du marché des consultants, qui devrait être finalisée dans les prochains mois. Sans aller aussi loin, certaines solutions présentées comme des remèdes contre le stress en entreprise sont surtout cosmétiques et servent avant tout à se donner une bonne image. « Si l’on ne s’attaque pas à l’organisation du travail, cela ne sert à rien de mettre des plantes vertes ou un Chief Happiness Officer (un ‘responsable du bonheur’, NDLR)», critique ainsi le docteur Pierre Setbon (voir vidéo en haut de l’article). Enfin, les « praticiens du zen» ne sont paradoxalement pas à l’abri du stress au travail. Comme ces métiers ne requièrent pas forcément de formation, beaucoup de personnes se sont donc jetées sur ce marché. Résultat, la concurrence est féroce et certains d’entre eux doivent souvent faire plusieurs journées en une pour en tirer un revenu correct. « Selon nos études de rémunération, la majorité des sophrologues gagne moins de 1.500 euros par mois», souligne ainsi Isabelle Berthé, présidente du Syndicat des sophrologues professionnels. Comme quoi le « business du zen» est autant un Far West qu’un eldorado…