Bruno Bonnell : « Je ne crois pas que la robotique va tuer le travail»

Revue de Presse

Source : liberation.fr (12 avril 2019)

Le député LREM lyonnais Bruno Bonnell vient de commettre un deuxième rapport sur ce sujet, sa marotte. Il estime que la France qui ne pointe qu’à la 18e place mondiale, peut encore refaire son retard dans ce domaine.

  • Bruno Bonnell  : « Je ne crois pas que la robotique va tuer le travail»
    Bruno Bonnell croit encore, avec sa fougue et son bagout, à l’avenir de la robotique en France. L’ex-entrepreneur touche-à-tout lyonnais, créateur d’Infogrames puis de la PME Robopolis qu’il a revendue au moment de rentrer en politique comme député LREM du Rhône, vient de commettre un deuxième rapport sur ce sujet, sa marotte depuis des années. Un travail réalisé « à ma propre initiative», dit-il, dans lequel il affirme qu’en matière de robotique, on en est encore « à la préhistoire et donc que les jeux ne sont pas du tout faits». Entretien.

Pourquoi ce nouveau rapport sur ce sujet, six ans après celui que vous aviez à l’époque remis à Arnaud Montebourg, le ministre de l’Economie d’alors, sur la filière robotique ?

Mon propos est simple, c’est de faire prendre conscience que bien que la France soit très en retard, elle pointe à la 18e place mondiale en taux d’équipement, il n’est jamais trop tard pour se réveiller. La robotique est un marché colossal et à mèche lente et on en est encore qu’aux débuts d’une révolution qui va complètement changer notre manière de produire mais aussi et surtout de vivre. On le voit dans les pays les plus avancés comme la Corée du Sud ou le Japon, la robotique est avant tout une question d’acculturation. Je ne demande pas d’argent public, de subventions ou de crédits pour faire financer d’énièmes prototypes mais que l’on fasse de ce sujet à la croisée du politique, de l’économique et du sociétal une priorité nationale. Pensez qu’en Corée du Sud, le président du pays s’est adressé en direct à la télévision à la nation pour dire très solennellement que l’objectif du pays était de devenir le leader mondial de la robotique. Vous imaginez la scène en France ?

On dit que le retard français et européen dans l’intelligence artificielle ou les grandes sociétés du numérique ne pourra plus être comblé face au duopole sino-américain. Pourquoi en irait-il autrement dans la robotique ?

On en est encore dans ce domaine au moment où l’on vient d’inventer l’ampoule électrique sans bien identifier tous les usages qui pourront en être faits. Or la robotique a ceci d’intéressant qu’elle est au cœur de ce que j’appelle faute de mieux le « physital», qui réunit le matériel et l’immatériel, le physique et le numérique, le hardware et le software. C’est à la fois de l’industrie et du service, de la science dopée à l’intelligence artificielle et du sociétal. De surcroît, la robotique permet de répondre efficacement à quelques-uns des défis majeurs de notre temps. Comment par exemple résoudre le problème de l’engorgement des villes et des transports ? Cela passera nécessairement par la voiture autonome et électrique, un véhicule archi-robotisé. Comment aider et assister à domicile les personnes âgées dans des sociétés qui ne cessent de vieillir ? Les robots de compagnie et d’assistance médicale vont dans les années qui viennent faire des progrès que l’on ne soupçonne même pas. Comment enfin en matière d’environnement va-t-on demain se passer de glyphosate ? Ce seront des robots qui arracheront les mauvaises herbes, qui pourront se rendre sur des terrains hostiles ou difficiles d’accès et qui feront de plus en plus le travail des agriculteurs.

A vous entendre, la robotique a réponse à tout… Ne risque-t-elle pas de supprimer quantité d’emplois par la même occasion ?

Selon les études citées dans le rapport, 10% des emplois sont susceptibles de disparaître à terme. Mais ce sont surtout 50% des emplois qui vont en sortir transformés, avec à la clé énormément de gisements de nouveaux emplois. Savez-vous que plus de 20 000 emplois sont aujourd’hui à pourvoir en France dans l’intégration robotique dans les usines ? Ce nouveau métier d’implémentation est un peu à la robotique ce que les sociétés de services informatiques ou SSII étaient à l’informatisation et à la bureautique il y a vingt ou trente ans. D’une manière générale, je ne crois pas que la robotique, ou l’intelligence artificielle à laquelle elle est étroitement associée, va tuer le travail. Mais elle va le faire muter radicalement et, rêvons un peu, finira par tuer en quelque sorte le capitalisme. Car ce que l’on demandera au robot en termes de cadence et de productivité, on ne pourra plus le demander à l’homme. Le problème, c’est que là où il y aura moins de robots, c’est l’homme qui continuera à faire le sale boulot. On le voit bien, les usines les plus robotisées sont également les plus riches et là où le travail a souvent gagné en qualité. C’est peut-être contre-intuitif mais la réalité c’est que le robot n’est pas l’ennemi de l’homme, au contraire, il améliore notre condition humaine en l’enrichissant.

En quoi la France, plus que d’autres, aurait-elle une carte à jouer ?

La France et au-delà l’Europe ont d’immenses atouts, notamment dans le logiciel et les interfaces homme-machine dans lesquels nous sommes en avance et avons une carte à jouer. Mais je ne crois pas que ce soit encore le rôle de l’Etat de dire, comme on l’a fait avec le rapport Villani dans l’intelligence artificielle, quels sont les secteurs dans lesquels on doit pousser la robotique. C’est une vision dépassée. Ce à quoi l’Etat peut aider en revanche, c’est à acquérir un réflexe robot, partout, et penser non plus seulement en termes d’expérimentation et de prototypage mais d’industrialisation. On est très forts pour breveter et c’est indispensable, on n’a pas de problèmes de financement pour amorcer et lancer des start-up mais c’est après que ça se gâte, quand on rentre en production. C’est la raison pour laquelle quantité de sociétés européennes qui n’avaient pas les reins pour passer cette étape sont allées se vendre au plus offrant, c’est-à-dire à des Asiatiques. Même si c’est très compliqué, il faudrait parvenir à changer la logique de l’innovation et de son financement en accompagnant plus en aval les entreprises. Le suramortissement pour les entreprises qui acquièrent des robots ou développent des programmes de robotique est une solution déjà adoptée, on peut également imaginer que l’Etat passe de grandes commandes pour montrer la voie. Mais on retombe sur le problème que l’on n’a pas de fabricants européens, l’Europe n’a qu’une seule entreprise dans le top 10 mondial, Stäubli, à capitaux suisses. Je crois beaucoup à la politique des petits pas, on peut faire évoluer les comportements par de petites incitations.

Comment concevez-vous le rôle des politiques sur ces sujets très techniques qui les dépassent parfois ?

La robotique et au-delà les systèmes intelligents en général qui déboulent un peu partout doivent devenir un pilier d’une nouvelle réflexion politique. Il faut que l’expertise de nos élus et responsables gouvernementaux progresse et vite dans ce domaine, que l’on comprenne que ce n’est pas un sujet « techno» à laisser aux spécialistes mais un véritable enjeu de société. Il y a énormément de compétences à développer dans ce domaine aussi, à l’interface des technologies et de la vie politique et citoyenne et en tant qu’élu, c’est ce qui me passionne aussi.