Le gouvernement veut fixer un « âge pivot » de la retraite à 64 ans

Revue de Presse

Source : challenges.fr (6 juin 2019)

EXCLUSIF – La décision d’instaurer une nouvelle borne d’âge à 64 ans dans le cadre du futur système des retraites à points a été actée par le gouvernement. Un choix qui pourrait compliquer le passage de la réforme.

Après de multiples rumeurs, la décision a été prise dans le plus grand secret. Selon nos informations, le gouvernement a décidé début mai d’inscrire un nouvel ‘âge pivot’ de 64 ans dans la future réforme des retraites à points annoncée pour l’automne. ‘L’idée était dans l’air depuis plusieurs mois, mais cette fois Matignon l’a actée avec l’aval de l’Elysée, confie un connaisseur du dossier. Cela permet d’équilibrer financièrement le système et d’éviter les déficits prévus dans les décennies à venir.’ Le principe  : sans toucher à l’âge légal de 62 ans, la réforme instaurerait un système de bonus-malus sur les pensions, avant et après 64 ans, pour inciter les actifs à travailler plus longtemps.

Le 25 avril, Emmanuel Macron avait déjà évoqué cette piste. Lors de sa grande conférence de presse post-Grand débat, il avait souligné que Jean-Paul Delevoye, le Haut-commissaire chargé de la réforme des retraites à points, avait calculé que ‘le point d’équilibre [financier, ndlr] de notre régime de retraite est autour de 64 ans’. Le chef de l’Etat avait ensuite jugé nécessaire de ‘travailler plus longtemps’ pour financer notre système de protection sociale. ‘Quand je regarde ce que font nos concitoyens, ils partent pas tous à 62 ans, même de moins en moins, ils vont plutôt vers 63 ou 64 ans’, avait-il déclaré, avant de parler d’’un système de décote qui incite à travailler davantage mais sans forcer tout le monde’. ‘Voilà une option qui permet de dégager des économies, avait-il conclu, pour réinvestir dans des baisses d’impôts’ et une revalorisation des minimas de retraites à taux plein à 1.000 euros.

‘Reculer l’âge sans le dire’

Le projet du gouvernement répond à ce cadrage. L’âge légal du départ à la retraite demeurerait à 62 ans mais les actifs qui partiraient entre 62 et 64 ans toucheraient une pension moindre et ceux qui partiraient après 64 ans profiteraient d’un bonus. Cet ‘âge pivot’ de 64 ans entrerait en vigueur le 1er janvier 2025, date prévue de démarrage du nouveau système, et progresserait d’un mois par génération. Il atteindrait ainsi 65 ans en 2037. Contacté par Challenges, le Haut-commissariat à la réforme des retraites n’a ‘ni confirmé ni infirmé’ le projet. ‘C’est une manière de reculer l’âge de départ de la retraite sans le dire’, souffle un haut fonctionnaire de Bercy. Selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), l’âge moyen de départ à la retraite était en effet proche de 62 ans en 2017 et devait atteindre 64 ans à partir de la fin des années 2030.

En instaurant un ‘âge pivot’ dans sa réforme, le gouvernement prend un risque. Cela va braquer les syndicats, y compris les mieux disposés. ‘Ce serait une grosse erreur qui peut faire exploser la réforme en vol, prévient Frédéric Sève, de la CFDT, puisque cela créerait une inégalité criante entre les actifs qui ont commencé à travailler tôt et les autres.’ A moins que le gouvernement réintroduise la notion de durée de cotisation minimum dans le futur système ? ‘Cela compliquerait un système qui se veut plus simple que le système actuel, poursuit le syndicaliste, et c’est contraire à l’esprit même d’un régime par points qui s’équilibre avant tout par l’adaptation du montant des pensions au fur et à mesure via la valeur du point.’

Inquiétude des experts

Mais l »âge pivot’ de 64 ans a d’autres objectifs. Politiquement, il permet de donner des gages au Premier ministre et aux ministres de Bercy qui militent pour un recul de l’âge légal de départ à la retraite. Techniquement, il répond à l’inquiétude des experts du COR liée à la disparition de la notion d’âge ‘à taux plein’ qui est, dans le système actuel, l’âge auquel un assuré a cotisé assez d’années pour percevoir une retraite pleine et constitue la borne de référence pour 80% des nouveaux retraités. En théorie, dans le futur système, il n’y aurait plus de durée de cotisation minimum  : à partir de 62 ans, chacun pourrait arbitrer entre l’âge de départ – et donc la durée espérée de sa retraite – et le montant de sa pension.

‘Le passage à un système dans lequel la référence au taux plein n’existerait plus et où seul un âge minimal de 62 ans perdurerait pourrait conduire les assurés à liquider leurs droits plus précocement qu’à l’heure actuelle’, s’alarmait le COR dans une note de mars 2019, avant d’ajouter que ‘les enquêtes réalisées auprès des assurés montrent que l’une des motivations principales dans le choix de partir à la retraite est d’en profiter le plus longtemps possible, y compris pour les assurés ayant les plus faibles pensions’. Avec le double danger de plomber les comptes de la Sécu tout en augmentant le nombre de retraités pauvres…