Télétravail : loin des bureaux, le travail à la maison séduit (enfin!) les entreprises

Revue de Presse

Source : challenges.fr (29 août 2019)

Sous l’impulsion des nouvelles technologies et des ordonnances Macron, le télétravail s’impose petit à petit dans les entreprises, mais concerne encore une minorité de salariés, essentiellement employés par de grandes entreprises basées dans les métropoles.

29% des Français télétravaillent, selon Malakoff Médéric Humanis (contre 25% en 2017).

Cet été, le slogan a été repris en boucle. ‘Face à la canicule, les employeurs et salariés qui peuvent recourir au télétravail sont vraiment invités à le faire’, ont martelé les ministres, d’Elisabeth Borne (Transition écologique), à Agnès Buzyn (Santé), en passant par Muriel Pénicaud (Travail). Pics de chaleur, pannes de métro, open spaces bruyants, bouchons… Le télétravail s’est imposé comme la solution miracle pour gérer galères de transports, tracas du bureau et aléas climatiques. Si bien que travailler chez soi est devenu une habitude pour un nombre croissant de Français. 29% d’entre eux télétravaillent, selon Malakoff Médéric Humanis (contre 25% en 2017). ‘Une proportion qui ne peut que progresser quand on sait qu’au moins la moitié des emplois est télétravaillable’, affirme Daniel Ollivier auteur de Manager le travail à distance et le télétravail et fondateur de Thera conseil.

Le contexte est particulièrement favorable. ‘Contrairement à la dernière révolution industrielle qui a rassemblé les ouvriers autour de l’outil de production, les nouvelles technologies inversent le processus en amenant le travail au travailleur où qu’il soit’, souligne Aurélie Leclercq-Vandelannoitte, chercheuse au CNRS, spécialiste des évolutions du travail et du management au sein du LEM (Lille Economie Management). Travailler à la maison est devenu accessible en un clic pour la plupart des salariés mais aussi pour des milliers de freelances profitant du boom des plate-formes online de travail indépendant (Upwork, Malt, Creads, Codeur, Hopwork, etc.).

10000000000003e8000002edc6b9fd9cd3dd5bcb.jpgIllustration d’un télétravailleur

Côté salariés, les ordonnances Macron de septembre 2017 réformant le Code du travail, ont aussi fait sauter un verrou juridique en reconnaissant le télétravail occasionnel et en facilitant le recours au travail à distance régulier. ‘La pratique existait bien avant les ordonnances, mais celles-ci ont sécurisé le dispositif. Désormais, un simple accord entre le salarié et son manager, formalisé par exemple par mail, suffit’, salue Marie-Hélène Bensadoun, vice-présidente du syndicat d’avocats d’entreprises AvoSial.

Une demande très marquée chez les cadres

Un assouplissement des règles en phase avec les aspirations des Français : 49% d’entre eux souhaitent télétravailler selon une enquête OpinionWay-Horoquartz. Une demande particulièrement forte chez les cadres, qui sont 69% à vouloir en profiter. ‘Le télétravail répond à une forte attente des salariés, et en particulier des jeunes, à la recherche d’une réduction des temps de transports, d’une plus grande autonomie et d’un meilleur équilibre vie pro-vie perso’, détaille Aurélie Leclercq-Vandelannoitte. Sur un marché de l’emploi des cadres en situation de quasi plein-emploi, les employeurs ont bien compris qu’ils devaient s’adapter.

Safran, Criteo, CAF du Vaucluse, Casino, Institut Pasteur… Plus de 1.300 accords collectifs ont été négociés sur le télétravail en France, contre à peine une centaine mi-2018. Ils prévoient en général l’attribution d’un à deux jours de télétravail par semaine, mais traduisent des réalités variées. Certaines organisations ont adopté le dispositif depuis des années à l’instar de L’Oréal ou PSA quand d’autres commencent tout juste une phase d’expérimentation (Sony France, Chronopost) ou de généralisation à grande échelle (Bayer, Bayard Presse). Autre indicateur de l’engouement pour le dispositif, depuis septembre 2016, les offres d’emploi contenant le mot-clé ‘télétravail’ ont vu leur nombre multiplié par près de six, selon les dernières estimations du moteur de recherche d’emploi Indeed.

Pour certaines entreprises évoluant sur un secteur ultra-compétitif, le travail à distance est même devenu vital. La start-up parisienne Platform.sh, spécialisée dans le cloud BtoB, est passée depuis 2014 au 100% télétravail. ‘Nous avons besoin des mêmes ingénieurs que Google, Facebook ou Deliveroo. Or, le marché de l’emploi sur ces métiers est saturé dans les grands hubs. Ouvrir le critère géographique grâce au télétravail nous a permis de dénicher des talents partout dans le monde’, affirme le cofondateur Frédéric Plais, qui emploie ainsi 150 salariés répartis dans 18 pays. Un cas extrême qui montre à quel point le travail à distance s’est transformé en outil d’attractivité. Mais pas seulement.

Optimisation des mètres carrés

Attractif, le télétravail est une aubaine pour les entreprises à plus d’un titre. En 2012, le ministère de l’Economie chiffrait les gains de productivité du télétravail à entre 5 et 30%, conjugués à une baisse de l’absentéisme de 20% et jusqu’à 30% d’économies sur les bureaux. A l’heure où les prix de l’immobilier tertiaire explosent, l’essor du nomadisme est un levier opportun d’optimisation des mètres carrés. Si le domicile reste le lieu privilégié de télétravail dans 92% des cas, les bureaux satellite des entreprises (35%) ou encore les espaces de coworking (21%) sont également de plus en plus prisés, selon Malakoff Médéric Humanis. ‘L’économie de mètres carrés n’est pas du tout l’objectif de notre accord télétravail de 2018 mais elle peut être une conséquence à terme, si les locaux deviennent trop vides’, estime Claire Silva, DRH d’AG2R La Mondiale, qui compte en moins d’un an 2.500 télétravailleurs sur 11.000 salariés.

L’essor du télétravail demeure néanmoins encore circonscrit aux grandes villes et grands groupes. C’est l’une des raisons pour lesquelles, le gouvernement a initié en juin un plan d’action pour créer ou développer 300 tiers-lieux (espaces de travail polyvalents) afin de stimuler l’activité économique, tout en favorisant l’accès au numérique. La France en compterait déjà au moins 1.800. D’un montant de 45 millions d’euros, le plan baptisé ‘Nouveaux lieux, nouveaux liens’ prévoit une série de mesures pour encourager le télétravail et permettre l’accès à divers services (formation, culture, etc.). L’enjeu est aussi écologique. Alors que sept salariés sur dix prennent chaque matin leur voiture pour se rendre au bureau, la généralisation du dispositif à environ trois jours télétravaillés par semaine permettrait de diminuer d’environ 30% les impacts environnementaux associés aux trajets domicile-travail, selon l’Ademe.

Réticences du management intermédiaire

Reste encore à convaincre beaucoup d’entreprises de franchir le pas. Entre l’achat d’équipements, les actions de sensibilisation, l’adaptation des process, le déploiement du télétravail peut vite s’avérer coûteux –un million d’euros pour AG2R La Mondiale.

La formule ne convient par ailleurs pas à tout le monde. ‘Au-delà des postes qui ne sont pas télétravaillables, certains profils ne sont pas faits pour le télétravail, par manque d’autonomie, d’organisation ou incapacité à travailler seul’, souligne Daniel Ollivier. Si les directions se montrent de plus en plus favorables au déploiement du travail à domicile (+6 points depuis 2017, selon Malakoff Médéric), beaucoup de managers restent encore réfractaires…./…

Entre allongement des journées de travail, isolement, dégradation de la cohésion d’équipe, le travail à distance présente des risques. Des groupes américains ont même fait le choix ces dernières années de bannir le télétravail après l’avoir testé, à l’instar d’IBM, Yahoo, Google ou encore Reddit. Convaincus que trop de distance nuit à l’innovation, les GAFAM préfèrent d’ailleurs investir dans de gigantesques campus dotés d’une multitude de services (potager, salle de sieste, salle de sport…) afin d’inciter leurs salariés à rester le plus longtemps possible au travail. En transformant ainsi le bureau en un second chez soi, et non l’inverse.