Face au stress au travail, “les entreprises ne font quasiment rien”

Revue de Presse

Source : courriercadres.com (25 novembre 2019)

Surcharge de travail, frustrations, angoisse de la performance, management qui laisse à désirer : les sources de stress ne cessent de se multiplier. Le docteur Patrick Légeron, psychiatre, fondateur du cabinet Stimulus et auteur du “Stress au travail”, revient avec nous sur les façons dont les entreprises peuvent agir pour résoudre cette problématique majeure.

 

Quelle est la situation dans les entreprises aujourd’hui ? Y a-t-il plus de stress au travail qu’autrefois ?

Le stress, aujourd’hui, est encore plus important qu’il y a 10 ans. Avec le cabinet Stimulus, nous avons mené en 2017 une grande étude sur ce sujet, et nos recherches ont montré que 24 % des salariés sont en situation d’hyperstress ; un niveau trop élevé de stress, à risque pour la santé. Risques physiologiques (hypertension, problèmes cardiaques) mais aussi psychiques (burn out, dépression, suicide) : un quart des salariés sont ainsi en relatif danger. Les secteurs tertiaires sont nettement plus exposés que les secteurs industriels. Les employés plus que les dirigeants, et les managers de proximité sont aussi très concernés.

Les objectifs à atteindre sont souvent disproportionnés, l’équilibre vie personnelle – vie professionnelle est encore mal garanti, et surtout, les managers français ne sont pas suffisamment bienveillants. Trop de salariés estiment n’être que “des chiffres sur des tableaux Excel”. Selon une étude Eurofound, 35 % d’entre eux pensent que leur employeur ne s’intéresse pas du tout à leur bien-être (deux fois plus qu’en Allemagne). 60 % estiment que leur manager est une source de stress, alors que la moyenne européenne est de 40 %. En outre, seuls 55 % se sentent reconnus au travail (contre 67 % en Europe), et à peine 20 % indiquent pouvoir se confier à leur manager en cas de problème (contre 80 % en Finlande).

 

Qu’est-ce qui explique cette recrudescence du stress au travail ?

Les facteurs de risques psychosociaux (RPS) sont en augmentation régulière : pression exercée sur les salariés pour la performance, activités en perte de sens, et surtout, faillite du management.

Nous recommandions déjà dans un rapport de 2008 sur les RPS de former les managers, mais les pouvoirs publics n’ont guère agi sur ce plan. Nous sommes très en retard par rapport à nos voisins : seuls 46 % des cadres ont été formés à la prévention du stress (repérer les salariés en souffrance) et à des pratiques bienveillantes (reconnaissance, écoute, droit à l’erreur), quand la moyenne européenne est de 73 %. Ce déficit de formation à un management plus humain explique en partie cette problématique.

Prendre soin de ses salariés est en outre efficace pour l’entreprise : quand les salariés se sentent bien, ils sont aussi plus productifs. Mais dans les grandes écoles de management, on apprend en fait tout sauf le management. Comment aller vers le salarié, l’accompagner et l’aider : les jeunes diplômés des Business Schools n’apprennent pas cela, contrairement à ceux des écoles nord-américaines, par exemple Harvard.

Comment les entreprises peuvent-elles agir ?

Hélas, les organisations ne font quasiment rien pour lutter contre le stress. Elles mettent peu d’actions en place, d’indicateurs de stress notamment. La France a connu un électrochoc en 2007 suite aux suicides chez France Télécom, mais depuis, les entreprises ont semble-t-il oublié leurs responsabilités : le fait que juridiquement, elles risquent gros à ne pas s’occuper de tout cela.

Certes, quelques entreprises, comme Danone ou Renault, mettent des actions en place. Mais à la différence des pays d’Europe du Nord, ou encore des entreprises québécoises, le bien-être au travail est un indicateur clé dans la performance d’une entreprise, une stratégie première, au même titre que la conquête de nouveaux marchés et l’accroissement des résultats de l’entreprise.

Le management bienveillant, qui ne s’occupe pas que de la performance, commence à percer. Mais nombre d’entreprises sont rentrées dans du faux-semblant ou de la cosmétique : il ne s’agit pas que de mettre en place un baby-foot, une corbeille de fruits ou un billard, ni même un numéro d’appel pour aider les salariés.

Chacun d’entre nous peut aussi apprendre à mieux résister au stress, à se protéger. Beaucoup d’entreprises aident leurs salariés à mieux gérer leur stress et à être plus résilients, avec des pratiques de relaxation ou de méditation, par exemple. Mais cela ne règle pas le fond. On ne traite pas la cause ainsi, qui est l’organisation du travail et le management.

Les entreprises doivent agir au niveau primaire, prévenir les causes avant d’agir une fois que le stress est installé. Trop souvent, on donne aux salariés des objectifs inatteignables, qu’ils ont le sentiment de ne jamais atteindre. Il faut un management qui donne davantage de sens, qui aide les équipes en cas de difficultés, qui leur apporte une réelle écoute, qui leur donne de l’autonomie et les aide à préserver leur vie personnelle, en équilibre avec leur vie professionnelle.

Cela peut paraître utopique, mais cela existe : en Europe du Nord, existent des entreprises qui sont performantes et mettent en œuvre le bien-être au travail. Il faut juste former les managers, car bien souvent, ils ne savent pas comment s’y prendre. Il faut aussi réfléchir à alléger leurs tâches, car nombre d’entre eux regrettent de ne pas avoir assez de temps, en particulier à cause du reporting permanent.

Enfin, les personnels d’encadrement nocifs indiquent n’avoir aucun risque à mal agir : chez Danone, par exemple, le management bienveillant joue sur l’évolution de carrière et la rémunération. Il faut donc que les managers soient évalués sur leurs pratiques humaines.