Polanski, Matzneff, doit-on tout accepter au nom de l’art ?

Revue de Presse

Novembre 2019, le film « J’accuse » de Polanski vient de sortir en salles et la polémique gronde. Faut-il ou non boycotter ce film ? L’artiste et l’homme doivent-il être dissociés ? Doit-on faire abstraction des actions d’un homme pour ne faire que savourer son œuvre, aussi grandiose soit-elle ?

Certaines entités publiques ont tenté d’interdire la diffusion de ce film, faisant rapidement marche arrière au nom de la censure interdite, et le droit semble en effet légitimer ce rétropédalage. Car la question semble bien plus complexe. Par respect pour les acteurs, pour les techniciens ayant travaillé d’arrache-pied pour l’aboutissement d’un film certainement grandiose (j’ai personnellement fait le choix de ne pas le voir), devons-nous punir tout le monde parce que le réalisateur serait condamnable ?

On nous rétorquera que de nombreux artistes ont écrit, réalisé des œuvres critiquables et qu’il est hypocrite de ne s’insurger que parce que l’artiste en question est encore « vivant ». Sauf que c’est bien ici tout le problème.

Des victimes, toujours vivantes elles aussi, voient parcourir le monde et être encensés par les critiques ceux qui sont coupables de leur avoir fait subir ce qu’une femme peut subir de pire, et lorsqu’elles finissent par parler, elles se voient reléguées à celles qui tentent de dénigrer « l’artiste » ! Comme si l’artiste devait être dissociable de l’homme qu’il est, comme si n’importe quel homme pouvait dissocier ses compétences de son action en tant qu’être humain.

Est-ce que je continuerais à aller acheter mon pain chez le boulanger du coin si je le savais coupable de violences sur sa femme ? Quand bien même il ferait la meilleure baguette du quartier ? Je ne pense pas. Laisserais-je mes enfants en garde à quelqu’un que je saurais avoir été condamné pour pédophilie ? Je ne pense pas. Mais je devrais pouvoir faire fi de ces considérations s’il s’agit d’un artiste ?

La question nous est de nouveau posée aujourd’hui, puisque le témoignage d’une des victimes de Gabriel Matzneff, Vanessa Springora, vient d’être publié chez Grasset, sous le titre révélateur du « Consentement ». Une nouvelle fois, il semblerait que l’œuvre de Matzneff valait plus que ses actes répréhensibles au nom du sacro-saint « art ».

Ces hommes peuvent-il légalement être diffusés dans nos cinémas ? Publiés par des grandes maisons d’édition parisiennes ? La réponse est oui, sans aucun doute. Celle qui se pose aujourd’hui est donc celle de nos consciences.

Souhaitons-nous que ces hommes puissent continuer d’agir en toute impunité et sans que justice soit faite ?

Pour l’UNSA, la réponse est clairement non.

Bagnolet, le 13 janvier 2020

Emilie Trigo
Secrétaire nationale Liberté, Egalité femmes-hommes, Défense des droits humains.