L’État va-t-il se désengager du financement des retraites des fonctionnaires ?

Revue de Presse

Source : lepoint.fr(16 janvier 2020)

Quel sera le bilan financier de la réforme des retraites ? Le manque de chiffres communiqués par le gouvernement, en attendant l’étude d’impact qui devrait être publiée au moment de la présentation du projet de loi en conseil des ministres, pour l’instant programmée le 24 janvier, alimente tous les fantasmes. La gauche soupçonne le gouvernement de vouloir faire des économies sur le dos des retraités et des actifs tandis que la droite estime, au contraire, qu’elle va coûter cher.

Un élément particulier nourrit cette seconde suspicion. Aujourd’hui, l’État cotise, sur le papier, à hauteur de 74,28 % pour la retraite des fonctionnaires d’État. En 2018, cela a représenté une dépense d’environ 41 milliards d’euros (pensions civiles et militaires). Si l’État doit autant contribuer, c’est que la balance démographique des fonctionnaires n’est pas bonne, avec 1,02 cotisant pour un retraité seulement en 2018  : un taux de cotisation aligné sur celui du privé ne suffirait pas à équilibrer financièrement les dépenses de retraites.

Maintien du financement des dispositifs de solidarité

Mais l’État doit aussi mettre la main à la poche pour alimenter les dispositifs de solidarité pour les fonctionnaires comme leur pension de réversion, leurs trimestres validés au titre de la maternité, etc. L’État – autrement dit le contribuable – doit enfin financer les dispositifs dérogatoires qui bénéficient aux fonctionnaires, comme les fameuses catégories dites «  actives » de la fonction publique, qui peuvent encore partir à la retraite à partir de 52 ou à 57 ans.

Ce taux de cotisation facialement très élevé de l’État pour la retraite de ses fonctionnaires provient de l’obligation d’équilibrer financièrement chaque année le Compte d’affectation spéciale (CAS) Pensions, qui concentre les engagements de l’État en matière de retraite des fonctionnaires. Il le fait via les crédits budgétaires alloués chaque année aux différents ministères, qui assument la retraite de ceux qui ont travaillé un jour pour eux.

Or, avec l’intégration de la fonction publique dans le futur régime universel, le taux de cotisation de l’État va tomber à un peu moins de 17 %, pour l’aligner sur le taux de cotisation employeur du privé. Selon les détracteurs de la réforme, l’État va donc faire des économies sur le dos du nouveau régime de retraite. Un simple calcul de coin de table permet de chiffrer grossièrement cette somme à 31,5 milliards, soit la différence entre 74 % et 17 % de taux de cotisation. Une somme à laquelle il faudrait ajouter la diminution (moindre) du taux de cotisation des collectivités locales pour les fonctionnaires territoriaux.

Des économies possibles avec la fin des départs anticipés des «  catégories actives »

L’État va-t-il vraiment empocher la différence entre son taux de cotisation actuel, de 74 % pour les fonctionnaires d’État (et même de plus de 126,7 % pour les militaires), et son futur taux de cotisation dans le régime universel ? Pas vraiment.

D’abord parce qu’il va continuer à financer les mécanismes de solidarité des fonctionnaires, au même titre que ceux du privé au travers du futur Fonds de solidarité vieillesse universel. «  Il faut rappeler qu’à travers sa surcotisation, l’État finance déjà, et de façon importante, des dépenses de retraite de solidarité, par exemple au travers de la pension de réversion », souligne ainsi le secrétaire d’État à la Fonction publique Olivier Dussopt.

Ensuite, parce que ce taux de cotisation finance également, comme on l’a vu, des avantages pour les fonctionnaires, qui seront toujours pris en charge par l’État, ou supprimés, comme les départs des catégories dites «  actives » de la fonction publique. Le gouvernement a ainsi promis que l’État surcotiserait pour financer les points supplémentaires accordés aux policiers qui leur permettront de continuer à partir plus tôt à la retraite quelle que soit la dangerosité effective de leurs tâches.

Selon François Écalle, expert des finances publiques et éditeur du site internet spécialisé Fipeco, la suppression de toutes les catégories actives de la fonction publique et de leurs départs anticipés permettrait d’économiser «   de l’ordre de 2 milliards d’euros » par an. Une telle économie suppose toutefois qu’il soit mis un terme à tous les départs anticipés. L’économie réelle sera donc moindre après les concessions accordées aux policiers, notamment, et parce que le gouvernement a promis de transposer le dispositif de décompte de la pénibilité des tâches au secteur public pour compenser la fin des départs anticipés.

Dans le privé, les branches professionnelles jeunes, comme celle de l’informatique, assument la démographie vieillissante de la branche de la métallurgie

La fin programmée des régimes spéciaux de retraites, celui de la SNCF, de la RATP ou encore des industries électriques et gazières, permettrait aussi, à très long terme, d’économiser 1,8 milliard d’euros, en mettant fin aux départs anticipés des agents, selon un rapport de la Cour des comptes sur ces régimes de juin 2019.

La diminution du taux de cotisation de l’État sera enfin très progressive, comme le souligne Olivier Dussopt dans Les Échos. «  La différence sera utilisée pour financer les retraites déjà liquidées et les droits acquis », souligne le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics.

Il est en revanche vrai qu’une fois le régime universel complètement monté en charge, ce qui ne sera pas le cas avant de nombreuses années, le rapport défavorable entre les fonctionnaires actifs et les fonctionnaires retraités, qui ne devrait pas s’inverser, devra être pris en charge par la nouvelle caisse universelle de retraite, dont la logique est d’instaurer une solidarité entre statuts professionnels. Ce ne sera plus à l’État de combler le trou. «  C’est le principe même d’un régime de retraite par répartition. Dans le privé, les branches professionnelles jeunes, comme celle de l’informatique, assument la démographie vieillissante de la branche de la métallurgie », souligne François Ecalle.

Du strict point de vue de l’équilibre financier des finances publiques, qui comprend les comptes de l’État mais aussi ceux de la Sécurité sociale (vieillesse, maladie, accident du travail, famille) et des collectivités locales, cela ne changera rien. Ce que payait auparavant l’État pour compenser le déséquilibre démographique du régime sera assumé par la Caisse universelle de retraite. Mais comme le futur régime de retraites ne devra pas être en déficit sur une période de 5 ans, l’ensemble des actifs devra alors assumer la démographie vieillissante des fonctionnaires…