Laurent Escure (Unsa) : « Les syndicats ne sont pas mortels, ils sont mourants »

Revue de Presse

Source : lesechos.fr (22 Septembre 2020 )

Impact de la crise du coronavirus sur l’emploi mais aussi les relations entre syndicats et salariés, et les enjeux électoraux  : le secrétaire général de l’Unsa, Laurent Escure, fait le point sur la rentrée sociale lors d’une interview aux «  Echos ». La sixième organisation syndicale interprofessionnelle, à touche-touche avec la CFTC lors de la dernière pesée d’audience syndicale, réunit son «  Parlement » jeudi et vendredi.

Quel regard portez-vous sur le climat social de cette rentrée ?

L’actualité est marquée actuellement par l’annonce par Bridgestone de la fermeture de son site de Béthune qui illustrerait l’arrivée de grands plans sociaux. Mais derrière ce spectre, le vrai plan social massif qui se joue en réalité, c’est celui de la non-embauche. Et celui des départs invisibles de salariés des petites entreprises, des sous-traitants, des intérimaires. Là où les syndicats ne sont pas. 

Cette insuffisante présence des organisations syndicales dans cette partie du salariat n’est pas nouvelle… 

Certes, mais la crise révèle avec encore plus d’acuité une forme d’impuissance des syndicats. Certains disent qu’ils sont mortels, moi je pense qu’ils sont mourants. Il y a bien des endroits où le dialogue social fonctionne lorsqu’on n’a pas affaire à des «  patrons bandits ». Mais un salarié sur deux n’est pas dans la zone de protection des syndicats.

Bien sûr, ce n’est pas la petite Unsa, malgré son originalité, qui détient à elle seule la solution. Mais on veut contribuer à renforcer un syndicalisme utile aux salariés qu’il ne touche pas d’ordinaire. Nous allons proposer à notre conseil national [le «  parlement » de l’organisation] qui se réunit jeudi et vendredi le déploiement sur tout le territoire de 1.000 «  aideurs ». 

C’est-à-dire ? 

Un millier de nos militants vont devenir des référents de proximité pour ces salariés oubliés des syndicats. On lance en parallèle une foire aux questions – 200 ont déjà été référencées – qui va de «  Comment je fais pour négocier une augmentation » à «  Que dois-je faire si je n’ai pas de médecin traitant », qui leur permettra de répondre aux demandes. Et on va offrir aux salariés des entreprises de moins de 11 salariés pour quelques euros – 3 à 6, ce n’est pas encore tranché – une adhésion qui mette à leur disposition une couverture juridique et des offres préférentielles comme les Comités sociaux et économiques en proposent aux salariés des entreprises de plus de 50 salariés. 

Avec en ligne de mire les élections de représentativité dans les très petites entreprises, du 25 janvier au 7 février… 

Pas seulement. Si l’épidémie et la crise qu’elle provoque mobilisent énormément nos militants, elle a aussi compliqué les relations avec les salariés et en particulier ceux qui ne nous trouvent pas sur leur lieu de travail. C’est une façon de retisser le lien. 

En 2017, l’Unsa avait fait une percée dans les TPE, à près de 13 %. Que visez-vous sur ce scrutin spécifique ? Et plus globalement ? 

L’objectif est de se renforcer encore et de confirmer ainsi que l’Unsa a son mot à dire dans le champ interprofessionnel du privé. Sur l’ensemble du privé, nous devrions progresser encore l’an prochain, à un rythme un peu moins fort qu’en 2017, où nous avions gagné 1 point à 5,35 %. Notre objectif est d’atteindre les 8 % dans cinq ans. On a de beaux succès. Dans 44 % des endroits où nous sommes présents, l’Unsa est numéro un et dans 26 % des cas elle est numéro deux. La preuve de notre représentativité et de notre utilité. Mais on n’est pas présent dans assez d’entreprises. Notre problème est d’abord un problème d’implantation. 

Philippe Martinez utilise le même argument pour expliquer le fait que la CGT ait été distancée par la CFDT… 

Mais nous, nous partons avec un handicap car nous n’avons jamais bénéficié de la présomption irréfragable qui permettait à la CFDT comme à la CGT et aussi à Force ouvrière, la CFTC et la CFE-CGC de s’implanter partout. Elle a été supprimée par la réforme de 2008, mais elle a laissé une trace.

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Justement, qu’a répondu Emmanuel Macron au courrier que vous lui avez envoyé juste avant le remaniement pour demander la création d’un nouvel étage de représentativité sur l’ensemble du salariat, public et privé ? 

Nous attendons sa réponse. Cette réforme de la représentativité que nous demandons est inéluctable. L’idéal serait d’aller rapidement au bout de la logique. Mais il est aussi possible d’y aller par étapes. La nécessité de ce nouvel étage est très facile à démontrer sur la protection sociale. C’est un secteur qui concerne tout le monde, qu’il s’agisse de l’assurance-maladie, des allocations familiales ou de la future cinquième branche consacrée à la dépendance . Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le sujet est apparu lors du débat sur la création d’une caisse unique de retraite où le gouvernement avait posé le principe d’un seuil de 5 %. D’ailleurs, je n’imagine pas que le président de la République nous écrive l’inverse de ce qu’il a écrit dans son projet de réforme. Nous sommes aussi légitimes à participer aux conférences sociales. Et je ne comprends pas que nous n’ayons pas été associés à l’élaboration du protocole sanitaire qui s’applique au privé comme au public. 

Vous avez été très courtisé par l’exécutif pendant la réforme des retraites. On a le sentiment que maintenant le soufflé est retombé… 

Nous avons été traités en regard de notre représentativité y compris du fait de notre forte présence dans les entreprises et les administrations particulièrement concernées [RATP, SNCF, Education nationale]. Maintenant, on n’est pas des chouineurs ni des Calimero. C’est la vie des rapports de force et de la culture sociale française. Pour être invité à la table, il faut que la puissance invitante y ait un intérêt. Peut-être l’exécutif en voit-il moins l’intérêt en ce moment. Mais les mois qui viennent pourraient lui démontrer qu’il a fait le mauvais choix. 

Justement, faut-il rouvrir le dossier de la réforme des retraites ? 

Franchement, là, ce n’est pas le moment. La bataille prioritaire est celle qui vise à éviter la casse sociale dans les bassins d’emploi.