Le dialogue social dans les entreprises : « une cocotte-minute »

Revue de Presse

Source : challenges.fr (14 octobre 2020 )

INTERVIEW – Frédéric Guzy, directeur général du réseau d’entreprises dans les domaines des RH et du social Entreprise&Personnel, livre son analyse de l’état du dialogue social actuel dans les sociétés.
Manifestation

Frédéric Guzy est le directeur général d’Entreprise & Personnel, réseau d’entreprises dans le domaine des ressources humaines et du social. Rassemblant une centaine d’adhérentes, majoritairement de grandes entreprises, ce réseau produit chaque année une note de conjoncture sociale. Ancien DRH adjoint des Aéroports de Paris, et ex-conseiller ministériel auprès du ministère des Transports et du Travail, Frédéric Guzy livre à Challenges son analyse de la situation sociale actuelle dans les entreprises.

Challenges – Quel est l’état du dialogue social dans les entreprises dans le contexte de crise actuel?

Frédéric Guzy – La situation sociale en ce moment est très compliquée. Elle n’a jamais été aussi brouillée dans l’histoire récente, post-Seconde Guerre mondiale. Mais la crise sanitaire a été un amplificateur de ce phénomène plutôt que créatrice d’une nouvelle situation. Le dialogue social en entreprise est en crise. Ce n’est pas parce qu’on en parle à toute berzingue, qu’on assiste réellement à un regain et un repositionnement des organisations syndicales. Les syndicats et le dialogue social sont en quelque sorte otages des questions institutionnelles et d’emploi. Je parle des entreprises de 500 employés et plus, que je connais bien et dans lesquelles les CSE sont de plus en plus éloignés du terrain. On y parle emploi, activité partielle, qui sont des sujets importants, mais il y a une vraie déconnexion des problématiques quotidiennes du travail des salariés. La crise sanitaire a aggravé cette déconnexion. On parle tout le temps de dialogue social, mais c’est l’arbre qui cache la forêt.

Est-ce que la disparition des CHSCT n’aggrave pas cette crise du dialogue social? Les syndicats considèrent qu’elle a été catastrophique pour les sujets de santé et sécurité au travail, notamment parce que les sujets d’urgence économique prennent toute la place dans les CSE.

Rien n’empêche aujourd’hui les commissions santé et sécurité, au sein des CSE, de traiter des questions de conditions de travail. Ce n’est donc pas la structure de l’instance qui pose problème, mais la façon dont cette réforme a été mise en place. Les CHSCT, selon moi, ne faisaient pas le boulot. Ils étaient chronophages, souvent très politiques et aux pouvoirs parfois démesurés par rapport aux besoins des entreprises. En réaction, avec la réforme de 2017, les entreprises en ont profité pour réduire les moyens alloués aux instances et aux syndicats. Dans des groupes où on pouvait compter 200 CHSCT, on peut ne compter qu’une petite cinquantaine de commissions santé et sécurité aujourd’hui, ce qui accentue d’autant plus la déconnexion avec le quotidien des salariés. Et la disparition des délégués du personnel n’a pas aidé. Or qui dit déconnexion dit mauvaise représentation, donc un dialogue impossible. Les entreprises ont privilégié l’économie de moyens à la qualité de traitement des sujets, c’est une erreur.