Laurent Escure, numéro 1 de l’UNSA, sur la tentation populiste : « Nous sommes à un moment de danger grave et imminent »

Revue de Presse

Source : amontagne.fr (17 juin 2021 )

Corrézien de naissance et de cœur, à la tête de l’Union nationale des syndicats autonomes depuis 2018, Laurent Escure invoque un «  devoir d’action » face aux dangers qui menacent le modèle démocratique.

Alors que «  nous vivons, écrit-il dans un ouvrage qui paraît ce jeudi, un crash test grandeur nature de nos valeurs et de nos principes », le n°1 de l’UNSA tire la sonnette d’alarme. Et livre ses pistes pour sortir de l’impasse.

Vous faites le constat que la démocratie est gangrenée par de multiples «  fléaux ». En quoi le danger vous semble-t-il aussi prégnant ?

Actuellement, dans les domaines politique et syndical, plus de la moitié de la population ne participe pas aux élections ou a basculé dans un séparatisme « d’abandon ».

Ajoutez-y la poussée des inégalités et des fractures, qu’elles soient sociales ou territoriales, et vous avez tout un cocktail pour que puisse survenir en France un épisode autoritaire, en tout cas de quelque chose qui nous éloigne du pacte républicain tel qu’on le connaît.

Laurent Escure (secrétaire général de l’UNSA)

On ne peut pas durablement avoir une République qui repose sur 40-45 % d’une France que je qualifierais sinon d’heureuse, du moins de pas trop malheureuse. Nous sommes à un moment de danger « grave et imminent », selon la formule consacrée dans le monde du travail, lorsque l’on exerce son droit de retrait. À la différence près qu’ici, il faut plutôt engager un devoir d’action.

Deux ex-cadres de l’UNSA sont candidats du Rassemblement national aux élections départementales et régionales. Vous avez donc touché du doigt très concrètement l’ampleur du défi que vous évoquez… 

Nous les avons d’ailleurs exclus, car notre charte des valeurs est totalement incompatible avec le choix qu’ils ont fait. Nous ne sommes pas les seuls concernés, loin de là.

Le syndicalisme, représentant des travailleurs, ne peut pas se croire épargné quand tous les sondages du second tour de la présidentielle, quelle que soit la configuration, donnent le RN à plus de 50 % chez les ouvriers et les employés. Une prise de conscience générale s’impose.

Faut-il y voir selon vous une forme d’échec ?

Cela révèle d’abord l’échec de la démocratie et de la République à tenir une forme de promesse de justice et d’égalité, dans un monde en pleine interrogation. Depuis 30 ans, on observe une forme d’impuissance à juguler, réguler le capitalisme financier transnational. Cela crée des fractures.

100000000000042a0000064016f0be6aaf7a2de4.jpgLes gens se disent? : puisque les pouvoirs publics n’y peuvent rien, il faut aller vers une forme de simplisme, vers des solutions plus radicales, alors que cette voie sera de toute façon contre-productive.

Laurent Escure

Même ceux qui tiennent et alimentent ce système, que ce soit à Davos, à l’OMC ou au FMI, partagent ce diagnostic. Ils se rendent bien compte que ça ne peut plus durer.

Vous appelez au «  sursaut », au développement d’une «  immunité collective démocratique ». Quel rôle les syndicats, aujourd’hui marginalisés et affaiblis, peuvent jouer dans ce processus ? 

À l’UNSA, nous ne restons pas les bras croisés. Face à la menace des extrêmes, nous faisons la différence entre ceux qui ont un projet conscient, une adhésion profonde à certaines idées, et tous ceux qui peuvent se faire berner. Il ne faudrait pas reproduire l’erreur d’Hillary Clinton, en 2016, qui avait traité tous les électeurs de Trump de « déplorables ».

On ne peut pas avoir autant de travailleurs qui basculent dans l’abandon démocratique, qui cèdent aux sirènes populistes, et ne pas aller leur parler. C’est à nous de leur montrer que le syndicalisme peut être efficace et utile.

En faisant le choix de l’humain et de la proximité, nous avons d’ailleurs obtenu de très bons résultats, lors des dernières professionnelles, auprès des salariés de TPE et des non-cadres. C’est la preuve qu’il n’y a pas de fatalité.

À lire. «  Cultivons le Je démocratique », entretien de Laurent Escure avec Madani Cheurfa, éditions de l’Aube, 214 pages, 17 euros.

Les syndicats, dites-vous aussi, doivent impérativement se «  réinventer ». Comment??

Globalement, toutes les organisations font bien leur job. Sauf que nous protégeons des salariés qui ont déjà des protections, parce qu’ils sont dans une grande entreprise, qu’ils ont un CDI ou qu’ils travaillent dans la fonction publique.

Que fait-on en revanche pour tous les autres, c’est-à-dire les 4,5 millions salariés de TPE, souvent isolés, les 600.000 intérimaires, les 2 ou 2,5 millions de Français qui alternent chômage et contrats courts, sans oublier tous ceux qui sont au chômage durablement ?

Aujourd’hui, nous ne leur apportons pas de réponses. Il faut donc prouver à ces personnes-là que l’on peut les ramener dans le champ de la démocratie sociale et de la République.

Au-delà des syndicats, je crois que le sursaut s’impose à tous les acteurs qui s’expriment publiquement d’une façon ou d’une autre – politiques, intellectuels, journalistes, etc. Interrogeons-nous, chacun à notre place : quel spectacle donnons-nous à voir à celles et ceux qui sont aujourd’hui du mauvais côté de la fracture ?