Télétravail : pourquoi il faut tout remettre à plat

Revue de Presse

Source : challenges.fr (22 octobre 2021 )

Alors que l’activité à distance s’impose progressivement dans les entreprises, il est urgent d’adapter le Code du travail aux nouvelles spécificités liées aux télétravail, prévient l’Association nationale des DRH (ANDRH). 

La révolution culturelle du travail à distance est enclenchée. Avec une “appétence de plus en plus forte des salariés pour le télétravail”, on comptera entre “30 et 50% d’actifs concernés” par ce nouveau mode d’organisation d’ici à 2050, ont soutenu des sénateurs dans un rapport sénatorial sur l’avenir du télétravail dévoilé ce jeudi 21 octobre. De quoi pousser une réflexion sur ses enjeux, ainsi que sur les outils juridiques, parfois inadaptés, qui l’encadrent. “Nous étions jusqu’ici dans une culture forte du présentiel ; le télétravail est venu tout bousculer. Il doit être accompagné”, pointe la sénatrice de Paris Céline Boulay-Espéronnier, l’une des rapporteurs. 

A l’aube des évolutions juridiques à venir, l’Association nationale des DRH (ANDRH) appelle les pouvoirs publics et les entreprises à se saisir urgemment du distanciel pour tout remettre à plat (ANDRH). “Les accords de télétravail classiques ne sont pas adaptés à la nouvelle réalité du monde du travail et difficiles à mettre en œuvre’, pointait justement Audrey Richard, présidente de l’association lors d’un point presse ce mardi 19 octobre. Symptôme de cette inadéquation, 15% des 359 dirigeants RH interrogés pour une enquête de l’ANDRH* rencontrent des difficultés dans la mise en œuvre de leurs accords. “Il y a des personnes qui inventent

tout un tas de raisons pour ne pas revenir au travail, et cherchent à tout prix à obtenir davantage de jours”, poursuit la présidente. Si, pendant la crise, les entreprises sont passées à une approche très individuelle du travail, il faut désormais replacer le curseur sur le collectif, alerte Audrey Richard.

Remettre le curseur sur le collectif 

“Les salariés ont parfois l’impression de pouvoir travailler individuellement, en se passant du collectif, abonde Benoît Serre, vice-président de l’ANDRH. Nous devons leur rappeler l’importance du collectif en encadrant davantage le télétravail. L’association plaide ainsi pour un “bon équilibre”, avec deux jours au maximum de télétravail hebdomadaire. Et de rappeler par ailleurs, le caractère dangereux du ‘100% télétravail’, qui pourrait ouvrir la porte à la délocalisation des emplois en raison de la mondialisation des compétences. “Compte tenu de notre modèle social protecteur et coûteux, la France sera la première victime de ce mode d’organisation’, prévient Benoît Serre. Autrement dit, cela signifie que les entreprises adoptant le télétravail à temps complet risquent de s’installer dans des pays où le coût du travail est moins coûteux. Avec comme résultat, un risque de suppressions de postes. ‘Si on a des métiers en 100% télétravail, je ne vois pas comment des entreprises maintiendraient leurs emplois en France. Des arbitrages seront faits en terme de localisation et de coûts salariaux’, précise le vice-président de l’association. 

Autre problème auquel font face les DRH : les frais de transport des salariés, qui ont considérablement augmenté depuis 2020. Avec 30% des dirigeants interrogés ayant déménagé pendant la crise du Covid-19, les mobilités géographiques ont accéléré. L’employeur est parfois contraint de rembourser les frais de transports à hauteur de 50%. “On a eu des alertes et on souhaiterait un code du travail adapté à ce nouveau contexte, pointe Laurence Breton-Kueny, vice-présidente de l’ANDRH. Ce n’est pas à l’entreprise de payer 50% des déplacements des salariés qui ont déménagé”. Les accords de télétravail en vigueur, qui proposent souvent deux à trois jours de télétravail par semaine, sont ainsi peu compatibles avec un lieu de résidence trop éloigné de l’entreprise, et doivent être réévalués. 

Environnement des salariés en télétravail 

Sur le plus long terme, il faut également mener une réflexion sur l’environnement de travail des salariés à distance. Télétravail oblige, les employeurs exercent désormais de nouvelles responsabilités vis-à-vis des salariés à domicile. “Nous n’avons aucune vision sur le cadre de vie de la personne, alors que c’est notre responsabilité de s’assurer qu’il est conforme”, soulève Laurence Breton-Kueny. Par ailleurs, la question des accidents du travail – “entre le salon et la cuisine par exemple” ajoute la vice-présidente – est également au cœur des préoccupations des DRH. Et quid du droit à la déconnexion ou du bruit à domicile? Certains salariés à distance sont trop connectés, ou à l’inverse, rencontrent des difficultés à l’être suffisamment. “Il faut se poser les bonnes questions pour encadrer tout cela et faire évoluer les dispositifs en place”, martèle Benoît Serre. 

Calcul de la durée du travail à domicile

Enfin, le calcul de la durée du travail des salariés à domicile exige, lui aussi, des ajustements. “Les salariés en télétravail vont pointer chez eux ou calculer des heures qui ne correspondent pas à la réalité”, explique Benoît Serre. Faut-il installer des outils de surveillance chez les salariés à distance? “Cela créerait la société la plus épouvantable qui soit”, répond le vice-président de l’association avant de suggérer l’extension du forfait jour pour permettre aux salariés d’organiser le travail à distance comme ils le souhaitent. 

A la lumière de ces nouvelles problématiques liées au télétravail, l’ANDRH appelle les pouvoirs publics à adapter la réglementation pour mettre fin aux zones grises. “Le code du travail a été écrit dans un certain esprit, qui ne correspond plus à celui d’aujourd’hui”, assure Benoît Serre. Le risque, sans adaptation, est celui d’une instabilité juridique : “Si on ne le fait pas, ce sera la jurisprudence qui le fera”, conclut Audrey Richard.

*Enquête réalisée auprès de 359 adhérents de l’ANDRH émanant d’entreprises de différentes tailles et de différents secteurs d’activité du 22 septembre au 13 octobre 2021, via un questionnaire auto-administré en ligne de 24 questions.