Source : capital.fr (23 février 2022 )
Suite à sa nomination en 2017 à la tête de Business France, l’ancien patron d’Apple Europe a rapatrié une partie de son fonds de capital risque, mais a laissé en Grande-Bretagne sa holding de tête et sa fondation.
Condamné en appel dans l’affaire Tapie, Stéphane Richard a été contraint de quitter la tête d’Orange. Ses fonctions de PDG ont été découpées en deux entre un poste de directeur général et un autre de président non exécutif. Pour le premier poste, c’est Christel Heydemann qui a remporté la mise le 28 janvier. Pour la présidence, les jeux sont encore ouverts. Un des favoris est Pascal Cagni, l’ancien patron d’Apple pour l’Europe, qui se refuse à tout commentaire sur le sujet.
Âgé de 60 ans, ce fils d’un ouvrier italien émigré en Alsace a plusieurs atouts dans sa manche : bien sûr, une très bonne connaissance de la high tech, mais aussi de bonnes relations avec la macronie. Le ministre de l’économie Bruno le Maire vient de le promouvoir chevalier de la légion d’honneur et lui remettra en personne cette décoration le 15 mars. Pascal Cagni raconte avoir rencontré Emmanuel Macron pour la première fois lorsque ce dernier était secrétaire général adjoint de l’Elysée (2012-14). “J’étais venu lui présenter quelques réflexions sur la french tech en tant que membre du Cercle d’outre Manche”, un think thank franco-britannique. Il ne cache pas son admiration pour le président. En 2019, il déclarait : “l’image de la France s’est renouvelée à la suite de l’élection presque inattendue et historique du président Macron, à telle enseigne qu’il a été dit qu’il pouvait être le sauveur de l’Europe, et que la France était enfin de retour…”. Auprès de Capital, il assume : “je vote Macron, je pense que son engagement pour le pays est remarquable, et que c’est le meilleur choix pour le futur. Je suis un soutien fidèle et déterminé, mais je ne pense pas pouvoir être considéré comme un de ses proches”. Selon les Macron leaks, son épouse Catherine a fait un chèque de 7.500 euros à En Marche fin août 2016, soit deux mois et demi avant la déclaration de candidature du futur président.
Selon le Moci (Moniteur du commerce international), le président de la République aurait apporté un soutien “décisif” pour sa nomination en septembre 2017 comme ambassadeur délégué aux investissements internationaux et président de Business France. Pascal Cagni corrige : “lorsque ce poste s’est libéré, j’ai posé ma candidature et été auditionné à Bercy par une commission totalement indépendante de trois personnalités. J’ai été choisi parmi plus de 40 candidats, et je n’ai pas rencontré le président Macron durant cette période où j’étais candidat”. Il précise que ces postes ne sont pas rémunérés.
Après avoir été promu apôtre en chef de la France auprès des multinationales, Pascal Cagni a déménagé de Londres à Paris. “Lorsque j’ai été nommé, je n’avais aucune obligation de redevenir résident fiscal français, et je n’ai eu aucune remarque de la part des pouvoirs publics français sur mon lieu de résidence. Mais il m’a paru naturel et légitime, alors que je défendais l’investissement en France, d’allier la parole et les actes, et de redevenir résident français, après avoir été résident en Grande-Bretagne durant 13 ans. Cela s’est fait à la fin de l’année fiscale 2017”.
Pascal Cagni a aussi rapatrié en France une partie des actifs de son fonds de capital risque C4 Ventures. A partir de 2018, ce fonds a créé plusieurs filiales françaises : C4V Up, C4 Ventures Management, et C4 Ventures II. Puis, en 2020, plusieurs actifs de ce fonds ont été rapatriés, notamment une partie des salariés et les six derniers investissements du fonds effectués en 2019 (Zoov, Trouva, PSI Quantum, Drivenets, Duda, Mixtiles).
Toutefois, ce rapatriement reste partiel. La holding de tête du fonds, IDIPC LLP, est restée en Grande-Bretagne. Et le fonds a toujours deux filiales au Luxembourg,C4 GP SA et C4 Ventures I SCSP, qui détient les investissements antérieurs à 2019. Enfin, seul un quart des start-ups en portefeuille sont françaises. “Lorsque j’ai créé mon fonds en 2012, je n’ai pas choisi Jersey, ni Guernesey, ni les îles Caïmans, se défend Pascal Cagni. J’ai aussi décidé de ne pas être business angel à titre personnel, mais de créer une structure, régulée par la Financial Conduct Authority britannique, tout en localisant le fonds en toute transparence sur le continent européen au Luxembourg.”
Last but not least, la fondation personnelle de Pascal Cagni, The Cagni Foundation, est aussi restée en Grande-Bretagne, où elle est exemptée d’impôts. Ses actifs sont gérés par une filiale luxembourgeoise de la banque américaine JP Morgan. Créée en 2010, cette fondation a été alimentée par des dons d’actions Apple effectués par Pascal Cagni. Aujourd’hui riche de 27 millions de livres, elle a financé la fondation GoodPlanet de Yann-Arthus Bertrand, des actions humanitaires dans l’Himalaya, l’école israélienne Givat Haviva International, des projets de la fondation HEC (ancienne école de Pascal Cagni), et aussi les études à Paris d’étudiants de la Stern School of Business (école de commerce de l’université de New York) pour leur permettre d’être “immergés dans l’écosystème entrepreneurial français”…
Pascal Cagni a aussi abandonné la plupart de ses mandats d’administrateur dans des entités étrangères. En 2019, il a quitté le conseil d’administration du britannique Kingfisher, propriétaire de Conforama. En 2017, il a cessé d’être administrateur de style.com, un site de mode britannique lancé par l’éditeur Condé Nast qui fut un flop retentissant : après avoir englouti près de 100 millions de dollars, il a été revendu au britannique Fartech pour seulement 12,4 millions de dollars payées en actions. Entre 2002 et 2006, notre homme avait aussi siégé au conseil d’administration de Egg Banking, la banque en ligne de Prudential (qui a finalement fermé en 2011). En 2014, il avait aussi mené une mission de “revue stratégique” pour le groupe de luxe sud africain Richemont concernant sa filiale Net-A-Porter. Enfin, il a été actionnaire de Ivanhoe Industries LLC, société immatriculée au Delaware du milliardaire américain Robert Friedland, qui a fait fortune dans les mines de cuivre en Afrique.
Par ailleurs, Pascal Cagni a aussi été membre du conseil de surveillance de la branche française de l’institut américain Aspen jusqu’en 2013, et membre du conseil consultatif européen du cabinet Ernst & Young. Enfin, il a été durant une dizaine d’années membre du European Executive Council, un think tank créé en 2000 par le lobbyiste français Denis Zervudacki, et qui réunissait les dirigeants européens d’une trentaine de multinationales. Toutefois, il précise que sa collaboration à l’institut Aspen et à l’European Executive Council n’étaient pas rémunérées.
Dernier atout de Pascal Cagni : il connaît évidemment très bien Apple, dont il a été de 2000 à 2012 directeur général pour la région Europe, Moyen-Orient, Inde et Afrique. “Sous sa direction, cette région a connu la plus forte croissance de toutes les régions Apple avec un chiffre d’affaires passant de 1,2 à 40 milliards de dollars entre 2001 et 2012”, souligne fièrement son CV. “Steve Jobs pensait que c’était un bon commercial”, se souvient un ancien dirigeant d’un opérateur français.
Apple est un des principaux fournisseurs des opérateurs mobiles, et sa puissance lui permet de leur imposer des conditions drastiques. En 2015, ces conditions avaient fait l’objet d’une enquête de l’émission Cash investigation, qui avait tenté d’interroger sur le sujet Pascal Cagni, qui avait très mal réagi. Surtout, en 2014, Bercy a estimé que dix clauses des contrats passés depuis 2007 avec les opérateurs français étaient illicites, et a porté plainte contre Apple devant le tribunal de commerce de Paris (l’affaire est toujours en cours).
Mais ce n’est qu’une des multiples pratiques d’Apple jugées illégales par les autorités françaises. En 2008, alors que Pascal Cagni dirigeait Apple Europe, le Conseil de la concurrence a estimé que l’iPhone ne pouvait pas être réservé au seul opérateur Orange. Puis les pratiques d’“entente” et “abus de dépendance économique” menées par Apple entre 2005 et 2013 vis-à-vis de ses revendeurs lui vaudront en 2020 une amende de 1,1 milliard d’euros (l’affaire est en appel).
Enfin, et non des moindres, le fisc a infligé à la filiale française un redressement de plus de 400 millions d’euros pour les années 2011 à 2013. Bercy lui reprochait de ne payer en France qu’un impôt symbolique en déclarant dans l’Hexagone un chiffre d’affaires lilliputien, très loin des revenus effectivement générés. Par exemple, pour l’exercice clos fin septembre 2011, Apple n’avait déclaré en France que 257 millions d’euros de chiffre d’affaires et n’avait payé que 6,7 millions d’euros d’impôts, une goutte d’eau par rapport aux revenus réellement engrangés dans l’Hexagone, estimés à 3,5 milliards d’euros. Finalement, en 2019, un accord amiable a été trouvé pour solder une dizaine d’années de contentieux fiscaux contre un chèque de près de 500 millions d’euros, selon l’Express.
En pratique, l’essentiel du chiffre d’affaires réalisé par la firme à la pomme -en France comme ailleurs en Europe- est encaissé en Irlande, où elle bénéficie d’un taux d’imposition super réduit. Ce montage d’optimisation fiscale a été contesté un peu partout sur le vieux continent. Surtout, en 2016, la commission européenne lui a ordonné de verser à l’Irlande 13 milliards d’euros d’impôts éludés entre 2004 et 2014. Mais cette décision a été invalidée en 2020 par le tribunal européen de Luxembourg. Toutefois, la commission a fait appel devant la cour européenne de justice.
Aujourd’hui, Pascal Cagni assure qu’il “n’avait pas connaissance en direct des montages fiscaux mis en place de type sandwich irlandais. Mais Apple respectait l’état de droit, et j’ai toujours mis un point d’honneur à respecter le cadre juridique des pays dans lesquels nous opérions. Aujourd’hui, je soutiens la proposition de Bruno le Maire d’instaurer une taxation minimale des Gafa”.
Interrogé sur le sujet en 2017 par le Financial Times, Pascal Cagni avait souligné les failles entre les différents régimes fiscaux européens : “pour une fois, ce n’est pas uniquement la faute des géants de la tech. Pourquoi y’a-t-il de telles différences entre les taux d’imposition en Europe ? “