Ses derniers jours chez Orange, ses projets, l’affaire Tapie… Stéphane Richard se livre

Revue de Presse

Source : lexpansion.lexpress.fr (29 mars 2022 )

Contraint au départ après sa condamnation en appel dans l’affaire Tapie, le futur ex-PDG d’Orange se verrait bien rebondir dans le conseil et la banque d’affaires. Jamais très loin des télécoms…

Stéphane Richard au clavier, le 15 mars 2022, avec l’Orange Band & Friends, lors de ses ‘adieux’ aux collaborateurs d’Orange Belgique.

Cela sonne toujours moins bien en français. Mais imaginez les premières mesures de Viva la vida, le célèbre tube de Coldplay, et traduisez les paroles… Cela donne à peu près ceci : ‘Je dominais le monde, un seul de mes ordres suffisait à ouvrir les mers ; maintenant je me réveille seul le matin, et je balaie les rues qui m’appartenaient…’ La scène se passe à Bruxelles, le 15 mars dernier. A la batterie, le directeur général d’Orange Belgique, Xavier Pichon, entouré d’une demi-douzaine de collaborateurs. Au clavier, un certain Stéphane Richard, pianiste émérite, qu’on ne savait pas forcément féru de pop britannique. Moment suspendu, inattendu, qui marque la fin de cette dernière rencontre avec les salariés locaux, et à coup sûr le début d’autre chose… 

Le 4 avril, le PDG d’Orange cédera officiellement sa place à Christel Heydemann, l’ancienne patronne Europe de Schneider Electric. Une passation de pouvoirs dont ni le calendrier ni le scénario n’ont ressemblé à ce qu’il avait imaginé. Voilà cent jours à peine, le tout récent sexagénaire pensait encore pouvoir prolonger son bail à la tête de l’opérateur télécoms. En en cédant certes les rênes opérationnelles, mais en conservant pour quelques années la présidence de son conseil. La justice – et Bruno Le Maire – en ont décidé autrement… 

Sa condamnation, ‘une décision infâme’

La nouvelle vie de Stéphane Richard a commencé le 24 novembre dernier. Ce matin-là, le patron d’Orange apprend sa condamnation en appel à un an de prison avec sursis et 50 000 euros d’amende pour complicité de détournement de fonds publics dans le cadre de l’affaire Tapie. Des faits remontant à 2008, lorsqu’il était le directeur de cabinet de la ministre de l’Economie, Christine Lagarde. Il avait alors accepté le versement de plus de 400 millions d’indemnités pour mettre fin au litige opposant l’ancien président de l’OM au Crédit lyonnais. Ce qui lui est concrètement reproché ? ‘Pour ce que j’en ai compris, d’avoir insuffisamment oeuvré pour qu’il y ait un recours’, résume-t-il. Autrement dit, de ne pas avoir tout tenté pour éviter à l’Etat d’avoir à débourser cette somme. Pas de quoi justifier une condamnation, avaient estimé les juges en première instance. ‘Le 24 novembre, il me semblait donc que la probabilité la plus élevée était que la cour d’appel confirme la relaxe’, raconte aujourd’hui l’intéressé. A la lecture de la sentence, le retour sur Terre est brutal : ‘J’ai trouvé cette décision infâme ; un jugement de commande, qui témoigne assez bien de la violence judiciaire à l’égard des hauts fonctionnaires, des politiques, des chefs d’entreprise. Mais je reste combatif, poursuit-il, en justifiant son pourvoi en cassation. Je ne me résoudrai jamais à l’idée que mon intervention dans cette affaire est passible du pénal.’ 

‘Bruno Le Maire a voulu faire un geste politique, sans se soucier de l’entreprise, et encore moins de moi…’

Avec sa tête de ‘coupable idéal’ – c’est lui qui le dit – le futur ex-patron d’Orange n’a pas digéré non plus d’avoir été lâché en rase campagne par sa ministre. Laquelle n’a pas cherché à le joindre une seule fois depuis sa condamnation. ‘Face à une affaire qui met en cause l’institution tout entière, vous décidez d’assumer en bloc, sans laisser planer la moindre ambiguïté, théorise-t-il. C’est ce que la plupart des responsables politiques auraient fait dans ce genre de circonstances. Christine Lagarde n’a pas réagi en politique, mais en avocate. Cela restera une déchirure, c’est clair…’ Et puisqu’il est lancé, Stéphane Richard réserve aussi quelques salves à l’actuel locataire de Bercy. Un Bruno Le Maire tellement pressé de le voir partir, grince-t-il, ‘qu’il m’a fait appeler dès ma sortie du tribunal pour demander une démission quasi immédiate. Je pense qu’il a voulu faire un geste politique, sur le thème de l’exemplarité, sans se soucier de l’entreprise, et encore moins de moi…’  

‘Quand on fait ce job, on comprend assez rapidement qu’on n’aura jamais la reconnaissance de l’Et’at

Finalement, après avoir initialement visé la date du 31 décembre, la tutelle publique accordera au PDG d’Orange un délai de grâce jusqu’au 31 janvier 2022 – le temps que le conseil d’administration lui trouve un successeur -, et s’accommodera de sa présence deux mois supplémentaires, pour garantir à Christel Heydemann une transition moins brutale. Un processus baroque, bancal, illustrant à sa façon les relations compliquées que Stéphane Richard aura entretenues pendant douze ans avec l’Etat actionnaire, et qui nourrissent aujourd’hui, chez lui, une forme de désenchantement : ‘Quand on fait ce job exposé, on n’est pas épargné, c’est normal, concède-t-il. Mais on comprend assez rapidement qu’on n’aura jamais la reconnaissance de l’Etat, encore moins son soutien lorsqu’un gros pépin survient. A la longue, vous avez juste envie de dire stop. Il y a d’autres choses à faire dans la vie…’ 

Depuis quatre mois, Stéphane Richard a eu le temps de réfléchir et de préparer la suite. Lorsqu’on lui demande s’il se verrait rebondir à la tête d’une autre entreprise, sa réponse fuse aussi sec : une entreprise française certainement pas, mais si une belle opportunité se présentait dans un groupe étranger, pourquoi pas ? Sur le plan managérial, il ne lui a visiblement pas échappé que la situation était mouvante chez des grands noms des télécoms comme Verizon ou Telecom Italia. La probabilité qu’une fenêtre s’ouvre de ces côtés est faible, mais sait-on jamais… 

Un poste sur mesure, à la frontière entre le ‘conseil de haut niveau’ et la banque d’affaires

En réalité, d’autres pistes plus crédibles se dessinent. On les devine en déclinant les critères qu’il a lui-même listés au fil des contacts noués ces dernières semaines. Il y a d’abord le critère financier. Assumé, presque revendiqué : ‘Je ne suis pas obsédé par l’argent, assure-t-il. Mais à la tête d’Orange, je gagnais en moyenne le tiers de ce que touchent mes homologues européens [NDLR : 1,6 million d’euros avant impôts], ce que j’ai toujours trouvé anormal. Oui, le critère financier aura son importance, ne serait-ce que parce que je pars sans indemnité ni retraite, et que j’aimerais pouvoir accompagner mes proches dans leurs projets’. Voilà qui réduit déjà le champ des possibles… Autre critère de choix : le souhait de ‘capitaliser sur ses 35 ans de vie professionnelle’, en utilisant au mieux son réseau, et ses connaissances, en particulier dans le secteur des technologies. Ajoutez à cela ‘la dimension créative’, son ‘côté artiste’, dit-il, qu’il n’a pas eu souvent l’occasion d’exprimer avant son concert surprise de Bruxelles…  

Il y a enfin la liberté, avec un grand ‘L’. Sa volonté affichée de travailler ‘plus léger’, ‘sans les contraintes [qu’il a] connues ces dernières années’, qu’il s’agisse de l’Etat, des régulateurs, des syndicats… En assemblant tous les éléments de ce puzzle, Stéphane Richard en vient à décrire ainsi son futur job : un poste sur mesure, à la frontière entre le ‘conseil de haut niveau’ et la banque d’affaires. ‘A condition que ce soit dans une petite structure.’ Ce qui écarte a priori Rothschild et Lazard… Mais les ’boutiques’ de ce type ne manquent pas. Et on imagine assez bien qu’un profil comme le sien puisse intéresser des maisons comme Tikehau Capital, Centerview (la banque où officie Matthieu Pigasse), Perella Weinberg ou Messier & Associés… 

Lorsqu’il aura trouvé son point de chute, le futur banquier-conseil sait déjà sur quelles thématiques il sera amené à travailler : en commençant par l’Afrique, où il dispose d’un important réseau, dans le monde des affaires ou de la politique. Son ambition : conseiller les gouvernements locaux dans leur stratégie industrielle et numérique. Le paysage européen des télécoms est un autre terrain de jeu tout désigné pour monter des opérations de fusions-acquisitions, mais plus du même côté de la barrière. ‘De Vodafone à Telefonica, en passant par BT ou Telecom Italia, beaucoup de situations sont évolutives’, prédit-il.