Pour en finir avec dix idées reçues sur les 35 heures

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Source alterecoplus.f (26 janvier 2016)

Les 35 heures, une passion française. Depuis les lois Aubry, cette réforme charrie de nombreux préjugés. Et cela d’autant plus que les évaluations sérieuses ont été en définitive plutôt rares. Ce qui peut paraître surprenant pour une loi qui a bouleversé le quotidien de pratiquement tous les Français. Le rapport de la commission d’enquête parlementaire, qu’AlterEcoPlus s’est procuré, corrige cette anomalie. Et réhabilite ce qu’il faut bien qualifier de progrès social.

1/ « Les 35 heures n’ont pas créé d’emplois » FAUX.

« Il n’y a jamais eu autant d’emplois créés qu’avec les 35 heures », constate la rapporteure, Barbara Romagnan. Sur la seule période 1997-2002, deux millions d’emplois ont été créés. Certes, les esprits chagrins justifient ce pic par la forte croissance économique de l’époque et par la difficulté à mesurer l’effet 35 heures. Mais on peut créer des emplois sans pour autant faire baisser le chômage, si la population active augmente, elle aussi. Le rapport, qui reprend une enquête de l’Insee, rappelle que 350 000 créations d’emplois nettes ont permis aux chômeurs de retrouver du travail. Pendant ces six années, il n’y a jamais eu autant de créations d’emplois par point de produit intérieur brut (PIB) supplémentaire : 125 000 en moyenne, alors que le PIB progressait sur la période de 16 %, note le rapport. Par comparaison, entre 2004 et 2007, alors que la croissance progressait de 9,5 % sur les quatre ans, 600 000 emplois ont été créés, soit 63 000 par point de PIB, ce qui correspond à « moitié moins d’emplois » que sous le gouvernement Jospin.
Jamais autant d’emplois n’ont été créés

Solde annuel des créations et des suppressions d’emplois de 1950 à 2013

2/ « Elles ont ralenti la croissance » FAUX.

La rapporteure va même jusqu’à affirmer que ce sont les 35 heures qui ont tiré la croissance européenne vers le haut, et non l’inverse. Il suffit d’observer le taux de croissance français avant et après la mise en place des 35 heures entre 1998 et 2002. Celui-ci passe de 2,2 % à 2,5 %, pour ensuite retomber à 2,2 %. A la même période, la croissance européenne était inférieure d’un point à celle de la France.

3/ « Elles ont modéré les salaires » VRAI.

Pendant dix-huit mois en moyenne, les salariés français des entreprises de plus de 20 salariés « passés aux 35 heures » ont vu leurs salaires stagner. Dans les plus petites entreprises qui sont davantage restées aux 39 heures, « le coût horaire de la main-d’œuvre aurait été en grande partie compensé par la modification du régime des heures supplémentaires et la généralisation des allégements de cotisations sur les bas salaires, dont la proportion est plus élevée dans ces entreprises », explique le rapport. Auditionné, l’économiste de l’OFCE Eric Heyer explique que « La France est aussi le pays où, de 1997 à 2002, les coûts salariaux unitaires relatifs – salaires augmentés des charges et rapportés à la productivité – ont le plus baissé… »

4/ « Elles ont nui à la productivité » FAUX.

La productivité hexagonale reste parmi les plus élevées au monde. Et les 35 heures ne l’ont pas entamée. Bien au contraire, les entreprises qui ont annualisé le temps de travail en fonction des périodes de forte ou de basse activité ont non seulement gagné en flexibilité – elles ont moins recours aux heures supplémentaires –, mais elles ont pu davantage faire tourner leur appareil de production. La durée d’utilisation des équipements est passée en moyenne de 50 heures en 1996 à 55 heures dans les années 2000.

5/ « Elles ont altéré les performances des entreprises à l’international » FAUX.

C’est à partir de 2003, « au moment où les 35 heures sont détricotées, voire annulées, que la compétitivité s’affaisse », note l’ancien Premier ministre Lionel Jospin, lors de son audition. Ce n’est pas non plus la réduction du temps de travail qui a eu un impact sur la dégradation du coût horaire de la main-d’œuvre française mais la parité euro/dollar. Alors qu’un euro valait 0,9 dollar en 2000, il en valait 1,6 dollar juste avant la crise économique de 2008, renchérissant considérablement le coût du travail d’un Français par rapport à un Américain.

6/ « Elles ont coûté cher à l’Etat » FAUX.

Le rapport évalue le manque à gagner pour l’Etat à quelque 12 milliards d’euros par an au titre des aides consenties aux entreprises qui ont réduit leur temps de travail. Mais si les projecteurs ont été braqués sur les baisses de charges, le retour sur investissement, lui, n’a jamais été valorisé. Or, un chômeur qui retrouve un emploi ne doit plus être indemnisé et coûte moins cher aux finances publiques. Ces allégements de charge n’auraient coûté « en réalité que 2,5 milliards d’euros à l’Etat ». Un emploi créé par les 35 heures revient à 12 800 euros, calcule le rapport. La réduction du temps de travail s’est révélée être « la politique la plus efficace et la moins coûteuse depuis les années 1970 ».

7/ « Elles ont freiné la progression du temps partiel » VRAI.

« Depuis le début des années 1980, le temps partiel ne cessait d’augmenter dans l’Hexagone », relève la rapporteure. Les 35 heures y ont mis un coup d’arrêt. « Depuis 1998, la durée hebdomadaire de travail des salariés à temps partiel est en effet restée stable autour de 23 heures en France, soit les deux tiers de la durée légale des salariés à temps complet, contre 20,2 h en moyenne dans l’Union européenne. » Avec 18 % de salariés à temps partiels, la France reste en deçà de la moyenne de l’Union (26,5 %). « A titre d’exemple, en Allemagne, 45 % des femmes travaillaient à temps partiel en 2010, et les deux tiers des mères actives d’enfants de moins de 15 ans ont un emploi à temps partiel. Ces emplois à temps partiel sont sensiblement plus courts avec 18,6 h en moyenne, soit cinq heures de moins qu’en France. »

8/ « Les Français sont les seuls à avoir réduit leur temps de travail » FAUX.

Si la France est le seul pays à afficher une durée légale de 35 heures, depuis trente ans, tous les pays ont réduit leur durée effective du travail. Reste l’éternel débat : Les Français travaillent-ils réellement moins que les autres ? Le rapport constate que les différentes enquêtes disponibles (OCDE, Eurostat…) ne permettent de « comparer correctement les durées effectives de travail en Europe ». Par ailleurs, « la méthode consistant à exclure les salariés à temps partiel du calcul de la durée annuelle de travail pour ne conserver que les temps complets revient à faire baisser artificiellement cette durée, et à classer le temps de travail en France parmi les moyennes les plus basses de l’Union européenne ». Selon une enquête de l’Insee de 2010, la durée moyenne hebdomadaire de travail en France s’élèverait ainsi à 37,5 heures, soit une moyenne supérieure à la moyenne européenne (37,2 heures), devant l’Allemagne (35,3 heures), l’Italie (36,9 heures), les Pays-Bas (30 heures) ou encore les Britanniques (36,5 heures).
Partout, le temps de travail a baissé
Nombre moyen d’heures de travail habituellement prestées par semaine dans l’activité principale

9/ « Elles ont intensifié le travail » VRAI.

Pour certaines catégories de salariés, notamment les cadres en forfait annuels en jours – dont le temps de travail n’est pas décompté en heures mais en jours de travail –, les 35 heures se sont traduites par une intensification de leurs tâches. Les études montrent néanmoins que les salariés les plus satisfaits sont ceux qui bénéficient de demi-journées, voire de journées RTT. Ils peuvent ainsi mieux équilibrer leur vie privée et professionnelle. Les salariés qui ne « gagnent » que quelques minutes par jour en ressentent moins les bénéfices.

10/ « Elles n’ont pas été un succès à l’hôpital » VRAI.

Malgré l’embauche de 45 000 personnes supplémentaires dans la fonction publique hospitalière, le problème de la réduction du temps de travail reste vivace. Le rapport souligne une impréparation dans la mise en place des 35 heures qui ne devaient pas, à l’origine, concerner le service public. Pour autant, constate la rapporteure, les personnels hospitaliers interrogés, ne souhaitent pas renoncer à leurs jours de RTT considérés comme une avancée sociale.