Burn-out : un jour, ils se sont effondrés

Archives Les Brèves

Source : lexpress.fr (5 février 2016)

C’est le nouveau mal du siècle : le « burn-out », cet épuisement professionnel extrême qui fracasse des salariés ou des ouvriers modèles, des cadres ou des médecins exemplaires. Les journalistes Emmanuelle Anizon et Jacqueline Remy lui consacrent un livre passionnant, « Mon travail me tue » (Flammarion), riche des témoignages de seize rescapés.

Le corps en vrac, le cerveau en miettes. Impossible pour Mathieu, le médecin si consciencieux, de brûler une verrue. Impossible pour Patrick, l’agriculteur hyper actif, de mettre le pied hors de son lit. Pierre-Yves, l’enseignant modèle, fuit sa classe et ses élèves, erre dans les rayons d’un supermarché pendant deux heures, remplit trois chariots qui ne sont pas les siens. Virginie, pro du marketing et mère de quatre enfants, est assaillie par une crise de panique. Une petite voix, dans sa tête, lui dit qu’elle va mourir, qu’elle est foutue. Face à son ordinateur, François, l’assureur autodidacte, a l’impression qu’une dalle du béton lui tombe sur la tête et l’enfonce dans le sol. Tous adoraient leur boulot, tous faisaient preuve d’une détermination sans faille, d’un investissement hors norme. Ils ont été terrassés par le burn-out, aussi appelé « syndrome d’épuisement professionnel ». 

Un syndrome que la médecine ne reconnaît pas
Les seize témoignages recueillis par Emmanuelle Anizon, chef du service Société de L’Obs, et Jacqueline Remy, ancienne rédactrice en chef à L’Express, ont de quoi glacer le sang de tout salarié normalement constitué, même le plus amoureux de son job. Le livre que ces deux journalistes publient ces jours-ci, « Mon travail me tue » (Flammarion), résonnera, un peu, beaucoup, chez chaque lecteur. Oui, le boulot peut rendre malade. Oui, le management peut rendre fou. Certains en meurent : Nicolas Choffel, 51 ans, cadre à La Poste, a mis fin à ses jours le 25 février 2013. L’inspection du travail a estimé qu’il existait « un lien fort entre le geste fatal de M. Choffel et son travail ». La Caisse primaire d’assurance maladie est même allée plus loin, qualifiant son suicide d’un accident du travail – même si le « BO » ne figure pas (pas encore?) dans les ouvrages de référence tels le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux et la Classification internationale de maladies de l’Organisation mondiale de la santé. 

Trois millions de victimes potentielles
Le « BO », comme disent les spécialistes, menacerait 3 millions de personnes. Tous les métiers, tous les milieux sociaux, sont peu ou prou touchés par ce nouveau mal du siècle qu’un psychiatre français, Claude Veil, qui a été le premier à décrire, dès 1959. Les agriculteurs en tête (23,5% de victimes potentielles), suivis des artisans, commerçants et chefs d’entreprise (19,7%), des cadres (19%) et des ouvriers (13,2%). 17% des profs de collège et de lycée seraient à deux doigts de craquer. Comme un médecin sur deux, selon un syndicat de la profession. Comme les magistrats dont l’Union syndicale a dénoncé la détresse dans un livre blanc rendu public l’an passé.  
« Mon travail me tue » ne livre pas seulement le récit de ces destins fracassés par le boulot, mais égrène aussi quelques courts chapitres didactiques qui apportent au sujet un éclairage historique, médical, juridique et sociologique. « Pour en finir avec le déni », espèrent les auteurs.